Justice : une indépendance contestée

Justice : une indépendance contestée

Justice : une confiance à restaurer
Publié: 1 juin 2021, 21:24 CEST •Mis à jour le : 15 octobre 2021, 19:26 CEST
auteur
Kassandra Goni
Doctorante en droit public, thèse portant sur la protection de la liberté individuelle sous la direction du Pr. HOURQUEBIE, CERCCLE (EA 7436), Université de Bordeaux

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Kassandra Goni ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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Kassandra Goni
Doctorante en droit public, thèse portant sur la protection de la liberté individuelle sous la direction du Pr. HOURQUEBIE, CERCCLE (EA 7436), Université de Bordeaux dans The Conversation

Qu’est-ce que la séparation des pouvoirs ?

Dans un premier temps, revenons sur la définition de la séparation des pouvoirs. La séparation des pouvoirs consiste en une division des trois grandes fonctions d’un État, à savoir : l’élaboration des lois (fonction législative), l’exécution des lois (fonction exécutive) et le règlement des litiges (la fonction juridictionnelle).

Ces trois fonctions doivent être exercées par des organes différents et indépendants les uns des autres. Ainsi, le pouvoir législatif est détenu par les assemblées, le pouvoir exécutif par le Gouvernement et le chef de l’État. La fonction juridictionnelle est, quant à elle, détenue par les différents tribunaux.

Montesquieu est considéré comme le penseur moderne de la séparation des pouvoirs. Dans son œuvre fondatrice, L’Esprit des lois, le philosophe trouve en la séparation des pouvoirs une solution contre l’arbitraire.

« Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire les lois, celui d’exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers. »

L’histoire de la justice en France est celle d’une défiance plus ou moins affirmée envers les juges. Celle-ci trouve notamment son fondement dans le rôle des Parlements sous l’Ancien Régime. Sous cette période, ces derniers sont des organes de la justice royale. Progressivement, ils ont obtenu la possibilité de faire des remontrances vis-à-vis des lois qu’ils appliquaient. Le droit de remontrance consistait donc en la possibilité de « présenter au roi des objections lorsqu’un texte de loi ne leur paraît pas conforme à l’intérêt de l’État ou au bien public ». Or, il a été utilisé comme un véritable droit de veto pour s’opposer au pouvoir et ne pas enregistrer les ordonnances royales.

Cela a conduit à des relations conflictuelles entre le roi et les Parlements notamment en raison des remontrances itératives. Ces dernières permettent au Parlement d’exprimer une nouvelle fois leurs objections quant au texte à enregistrer. Cela conduit parfois à un lit de justice par lequel le Roi va ordonner l’enregistrement du texte. Il a donc existé un réel bras de fer entre le pouvoir royal et les Parlements sous l’Ancien Régime. Depuis lors, il existe une défiance, une peur du Gouvernement des juges c’est-à-dire une peur que les juges tentent d’imposer leurs décisions aux pouvoirs politiques.

Ces actions des Parlements ont été utilisées après la Révolution pour minimiser le rôle et le pouvoir des juges. Ce constat historique s’est trouvé conforté par un argument présent dans la théorie de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. En effet, ce dernier considérait que « le juge est la bouche qui prononce les paroles de la loi » et que « des trois puissances, celle de juger est nulle ».

Ainsi, les constituants de 1789 à 1958 se sont appuyés sur ces deux éléments pour mettre à l’écart les juges et ne point consacrer un véritable pouvoir juridictionnel indépendant du pouvoir politique.

200 ans plus tard, on retrouve cette méfiance envers les juges dans la Constitution de la Vᵉ République. En effet, un pouvoir judiciaire ou juridictionnel n’est aucunement consacré. Les constituants ont même fait le choix d’exclure du texte constitutionnel la justice administrative considérant notamment que celle-ci ne pouvait répondre aux exigences suffisantes d’indépendance. Ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958, dans son titre VIII, consacre « l’autorité judiciaire » ainsi que son indépendance, sans véritablement l’élever au rang de pouvoir.

Aujourd’hui, la méfiance historique envers les juges prend la forme d’un manque de confiance de la population dans les institutions juridictionnelles.

En effet, les différents sondages qui ont été menés le démontrent. Pour exemple, en 2020, Le Point demandait à son lectorat s’ils avaient confiance dans la justice de leur pays. La réponse fut négative à environ 77 %.

Pour de nombreuses personnes venues manifester le 19 mai à Paris, le garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti, incarne le laxisme de la justice. Thomas Coex/AFP
Cette tendance négative se confirme par le sondage de l’IFOP sur les Français et la justice. Environ 1 français sur 2 déclare ne pas avoir confiance en la justice. De plus, 53 % considèrent que les juges ne sont pas neutres et impartiaux et 55 % estiment que les juges ne sont pas indépendants du pouvoir politique. Enfin, seulement 34 % des personnes interrogées considèrent que les juges prononcent des peines adaptées.

De même, une enquête du Cevipof de février 2021 constate que plus de 50 % des Français n’ont pas confiance en la justice.

Ces indicateurs statistiques font état d’une véritable crise de confiance. Les évènements du 19 mai 2021 sont donc symptomatiques d’une certaine désillusion vis-à-vis de la justice. Mais les défaillances de cette dernière ne doivent pas conduire à affaiblir son indépendance.

Comme a pu le dire la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović :

« l’indépendance de la justice sous-tend l’État de droit et elle est indispensable au fonctionnement de la démocratie et au respect des droits de l’homme. »

Il existe un besoin impérieux de restaurer le lien de confiance entre la population et la justice en France afin qu’à l’avenir ne soient plus remises en cause la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.

Or, un mois avant la manifestation, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a présenté un projet de loi « pour la confiance en l’institution judiciaire ». Celui-ci a justement pour ambition de remédier au manque de confiance qu’ont les citoyens dans la justice française. Cependant, Le Monde rapporte l’insuffisance du projet. En effet, ce projet « fait l’impasse sur une réforme du parquet et les “remontées d’information” vers la chancellerie ». Ainsi, il ne permet pas de résoudre et de renforcer véritablement l’indépendance de la justice.

Cependant, une commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire a été créée le 7 janvier 2020 à l’Assemblée nationale.

Présidée par le député Ugo Bernalicis, elle a pour objectif de formuler des propositions pour « garantir pleinement l’indépendance de la justice ». Le rapport d’enquête du 2 septembre 2020 fait état de 41 propositions pour renforcer l’indépendance de la justice. Elles se structurent autour de 3 axes : des garanties renforcées d’indépendance, des moyens supplémentaires pour l’autorité judiciaire et une plus grande transparence.

Certes des évolutions sont encore à mener, mais des événements d’actualité ne doivent pas conduire à remettre en cause des piliers fondamentaux de la démocratie à savoir la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice. L’enjeu est important : le maintien de l’État de droit et de la démocratie.

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