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Européennes: Raphaël Glucksmann: un espoir pour la gauche ?

Européennes: Raphaël Glucksmann: un espoir pour la gauche ?

Jamais encarté dans un parti, le député européen Raphaël Glucksmann sera la tête de liste des socialistes aux élections européennes de juin. Il incarne le nouvel espoir d’une gauche toujours très malade de ces contradictions. Interview dans la tribune.

- Le projet de loi immigration ouvre une crise politique qui percute le second mandat d’Emmanuel Macron. Que dit-elle selon vous de sa pratique du pouvoir ?

RAPHAËL GLUCKSMANN – C’est à la fois un naufrage idéologique et une politique de gribouille. La faiblesse profonde de ceux qui ont le pouvoir a offert au Rassemblement national un triomphe idéologique et politique majeur sur le sujet qui constitue le cœur de sa vision du monde. Cette défaite-là, nous allons la payer dans les mois et les années qui viennent. Ce n’est pas juste un moment ou une séquence comme on adore dire en politique, c’est une crise. Nous n’avons pas encore perdu les élections face à l’extrême droite, mais nous semblons avoir déjà perdu la bataille idéologique. Tant qu’on n’aura pas de cap clair face au RN, on peut faire tout ce qu’on veut pour les amadouer, transgresser toutes les lignes rouges, ça les fera progresser. Vous avez vu le sourire de Marine Le Pen ? Quelles que soient les contorsions du président à la télévision pour nous expliquer qu’il s’agit d’une défaite de l’extrême droite, ce sourire restera la vérité du moment.

Le texte touche à plusieurs totems : le droit du sol, la déchéance de nationalité, les quotas, la préférence nationale… sans que cela ne soulève aucun débat dans la société. La France s’est-elle droitisée ou est-elle résignée ?

Il y a une droitisation réelle, en particulier sur les questions d’immigration. Et il y a aussi, en face, un abattement, une forme de résignation. Comme si ceux qui portent une vision humaniste de la République avaient déjà perdu. Il n’y a pas que CNews en France, il y a aussi des millions de citoyens qui attendent une autre offre. Et c’est ce qui permettra de sortir de cette impression de plus en plus partagée de défaite inexorable.

Que dites-vous aux macronistes qui se sont abstenus ou ont voté contre le texte ?

Je les remercie d’avoir tenu bon. Ils ont fait primer leurs convictions sur les logiques d’appareil et sur les pressions hiérarchiques : c’est le premier pas d’un être libre. Emmanuel Macron a trahi sa promesse d’ouverture et de modernité, mais y a-t-il jamais vraiment cru ? Cette année, qui a commencé par la réforme des retraites et s’est conclue par la loi Darmanin, marque en tout cas la mort du « et en même temps ». À nous de faire émerger une alternative, dès l’année prochaine aux élections européennes.

La Nupes a voté comme un seul homme contre le texte. Cela veut-il dire qu’elle n’est pas morte, comme l’affirme Jean-Luc Mélenchon ?

Qu’il y ait une opposition unanime à ce texte est une excellente chose ! Mais le projet que l’on porte sur la question européenne n’est évidemment pas le même que celui de Jean-Luc Mélenchon, ni même du Parti communiste. Nos différences sont fondamentales, ce ne sont pas des nuances. Nous ne sommes pas d’accord sur ce que nous voulons faire de l’Union européenne, sur l’émergence d’une véritable puissance politique européenne, sur la guerre en Ukraine, qui ébranle notre continent, sur les relations de l’Europe et du monde. Pour qu’il y ait union, il faudrait s’accorder sur des principes que Jean-Luc Mélenchon bafoue. Et, pour qu’une alternative émerge, il faut d’abord de la clarté.

Vous serez tête de liste aux élections européennes, soutenu par le Parti socialiste, qui a suspendu sa participation à la Nupes. Ce n’est pas forcément clair pour tout le monde.

On pourra tout me reprocher, mais pas l’absence de clarté. Nous avons toujours assumé ces divergences de fond sur l’Europe et nous avons expliqué depuis le début avec Place publique qu’elles devaient logiquement se traduire en offres politiques différentes aux élections européennes de 2024. Et je suis convaincu qu’une large majorité des électeurs de gauche, y compris parmi ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon aux dernières présidentielles, vont trancher le 9 juin. On va se rendre compte ce jour-là à quel point l’attachement viscéral à la construction européenne, à la démocratie, aux droits humains reste dominant au sein de la gauche française.

Daniel Cohn-Bendit, qui vous a apporté son soutien, plaide pour une alliance entre socialistes, écologistes et radicaux de gauche. Vous aussi ?

Permettez-moi d’abord de me réjouir que Dany – sans doute la personnalité française qui a le plus incarné l’Europe ces dernières décennies – ait rompu avec l’illusion macroniste et nous apporte son soutien ! On s’est assez disputés sur Emmanuel Macron depuis 2017 pour que je souligne combien cette bascule est importante et qu’elle en appelle d’autres. Sur votre question, j’ai appris que les dynamiques politiques en plein jour comptent infiniment plus que les négociations de salles obscures. Quand on a lancé Place publique fin 2018, on a mis tout le monde autour d’une table en cherchant à trouver le plus petit dénominateur commun. Ça ne marche pas. Donc je suis totalement focalisé sur notre propre dynamique. Il faut que les sondages augmentent, qu’il y ait des milliers de jeunes qui nous rejoignent, comme c’est le cas actuellement, qu’on fasse une campagne enthousiasmante, que nous devenions un aimant politique et alors on verra. Nous serons toujours ouverts aux gens qui partagent notre vision de l’Europe, mais nous n’attendrons personne.

C’est le 9 juin 2024 qu’on doit renverser la table… ces élections sont vitales !

Sur quel thème allez-vous faire campagne ? Vous êtes le candidat de quoi ?

Du refus de l’impuissance ! Le candidat d’une puissance européenne écologique et solidaire qui défend ses principes et ses intérêts avec force, le candidat d’un grand take back control européen – oui, le fameux slogan des Brexiters, mais porté à l’échelle continentale. Le candidat d’une Europe qui s’affirme face aux empires autoritaires qui attaquent nos démocraties, face aux multinationales qui n’obéissent à aucune règle, face à la catastrophe climatique qui menace de tout emporter et face aux grands intérêts privés qui minent l’intérêt général. Le candidat d’une Europe adulte qui construit enfin sa propre défense sans dépendre des élections dans le Michigan pour savoir si Varsovie ou Berlin seront défendus. Le candidat de la fin de l’impunité des puissants et celui de la relocalisation de la production en rompant avec le dogme du libre-échange. Nous irons parler aux agriculteurs, aux pêcheurs, aux habitants des zones désindustrialisées qui voient dans l’UE un cheval de Troie de la globalisation néolibérale. Et nous leur dirons que les choses peuvent changer. L’Europe sera la solution à leurs problèmes si nous sommes assez forts en 2024 pour changer les politiques industrielles, commerciales, économiques de l’Union. Faire émerger cette puissance européenne, démocratique et juste, c’est le combat de ma vie !

Faites-vous partie de ceux qui pensent que Jean-Luc Mélenchon est le problème ou en tout cas l’obstacle au rassemblement de la gauche pour 2027 ?

Je refuse d’enjamber les élections européennes ! Nous commettrions tous une erreur immense si on lançait dès aujourd’hui un débat sur 2027. C’est le 9 juin 2024 qu’on doit renverser la table. Notre continent est en guerre, nos démocraties sont attaquées à l’extérieur et à l’intérieur, Trump va peut-être redevenir président des États-Unis la même année, la catastrophe climatique n’attend pas : ces élections sont vitales !

François Ruffin pourrait-il être un bon candidat pour la gauche en 2027 ?

Ce qui est certain, c’est que Ruffin fait du bien à la politique. Sur les questions sociales, il est la voix aujourd’hui qui porte le plus car elle respire la sincérité. Je ne sais pas ce qu’il pense de plein de sujets cruciaux, sur l’Europe notamment, mais sa parole est originale, revigorante. Pour parler au-delà des sphères militantes, il faut sortir du pavlovisme et de sa zone de confort. Romain Gary s’est posé une question qui m’accompagne depuis l’adolescence : pourquoi les élites françaises n’ont-elles pas suivi le général de Gaulle à Londres ? Ce n’est pas parce qu’elles étaient pronazies, ni pro-allemandes, ni violemment antisémites. La vraie raison, c’est qu’elles aimaient trop leurs meubles. C’est très compliqué de sortir de ses meubles idéologiques ou militants. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation démocratique tellement grave que le fait de refuser de déplacer les meubles du salon quand la maison est en train de cramer c’est consentir à mourir. On a besoin de démarches qui soient sincères et empruntent des chemins différents. Et c’est ce que fait François Ruffin.

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