Macron : nouveau gouvernement, nouveau virage politique
Avant de s’adresser aux Français, Emmanuel Macron a donc décidé de changer de gouvernement : c’était, avec la dissolution, l’une des deux seules solutions dont il disposait pour tenter de sortir de la nasse où l’enfermaient ses adversaires. En effet, l’exécutif, pris dans les déboires procéduraux de l’examen de la loi sur l’immigration se trouvait dans une impasse. Emmanuel Macron devait dissiper l’atmosphère délétère de fin de partie entretenue par l’opposition, ainsi que les doutes apparus dans sa propre majorité, notamment sur la gauche, avec la loi Immigration. Resserrer les rangs de ses troupes, resserrer le gouvernement autour de quelques grands ministères incarnant les projets, restaurer la confiance dans l’action, s’entourer étroitement de proches totalement dévoués. En deux mots : rajeunir pour réagir, tel est le message qu’on tente d’impulser depuis l’Élysée.
par Claude Patriat
Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFC dans the Conversation
Sur les dossiers névralgiques, il se voyait systématiquement entravé à l’Assemblée nationale, du fait d’un refus total du compromis par la tacite coalition des minorités d’opposition. Au mépris du vote de juin 2022 par lequel les Français avait constitué une assemblée de type proportionnel ouvrant nécessairement la voie à des compromis politiques, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchements en refusant toute les mains tendues. La gauche emmenée par la Nupes, bloquant la majorité des propositions ; la droite tentant d’amener Renaissance à résipiscence en imposant son seul programme politique.
2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec. C’est la fin de sa stratégie du « en même temps » de droite et de gauche, et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel. Or, c’est pourtant bien cette dernière qui aurait permis d’avancer sur le terrain des compromis politiques et qui aurait dû être entamée préalablement.
Emmanuel Macron a visiblement renoncé à toute ambition réformatrice de ce côté. Au moins pour l’instant, gardant peut-être cette idée pour un bouquet final de son quinquennat.
Pour l’heure, à moins de la moitié du second mandat, il y avait, à peine de torpeur, urgence à tourner la page de ce redémarrage difficile et à tirer les conséquences de l’obstination de ses opposants. À la dissolution, Emmanuel Macron a cru préférable de sacrifier le gouvernement Borne, dans la plus pure logique de la Ve République, comme le rappelle très justement Arnaud Mercier.
Il s’agit donc d’un changement de gouvernement et non d’un remaniement ministériel. Étrange (et peut-être délibérée) confusion entre ces deux opérations que le droit constitutionnel ne confond pas car les incidences politiques et les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes. L’article 8 de la Constitution ne connaît que la démission du Premier ministre qui entraîne celle du gouvernement, donc son remplacement.
Or, quasi tous les commentateurs s’en tiennent, à tort, au terme de remaniement, c’est-à-dire à une procédure de départ et de remplacement de quelques ministres au sein d’un même gouvernement (comme ce fut le cas en juillet 2023 par exemple). Ce qui, on le voit, aboutit à réduire la perception de la dimension de l’évènement. Il y a changement de gouvernement lorsqu’il y a démission (volontaire ou imposée) du premier ministre, lequel peut, éventuellement, être renommé. Cette démission implique qu’il y ait un nouveau décret de nomination du premier ministre et de l’ensemble d’un nouveau gouvernement par le président de la République. Puis d’une présentation au Parlement du programme de celui-ci, éventuellement sous la forme d’une déclaration de politique générale. Cette dernière, dans la logique de présidentialisme qui prédomine toujours, sera précédée ou accompagnée d’une prise de parole présidentielle. Il s’agit donc d’abord d’une rupture ouvrant une nouvelle période de la vie politique, alors qu’un remaniement s’inscrit dans la continuité.
Surtout, lorsque l’ancien titulaire du poste est remercié, la dimension symbolique et politique s’affiche fortement. Tel est bien le cas ici avec le départ d’Elisabeth Borne qui a poussé jusqu’au bout deux réformes emblématiques et qui, toute à surmonter les obstacles, les traquenards voire les quolibets qu’on lui opposait, avait érodé son image de combattante.
Pour échapper à l’engourdissement politique et à moins de six mois des élections européennes, où les nuages populistes s’amoncellent au dessus de Strasbourg, Emmanuel Macron a désigné son ennemi principal : le Rassemblement national. Le parti est pronostiqué à 30 % au scrutin européen.
Pour le combattre, il en a signalé l’allié essentiel : l’immobilisme. Il a désigné son chef d’état-major : Gabriel Attal.
Le choix s’imposait presque naturellement : l’extrême jeunesse, synonyme d’audace qui n’attend pas le nombre des années, le sens de l’action et de la communication, le brio et l’énergie, tous éléments qui en quelques mois l’ont propulsé en tête des responsables politiques préférés des Français. Si l’on y ajoute son total dévouement à la personne du Chef de l’État, on aura le portrait idéal d’un Premier ministre pour Président voulant prendre les choses directement en main.
Nous voilà dans le style devenu classique de la Ve République présidentialisée. Rien ne manque : la formation dans l’éxécutif d’une garde rapprochée en sus de Gabriel Attal, avec Prisca Thevenot au renouveau démocratique et au porte-parolat, Stéphane Séjourné à l’Europe et aux Affaires étrangères, Marie Lebec aux relations avec le Parlement. Voilà la génération Macron en marche gouvernementale. Classique également, le congédiement des ministres ayant franchi la ligne jaune de l’espace présidentiel ou s’étant montré critiques, comme la ministre de la Culture, ou celle des Affaires étrangères.
Le cas de Stéphane Séjourné relève de la lecture hypertexte : promu en tant qu’européaniste et fidèle d’Emmanuel Macron, sa nomination s’interprète aussi comme une exfiltration du Parlement européen. Le voici dispensé d’être le leader naturel de la liste de la majorité présidentielle, son départ libérant la place pour une personnalité plus marquante et plus rassembleuse pour combattre le RN.
La priorité n’est plus aux mains tendues et aux négociations, dont l’Exécutif a pu mesurer la vanité. Par sa composition, ce gouvernement indique un changement profond de stratégie. L’heure est désormais à rendre l’action et le travail de terrain plus visibles. Emmenés par Gabriel Attal, les ministres doivent multiplier les lieux d’intervention, prendre à rebours voire devancer les partis d’opposition. Et par cette tactique de contournement, saper leurs arrières en les plaçant en contradiction avec l’opinion publique.
Cette stratégie tout terrain de l’offensive s’accompagne d’un efficace travail d’approche individuelle des membres de l’opposition. Particulièrement à droite car du côté de la gauche, tant que rôdera la tentation de la Nupes et la nostalgie des anciens responsables, il y a peu à glaner.
On observe naturellement que sur les 15 ministres déjà désignés, huit viennent de la droite : c’est que celle-ci, déchirée et inquiétée par les prélèvements du RN dans son électorat, a un urgent besoin de retrouver son centre de gravité.
L’interconnexion avec les réseaux sarkozistes a permis l’enrôlement d’une Rachida Dati, « nouvelle Madone » de la rue de Valois qui trouble profondément des Républicains en pleine incertitude.
Si le changement de gouvernement peut offrir un moment de ciel bleu au président, le fossé est encore profond qui sépare les Français de leurs gouvernants. Si l’on voit clairement l’écueil que le président Macron veut contourner, on mesure aussi la fragilité des moyens d’y parvenir, avec une majorité de plus en plus relative. Dans ce climat de doute profond quant à l’efficience des dirigeants, il est effectivement essentiel de fixer un cap pour la Nation. Cap sans lequel on s’exposerait au risque dévastateur d’un orage à sec.
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