La Constitution : un fourre-tout ?

  La Constitution : un fourre-tout ?

 Le constitutionnaliste Benjamin Morel s’étonne que la constitution devienne un Fourre-tout sociétal dans le JDD

Benjamin Morel. Les congrès sont des moments étranges. La mécanique des chambres relève de l’improvisation encadrée en règle générale. L’organisation des coulisses est minutieuse, les tribunes forcément silencieuses, le personnel des chambres sert de point de repère et d’orientation face à l’improvisation des politiques. Dans le cadre d’un congrès, rien n’est évident. Personne ne sait vraiment où se trouvent les salles, les députés sautent dans les bus en sortant… il y a à la fois une ambiance de colonie de vacances et beaucoup d’émotion pour certains. À la différence de révisions plus techniques, celle-ci a été le fruit d’un combat de certains militants associatifs et de parlementaires. Quoi que l’on pense du texte, cela se sent dans l’émotion témoignée. Alors que depuis la Révolution, on prohibe tout signe d’approbation ou de désapprobation des tribunes, au milieu des débats on finit par autoriser les applaudissements.

Depuis 1958, date de la promulgation de la Constitution de la Ve République, le texte pensé par le général de Gaulle a subi de nombreuses modifications. Vingt-quatre au total. La plupart des révisions constitutionnelles portent sur les modifications et le fonctionnement des institutions. Dans le cas de l’IVG, s’agit-il davantage d’une conquête sociale ?

Depuis la Constitution de 1791, les droits sociaux sont présents dans les constitutions. Le texte le plus chargé en la matière est le Préambule de la Constitution de 1946, qui a été incorporé à la Constitution de 1958 et fait partie du bloc de constitutionnalité. Les révisions constitutionnelles ont largement porté sur la procédure parlementaire, les institutions et la ratification de traités, mais elles ont également intégré de nouveaux droits. Cela a été le cas pour la fin de la peine de mort ou de la partie. D’une certaine façon, la charte de l’environnement, qui comporte de nombreux droits et devoirs, s’inscrit dans ce mouvement. Ce qui est peut-être plus nouveau, c’est l’introduction de droits portant sur les sujets bioéthiques.

Constitutionnaliser, c’est une chose, savoir ce qu’en fera le juge en est une autre

Si inscrire « la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG » est un symbole important, dans la pratique ce sont surtout les moyens de l’hôpital qu’il faut renforcer pour garantir un égal accès à l’IVG sur le territoire français. L’accès aux services publics pour tous doit-il être la prochaine bataille à mener d’un point de vue constitutionnel ?

La notion de liberté et la présence de la disposition à l’article 34 de la Constitution font théoriquement du législateur le gardien et l’organisateur des modalités d’exercice de l’IVG. La notion de garantie laisserait en revanche entendre qu’il pourrait y avoir une obligation positive de l’État, sous contrôle du juge, de rendre réellement effectif ce droit. On verra ce que dira la jurisprudence. Constitutionnaliser, c’est une chose, savoir ce qu’en fera le juge en est une autre. On peut inscrire des droits. Cela fait plaisir et cela ne coûte pas cher… Le préambule de la Constitution de 1946 prévoit ainsi un droit au travail. Pris dans toute sa radicalité, on pourrait penser que ce droit interdit donc le chômage. Qu’un chômeur disposerait d’un droit opposable obligeant l’État à lui procurer un emploi. Constitutionnellement, on devrait donc remettre en place d’urgence les ateliers nationaux de la Deuxième République.

En réalité, la question ne se pose pas d’abord en termes de garantie de droits abstraits, aussi louable fût-elle sans doute. Elle se pose en termes d’accès aux services publics. Le contraste est saisissant avec la IIIe République. Sous la IIIe, on ne parvient pas à se mettre d’accord sur une Constitution, encore moins sur une déclaration des droits… Mais se développe un principe de gouvernement très fort. Ce qui fonde la promesse républicaine et va convertir à la République les campagnes monarchistes, c’est la promesse d’un service public présent sur l’ensemble du territoire. Où que je vive, j’ai accès au service public, car ce dernier n’a pas pour but d’être rentable, mais d’assurer l’égalité des citoyens et la cohésion de la nation. Or cette promesse, nous l’avons oubliée. Le principal problème concernant l’IVG, mais aussi Mayotte, c’est l’abandon de certains territoires à leur sort.

Sous la Vᵉ République, nous adorons constitutionnaliser des principes, ou les faire passer dans le droit international. Le prochain combat serait de faire passer l’IVG dans la charte européenne des droits fondamentaux. Ce faisant, nous déclarons et nous déclamons, laissant le soin au juge de garder, là où la IIIe agissait, laissant au politique le soin d’arbitrer. Avant de constitutionnaliser un prochain droit, sans doute vaudrait-il mieux de constitutionnaliser les modalités de sa mise en œuvre en indiquant notamment que les services publics concourent à la souveraineté de la nation, à la réalisation de l’intérêt général et font partie de l’identité constitutionnelle de la France, ce qui permettrait de les mettre à l’abri des velléités de démenti par voie de directive européenne.

Née le 4 octobre 1958, la Constitution de la VRépublique a battu en février 2024 le record de longévité constitutionnelle de la IIIe République pour devenir la Constitution la plus durable de l’histoire de France. Faut-il la dépoussiérer selon vous ?

Oui, la Constitution a été écrite pour régir une situation politique qui n’est plus la nôtre. En matière de démocratie directe, de répartition des pouvoirs entre l’exécutif et le Parlement, de nombreuses choses sont à revoir. Pour autant, il y a une facilité à toujours vouloir toucher à la Constitution. Si vous regardez aujourd’hui, de la Suède au Portugal, de la Pologne aux États-Unis, aucun État occidental ne va bien. Ce n’est pas d’abord un problème constitutionnel, institutionnel. Cela est lié là encore à une difficulté que la politique a à agir efficacement sur le réel face à une mondialisation qui a substitué la gouvernance au gouvernement.

C’est aussi lié à une désagrégation des espaces publics traditionnels qui engendre une montée des tensions, notamment à travers les réseaux sociaux et le fonctionnement d’une information dans le silo des algorithmes. Enfin, les démocraties se fondent sur des nations politiques dans lesquelles chacun peut être tour à tour majoritaire et minoritaire selon son camp politique. Alors, la communautarisation des sociétés introduit un clivage ontologique entre communautés dominantes et communautés dominées. Elles se fondent aussi sur une classe moyenne importante attachée au régime, là où une trop forte fracture sociale mène historiquement à la répression ou à la révolution.

Attention donc à ne pas faire des réformes constitutionnelles l’exutoire à des tensions politiques et sociales dont les désordres institutionnels sont d’abord des symptômes.

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