Salon de l’agriculture : la foire des contradictions

Salon de l’agriculture : la foire des contradictions

Scruté par les commentateurs, redouté par l’exécutif, le Salon de l’Agriculture qui ouvre ses portes samedi est annoncé comme l’acte final de la crise qui secoue depuis un mois le monde agricole. Exercice de communication politique par excellence,  les vraies batailles (normes et compétitivité) ne seront pourtant pas visibles. Par Timothée Gaget, Président de l’agence Artcher, spécialiste des questions de souveraineté industrielle et agricole. ( dans le Figaro)

Le passage dans les allées du Salon vaut adoubement ou rejet. Les politiques s’y frottent, un petit godet par-ci, une tranche de cochonaille par-là. Tout l’exercice consiste à montrer, devant les caméras, une connexion réelle au terrain. Car s’il n’y a plus que 400 000 exploitations agricoles, la France garde son imaginaire paysan. Pour le politique, être connecté à ce dernier signifierait donc être connecté à la France. Le SIA est le seul endroit où les élus locaux avec des origines paysannes partent avec un avantage sur les élites parisiennes.

En février 2016, le slogan « Je suis éleveur, je meurs » marque les esprits et François Hollande est accueilli dos tourné et sous les huées.  2017, des millions de volailles sont abattues lors du deuxième épisode de grippe aviaire. Les candidats à la présidentielle défilent. Ambiance tendue. Emmanuel Macron y reçoit un œuf sur la coquille. Le SIA 2024 devait être sympathique et s’articuler avec la sortie de la Loi d’Orientation agricole en préparation depuis un an.  La fronde paysanne et le blocage des routes en ont décidé autrement. Surtout qu’en coulisse, des syndicats agricoles se jaugent à l’approche des élections des Chambres d’agriculture.

Le Président acculé tentera donc, face aux gilets verts, ce qu’il a fait avec les gilets jaunes : un « grand débat ». On le sait excellent dans l’exercice, si tant est qu’il ait lieu (Les soulèvements de la terre ayant initialement été invités, la FNSEA veut le boycotter). Car s’il est une profession qui n’apprécie guère se faire payer de mots, ce sont les paysans. Et si le maintien du GNR à prix bas est une victoire, il demeure dérisoire face aux problèmes structurels et stratégiques auxquels l’agriculture française fait face.

La bataille est d’abord normative. La stricte application d’Egalim est incontournable, le rabot annoncé de quelques règles est bienvenu, mais c’est le curage de ruisseau qui cache le torrent de normes.

En matière de normes, comme pour les denrées qu’on autorise ou non à entrer dans l’UE, le destin de l’agriculture française se joue en grande partie à Bruxelles. Les Français peinant à citer plus de trois députés européens devraient d’ailleurs s’intéresser aux élections européennes de juin… puisque la proposition sur la future PAC 2028-2034 sera connue à l’automne 2025. Le commissaire à l’Agriculture Janusz Wojciechowski le sait bien: en Pologne, son propre parti appelle à sa démission. Il faut dire que, ne pouvant s’aligner sur les prix bas des denrées ukrainiennes qui inondent leur marché, les agriculteurs polonais en sont les premières victimes.

Toujours sur la règle de Droit, il est facile d’accuser Bruxelles, mais le carcan normatif est aussi français : sans même parler de surtransposition,  il n’y a pas que les vaches qui émettent du méthane, le Conseil d’État fustigeait déjà en 1991 « le droit mou, le droit flou, le droit à l’état gazeux ».  On passe plus de temps à défricher un texte qu’une bordure de champs. La recette proposée pour simplifier ? Commission, mission-flash, rapport transpartisan, table-ronde, États généraux, mission sur la mission… On se gausse autant qu’on s’étrangle : il y aura bientôt davantage de rapports sur les tables de nos gouvernants que de vaches dans les champs. Le politique doit décider, pas diriger des thèses. Le législateur doit produire une loi simple et claire, tournée vers l’intérêt général. Pas un amas de revendications particulières.

Si le débat s’est focalisé sur les normes, le pouvoir d’achat des agriculteurs est avant tout une question économique. S’agissant de la compétitivité, on aurait là encore tort de reprocher à Bruxelles ce qui incombe à Paris. La concurrence est aussi intra-européenne. Sur les 38 pays de l’OCDE, la France est le pays avec le plus fort taux de prélèvements obligatoires. Or l’agriculture subit les mêmes coûts économiques du travail et de la production que les autres secteurs. Comment un maraîcher français peut concurrencer un maraîcher espagnol, si le coût de la main-d’œuvre y est bien plus élevé en France ? De même, pourquoi une entreprise alimentaire française, elle-même en concurrence avec d’autres entreprises alimentaires européennes ou internationales, achèterait son porc, son lait ou son bœuf plus cher à un agriculteur français quand elle peut l’avoir moins cher auprès d’un Espagnol ou d’un Allemand ? La fraternité résiste hélas peu à l’économie de marché.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’État a imposé une politique de prix alimentaires bas. Or comme les agriculteurs ne peuvent pas en vivre, il réinjecte (directement ou via la PAC) de l’argent par-derrière pour ne pas que le système s’effondre. On a créé des marchés déconnectés des réalités économiques. Les agriculteurs ne veulent pas vivre de subventions, ils veulent vivre de leur métier, condition d’ailleurs nécessaire au renouvellement des générations. Pour assurer notre souveraineté alimentaire tout en assurant des revenus justes aux paysans, il n’y a que deux options : soit on permet aux agriculteurs de vendre plus cher. Soit on leur permet de produire moins cher. Idéalement, les deux. Pour la deuxième option, le choix n’est pas juridique, il est politique. Moins facile, mais plus impactant que de flatter le cul des vaches le temps d’un week-end.

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