Quelle évolution des prix du pétrole
La stratégie de réduction des volumes de production telle qu’elle a été conçue par l’Arabie Saoudite et la Russie avait pour objectif de hisser le prix du baril au-delà des projections du marché. D’une zone de 65 à 75 dollars le baril, l’Opep+ souhaitait obtenir une fourchette de 85 à 95 dollars. Ce niveau de prix satisfaisant à la fois la Russie pour financer une guerre en Ukraine qu’elle n’avait pas prévue dans la durée, et l’Arabie Saoudite qui dans le cadre du plan Vision 2030 doit faire face à un très ambitieux programme d’investissement de 7.000 milliards de dollars. Force est de constater que, malgré une grande volatilité, le cours du baril de Brent se maintient malgré tout dans la partie basse de la fourchette, avec des passages sous les 80 dollars le baril. Les perspectives de croissance mondiale 2023-2024 ne semblent pas au rendez-vous, et assombrissent la demande. Le ralentissement chinois y participe. Il faut également considérer l’impact des énergies renouvelables. Ces tendances se sont confirmées par la perspective d’une décroissance de la demande mondiale de brut avant la fin de cette décennie, comme l’a affirmé pour la première fois l’Agence internationale pour l’énergie (AIE), au mois de juin.
par Par Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils dans » la Tribune »
A cela s’ajoute la stratégie mise en place par les États-Unis pour compenser les réductions de production de l’Opep+ qui fut la plus contributive au maintien des prix du brut dans la fourchette basse. Ne pas réagir, conduisait à accepter un baril de pétrole à des prix élevés, et en conséquence une augmentation de la pression inflationniste mondiale. Or les banques centrales et les gouvernements de tous les pays industriels ont mis en place des politiques visant à réduire cette inflation.
La stratégie la plus rapide — et la plus impactante — fut la décision, relevant de l’autorité présidentielle américaine, d’utiliser le très haut niveau des réserves stratégiques pétrolières fédérales (SPR Strategic Petroleum Reserve, mises en place après le deuxième choc pétrolier de 1979). Les États-Unis ont ainsi mis sur le marché 245 millions de barils entre le 1er janvier 2022 et aujourd’hui. Cela équivaut à presque 400.000 barils par jour, sur cette période de 22 mois ! Outre ce volume important, l’autre avantage du dispositif a résidé dans sa mise en œuvre quasi-immédiate.
La décision d’intervenir sur le niveau des stocks fédéraux stratégiques a constitué le 1er volet de la réponse. Le 2e a consisté à poursuivre la hausse de la production pétrolière journalière américaine.
Les États-Unis après avoir atteint le rang de premier producteur mondial de pétrole en 2019 avait hissé leur niveau de production au niveau record de 13,1 millions de barils par jour (mb/j) en février 2020. L’impact mondial de la crise sanitaire du Covid-19 a provoqué une modification rapide et importante dans la mobilité mondiale des personnes et des marchandises, immédiatement répercutée sur la demande et la production pétrolière mondiale. A l’automne 2020 la production américaine est brièvement repassée sous le seuil des 10 mb/j.
Depuis lors, cette production a repris son chemin ascendant, comme l’illustre le graphique ci-dessous. Elle vient de se hisser à un nouveau niveau record de 13,2 mb/j pendant les 7 dernières semaines.
Les prévisions de l’EIA (Energy Information Administration) projettent pour 2024 une légère progression de la production américaine, mais une augmentation d’1 mb/j provenant des pays non OPEP+.
Pendant qu’au siège de l’Opep à Vienne, on organise les réductions de production parmi les États membres, d’autres pays n’appartenant pas à cette organisation développent leur production depuis des années.
Il convient de citer en premier lieu le Canada qui s’est hissé au rang de 4e producteur mondial de pétrole, et qui après avoir dépassé les 4 mb/j s’approche des 5 mb/j pour le seul pétrole brut.
Le Mexique, qui après avoir vécu une régulière diminution de sa production et s’être rapproché des 1,5 mb/j voit celle-ci régulièrement augmenter, et se rapprocher des 2 mb/d.
Sur le sud du continent américain, le Brésil, qui se place en 7e position des producteurs mondiaux, dépasse les 4 mb/d après avoir atteint les 3 mb/d en 2023.
Cette dynamique est créatrice de renversements qui n’ont pas été jusqu’ici suffisamment mis en lumière.
La dynamique du marché nord-américain a déplacé une situation pétrolière historique entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite. La révolution du pétrole de schiste en Amérique du nord a conduit le pays a réduire d’autant ses importations. Le développement de la production canadienne a fait de ce pays frontalier une naturelle source d’importation pour les Etats-Unis.
Du cumul de ces deux tendances, il s’en est suivie une naturelle diminution des importations des Etats-Unis en provenance d’une de ses sources privilégiées d’importation : l’Arabie Saoudite.
Les évolutions de production pétrolière ont des conséquences géopolitiques. La seule façon dont « les États-Unis se retirent du Moyen-Orient » comme on a très souvent entendu dire, ce n’est nullement d’un point de vue politique, diplomatique, ou militaire, mais économiquement, en y achetant moins de pétrole, parce que leurs besoins d’importation ont été pratiquement divisés par deux. Ils ont atteint 11 mb/j, et se situent maintenant autour de 6 mb/j… En conséquence, les parts de marché sont plus mobiles qu’il y paraît.
Tout se passe comme s’il y avait de la part des principaux producteurs de toute la zone des Amériques, nord, centrale, et sud, une augmentation de production qui, cumulée, non seulement compense les restrictions imposées par l’Opep+, mais assure le million de barils annuel supplémentaire pour accompagner l’évolution actuelle du marché mondial du brut.
De ce fait, les volumes retenus par l’Opep+ sont autant de pourcentage de part de marché dont elle se prive, et dont les pays de la zone américaine s’emparent. Certes, il ne s’agit que de 2 à 3% mais ce sont des pourcentages du marché mondial, et des volumes que certains pays producteurs de l’OPEP+ ne sont pas spécialement satisfaits de voir partir. Les négociations à l’intérieur de cette organisation ne sont peut-être pas aussi unanimes qu’il y paraît, et elles pourraient devenir plus tendues au cours des prochains mois.
Continuer à diminuer la production reviendrait aussi à diminuer la part de marché des producteurs de l’Opep. De plus, une telle stratégie contribuerait par l’augmentation des prix du brut à relancer l’inflation et diminuer la croissance mondiale.
Or la Chine ne souhaite certainement pas voir poindre un tel scénario. Son ralentissement économique constitue sa première préoccupation. Premier importateur mondial de pétrole, elle a la capacité de se faire entendre auprès de ses fournisseurs, dont l’Arabie Saoudite qui a remplacé les Etats-Unis comme premier fournisseur de pétrole.
La prochaine réunion de l’OPEP+ le 30 novembre pourrait avoir, dans les couloirs, un agenda plus agité qu’il y paraît.
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(*) Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté
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