Banques centrales: Des marges de manœuvre étroites et inquiétantes
Après plus d’un an de hausses, le relèvement des taux directeurs des banques centrales marque une pause. Fin octobre, la Réserve fédérale américaine (Fed) ainsi que la Banque centrale européenne (BCE) ont ainsi décidé de laisser leurs principaux taux à leur niveau de juillet, à savoir respectivement 5,5 % et 4,5 %. Le relèvement des taux entamé mi-2022 était motivé par la nécessité de contenir l’inflation qui a fait son grand retour après l’épidémie de Covid-19. En prêtant plus cher aux banques commerciales qui se financent auprès des banques centrales, le crédit devient plus cher pour les entreprises et les ménages, ce qui ralentit l’investissement et la consommation et rééquilibre l’offre et la demande pour peser sur le niveau des prix. Or, sur le front de l’inflation, on a constaté un ralentissement ces dernières semaines. Au mois d’octobre, les prix n’ont augmenté que de 2,9 % sur un an dans la zone euro contre 4,3 % en septembre. Aux États-Unis, l’inflation est restée stable à 3,7 % sur un an en septembre mais montre des signes de ralentissement.
par
Irina Zviadadze
Associate Professor of Finance, HEC Paris Business School dans The Conversation
Est-ce que cela signifie que les politiques monétaires sont en bonne voie pour atteindre leurs objectifs, à savoir un taux de 2 % des côtés de l’Atlantique ? La réponse est plus nuancée. En effet, les banques centrales ne considèrent pas encore que l’épisode de forte inflation est terminé. Le 1er novembre, le président de la Fed, Jerome Powell, a par exemple averti qu’une baisse durable « prendra du temps ». Depuis juillet dernier, la croissance américaine a ainsi accéléré tandis que l’inflation refluait, deux tendances que les grands argentiers ne pensaient pas observer simultanément.
Cette prudence peut notamment s’expliquer par la manière dont les banques centrales prennent leurs décisions. Les politiques monétaires se fondent sur des règles et des écarts par rapport à ces règles. La règle de Taylor, par exemple, suggère que le taux d’intérêt d’équilibre se situe 2 % au-dessus du taux annuel d’inflation, et que la banque centrale doit baisser ou relever ses taux d’intérêt en fonction de l’écart du taux d’inflation et du taux de croissance réel du PIB par rapport à leurs cibles.
Cependant, toutes les décisions des banques centrales ne sont pas guidées par des règles ; elles reposent également sur leur pouvoir discrétionnaire. Ces décisions hors règles peuvent refléter un conflit entre des pressions politiques à court terme et les objectifs économiques à long terme ou encore constituer une réponse exceptionnelle à une crise.
Naturellement, ce pouvoir discrétionnaire implique une nouvelle source d’incertitude et de risque pour l’économie, comme nous avons pu le constater dans nos récentes recherches. Par exemple, en ce qui concerne une obligation d’État à 10 ans, 20 % du montant de la prime de risque peut être attribué à la politique discrétionnaire. Or, plus les primes de risque sont élevées, plus le coût des emprunts l’est, avec un risque accru que les particuliers et les entreprises se soustraient au remboursement de leurs prêts.
Cette incertitude affecte donc les dépenses et les emprunts. Surtout que, comme le montrent nos travaux, les décisions qui s’appuient davantage sur le volet discrétionnaire que sur les règles présentent des effets plus favorables en termes de croissance.
Autrement dit, si la pause dans la hausse des taux observée ces dernières semaines est d’abord motivée par des éléments discrétionnaires, le rythme de croissance pourrait rester soutenu aux États-Unis dans les prochains mois – avec des conséquences encore incertaines sur le niveau de l’inflation. On comprend mieux dans ce contexte la prudence de la Fed.
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