Opinion | La fable de la gratuité des services publics
L’Etat est imperceptiblement devenu un Etat nounou, qui pense pouvoir acheter la paix sociale en maternant les individus. L’effet est à la fois délétère socialement et contre-productif économiquement, déclarent Frédéric Douet, Erwan Le Noan et Rémi Pellet.( les Echos)
Il existe une exception française qui voudrait que la lutte contre les inégalités passe par une redistribution des richesses au moyen de prestations diverses et variées, dont l’attribution serait décorrélée de ses bénéficiaires. Cette redistribution permettrait dès lors de poursuivre toutes sortes de politiques et de réaliser toutes les promesses sans autre contrainte que celle de l’intention généreuse.
Les prétextes sont multiples et se traduisent en une liste inépuisable de dispositifs si nombreux qu’il existe désormais un service public en charge d’aider les citoyens à se retrouver dans le catalogue interminable des aides (mes-aides.gouv.fr) ! Les énumérer est un interminable et fastidieux inventaire à la Prévert : bonus réparation textile, bonus réparation produits électriques ou électroniques , allocation rentrée scolaire, prime de Noël, gratuité de certains transports…
Personne ne semble s’en soucier alors que ce maquis cache une tare de notre système : l’Etat est imperceptiblement devenu un Etat nounou , qui pense pouvoir acheter la paix sociale en maternant les individus. L’effet est à la fois délétère et contre-productif.
Délétère car il fait croire à beaucoup qu’il existerait un argent magique, tiré d’une source intarissable. Par clientélisme, l’Etat a fait des individus ses créanciers en chaque instant de leur vie. La machine s’est emballée, générant une dette de plus en plus colossale, dont nos dirigeants se soucient comme d’une guigne, préférant en faire supporter le fardeau par les générations futures.
L’Etat est devenu obèse. Trois courbes se croisent : la France détient le record de prélèvements obligatoires (48 % du PIB en 2023 selon Eurostat) et de dépenses publiques (56 % en 2023) dont une bonne part de dépenses sociales, tout en ayant un taux de dette publique de 111,9 % au 2e trimestre 2023 (ce qui la classe au 4e rang européen derrière la Grèce, l’Italie et l’Espagne).
Contreproductif, car une pression fiscale qui croît pèse nécessairement sur les Français, y compris lorsqu’elle prétend peser sur les entreprises. Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt. Contreproductif aussi car, en dépit de ces efforts, le système ne fonctionne pas vraiment bien. Les Français ont à juste titre le sentiment que la qualité des services publics ne cesse de se dégrader (éducation, justice, santé, défense, sécurité intérieure) sans pour autant que la situation des plus démunis ne s’améliore.
La question légitime qui revient régulièrement et que nos dirigeants semblent ne pas entendre est : où passe l’argent ? Nul ne le sait tant il y a de micro-fuites et de dépenses tout aussi inconsidérées qu’inefficaces.
Cette situation déprimante d’un point de vue économique alimente aussi la défiance vis-à-vis des pouvoirs publics, toujours plus pesants, toujours moins efficaces. Elle a une part lourde dans la crise sociale contemporaine.
Un changement radical de paradigmes s’impose. Si la fuite en avant se poursuit, nous serons bientôt rattrapés par la réalité. En 2022, les recettes de l’Etat ont atteint 451 milliards d’euros. Au titre de la même année, la charge des intérêts de la dette publique s’est élevée à 53,2 milliards. Elle devrait être de 74,4 milliards en 2027.
Viendra inéluctablement un moment où elle ne sera plus tenable. L’argent magique n’existe pas. D’une façon ou d’une autre, Thénardier n’oublie jamais de présenter l’addition à la fin du repas.
Frédéric Douet est professeur à l’université Rouen-Normandie et membre du Conseil des prélèvements obligatoires.
Erwan Le Noan est membre du conseil scientifique de la Fondapol.
Rémi Pellet est professeur à l’université Paris Cité et membre du Conseil des prélèvements obligatoires.
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