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Après les Gilets jaunes, des crises répétées , pourquoi ?

Après les Gilets jaunes, des crises répétées , pourquoi ?


Il y a cinq ans, les Gilets jaunes. La mobilisation née à l’automne 2018 de revendications sur le coût du carburant éclaire les contestations sociales survenues en 2023. Le mouvement n’existe plus dans son organisation initiale mais s’est diffusé et persiste sous d’autres signes. « Le système politique n’arrive plus à expliquer cette énigme que beaucoup de gens vivent : pourquoi je galère alors que je vis dans un pays riche ? », montrent les chercheurs en science politique Magali Della Sudda (Sciences Po Bordeaux, Centre Emile Durkheim) et Bruno Cautrès (Sciences Po, Cevipof).

( interview dans La Tribune)

Cinq ans après l’irruption du mouvement des Gilets jaunes et l’expression d’une crise sociale latente. Quels sont les signes encore visibles à travers les entretiens que vous menez toujours ?

Magali DELLA SUDDA, chercheuse à Sciences Po Bordeaux / Centre Émile Durkheim – Aujourd’hui, le mouvement n’existe plus sous sa forme massive de manifestation le samedi et d’occupation des ronds-points, sauf cas particuliers. Le rond-point des azalées à La Réunion est occupé nuit et jour, c’est un lieu de vie et de culture. Dans le Sud-Ouest, on a des ronds-points encore actifs dans le Lot-et-Garonne. Cette forme-là est vraiment sporadique. Les participantes et les participants aux Gilets jaunes, pour beaucoup, nous les retrouvons dans les luttes sociales autour des retraites. Ce qui n’est pas une surprise car dans nos questionnaires le sujet revenait chez 50 % des personnes interrogées.

Bruno CAUTRÈS, chercheur à Sciences Po / Cevipof – J’ai un vrai doute sur le fait que le mouvement pourrait repartir tel qu’il s’est formé au début. Les dégâts sont trop importants dans la vie des gens, et pas seulement pour les mutilés. Les personnes qui ont été condamnés pour des dégradations ont été marquées. Beaucoup de Gilets jaunes ont tourné la page. Parmi les leaders médiatiques, certains se sentaient menacés ou étaient trop perturbés par rapport à cette période. Mais les problèmes sont toujours là et dans les profondeurs de la mémoire du pays, tout le monde se rappelle de ces samedis.

Les revendications du mouvement lui ont-elles survécu ?

Bruno CAUTRÈS – Les choses ne sont pas univoques. Il y a des effets, comme sur la demande de démocratie directe et de référendum, qui est à l’ordre du jour des rencontres de Saint-Denis aujourd’hui. Cela amène des réflexions même cinq ans après. Mais on voit que la demande d’ordre public est très importante dans le pays car le politique ne comprend pas qu’il y ait une addition d’épisodes éruptifs. Ce sont des crises répétées qu’on n’arrive pas à résoudre.

Une cinquantaine de chercheurs en France mène des projets de recherche autour de la sociologie du mouvement des Gilets jaunes. Ces travaux, financés par l’Agence nationale de la recherche, ont notamment abouti à la publication en juin 2023 de l’ouvrage dirigé par Magali Della Sudda, Jean-Pierre Lefèvre et Pierre Robin, intitulé « De la valse des ronds points aux cahiers de la colère ».

Le sentiment d’injustice s’est d’ailleurs encore largement exprimé cette année lors de la mobilisation contre la réforme des retraites…

Magali DELLA SUDDA – Dans l’enquête, les personnes qui nous répondent ont autour de 45 ans. Ce sont des générations nées juste avant le bicentenaire de la Révolution française. Ces générations étaient à l’école élémentaire au moment où on a planté des arbres de la liberté, on les a fait participer à ce récit national en les habillant en sans-culottes. Il faut se souvenir de l’orchestration du défilé de Jean-Paul Goude sur les Champs-Élysées, d’autant plus important que les gens ont pu le voir à la télé. Tout ça pour dire qu’on a grandi dans cette idée que la République est un horizon émancipateur. Aujourd’hui, on se retrouve dans un monde qui produit de plus en plus de richesses mais où les personnes n’ont pas le sentiment de recevoir à la hauteur de ce qu’elles donnent. L’accès aux services publics est difficile alors qu’il allait de soi il y a vingt ans. Il y a un profond sentiment de mépris qui ressort aussi dans les entretiens.

Bruno CAUTRÈS – Je tiens à rappeler que ce que nous avions observé en décembre 2018, au moment de la collecte de données de l’enquête annuelle du Cevipof sur la confiance politique, était tellement impressionnant en terme de défiance. Les chutes de tous les indicateurs de confiance étaient massives, à tel point que je les considère comme le limite extrême de confiance qu’on peut avoir dans les institutions d’un régime démocratique. On était en gros entre 20 et 25 % de confiance, et même 9 % pour les partis politiques. C’est propre à la France. On a alors observé une connexion entre le sentiment de ne pas être représenté, la défiance politique et l’injustice sociale ressentie. Le système politique n’arrive plus à expliquer aux gens cette énigme que beaucoup de gens vivent : pourquoi je galère alors que je vis dans un pays riche ?

Comment le pouvoir politique a-t-il réagi à ce choc ?

Bruno CAUTRÈS – Je ne dis pas que le politique ne fait rien, il ne s’agit surtout pas de tomber dans la caricature, de dire qu’il faut tous les virer, ce qui serait extrêmement populiste. Le politique fait des choses, mais pas à la hauteur de la richesse du pays et des attentes des gens. Dans la foulée des Gilets jaunes, l’exécutif fait des tentatives, comme le « reste à charge zéro » sur certains soins de santé. Mais derrière, il reste toujours des inégalités de folie sur l’accès aux soins.

Quand vous regardez la trajectoire politique d’Emmanuel Macron et de l’exécutif de manière générale, on peut se demander si les Gilets jaunes n’ont pas en partie gagné. Le Président est sorti de la trajectoire initiale et ne l’a jamais retrouvée, il y a un avant et un après pour Emmanuel Macron également. Il y a des mots de l’univers macroniste qui ont disparu, comme « émancipation » ou « progrès ». Mais pendant toute la campagne de 2022, il n’y a pas un moment où il fait une proposition qu’il a entendu durant le Grand Débat national. Ça traduit chez lui à quel point il est difficile pour lui-même de reconnaître les limites de son modèle politique.

Quel regard porte-t-on sur les violences commises durant cette période ?

Magali DELLA SUDDA – Quand les travailleurs manuels perdent leurs mains, ils perdent tout. L’honneur des travailleurs, porté à travers les Gilets jaunes, s’effondre. Beaucoup de mutilés n’ont pas été indemnisés et ne le seront jamais. On a un problème de reconnaissance. Or, la reconnaissance va avec la confiance. L’expérience corporelle de ce qu’on a vu et vécu va provoquer une prise de risque physique et financière dans le fait d’aller manifester.

La question de la violence a fait fuir des personnes dès le début, tout comme l’évolution des thèmes. Quand la justice sociale, la question de la redistribution des richesses, l’écologie et l’opposition à la violence des forces de l’ordre deviennent des revendications, une partie des Gilets jaunes de la première heure, qui était là sur un mot d’ordre anti-fiscal, s’en va. C’est le moment où les ronds-points sont évacués. Ça a révélé des fractures territoriales, socio-économiques, culturelles aussi, c’est très clair sur l’écologie par exemple.

Bruno CAUTRÈS – C’est un autre ressort du drame social qui s’est joué : comment un pays aussi riche, développé et démocratique, peut gérer une crise avec de tels dégâts partout ? On a tous été marqués par des scènes inouïes et terrifiantes. Il reste dans la société, à l’état diffus, un sentiment de plus grande vulnérabilité.

En quoi les cinq années écoulées montrent-elles que le mouvement initial n’était pas anti-écologiste malgré son opposition à une taxe sur le carburant ?

Magali DELLA SUDDA – On a un certain nombre de personnes dans l’enquête qui étaient néo-manifestantes en 2018 et qu’on retrouve cinq ans plus tard à Sainte-Soline. C’est quelque chose qu’on ne pouvait pas imaginer. Rejoindre la cause des bassines n’a rien d’évident, ces personnes se disent « ça me concerne » alors qu’elles pourraient se dire qu’il ne s’agit que d’un problème d’agriculture locale dans les Deux-Sèvres. C’est le cas d’une partie significative des Gilets jaunes encore actifs.

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