Mathématiques à l’école : dès le plus jeune âge
Compte tenu du niveau global particulièrement décevant actuellement la coordinatrice du Collectif Maths&Sciences, Mélanie Guenais, estime nécessaire de renforcer la formation en sciences dès le plus jeune âge.(Dans une interview du Figaro)
Coordinatrice du Collectif Maths&Sciences et vice-présidente de la Société Mathématique de France, Mélanie Guenais est maîtresse de conférences en mathématiques.
Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé dimanche le retour d’un enseignement des mathématiques «obligatoire » à la rentrée 2023 pour tous les lycéens de la filière générale dès la classe de première, soldant l’une des mesures les plus controversées de la réforme Blanquer. Selon vous, est-ce suffisant pour enrayer le déclin du niveau des élèves en maths?
Mélanie GUENAIS. – Les évaluations qui montrent une baisse de niveau des élèves (Timss 2019 par exemple) concernent les classes de CM2 et de 4e. Par conséquent, une action sur le lycée n’a pas d’incidence sur le niveau d’élèves plus jeunes. Donc, s’il y a une influence, c’est avec beaucoup de décalage, parce que la formation en première pourra impacter le niveau de compétences des futurs enseignants de l’école et du collège, mais dans au moins sept ans. De plus, seuls les professeurs d’école seront concernés parce que les futurs profs de maths seront parmi ceux qui garderont la spécialité maths, enfin, je l’espère.
Pour les futurs profs d’école, il y a actuellement environ deux tiers des enseignants qui ont eu un bac S ou ES, avec un fort enseignement de maths au lycée (trois ou quatre heures en 1e et entre quatre et huit heures en terminale). Nous voyons bien qu’une heure et demie de math en première ne compense pas du tout ce qu’il y avait avant comme formation pour ces enseignants. Même les élèves de L avaient deux heures de maths jusqu’en terminale jusqu’en 2010. Donc actuellement, très peu d’enseignants n’ont pas fait de maths depuis la seconde: ce sont seulement ceux qui ont eu un bac L, et qui ont moins de 30 ans.
D’après le rapport du comité de consultation sur la place des maths au lycée du 21 mars 2022, les maths seront intégrées dans l’enseignement scientifique. Quel regard portez-vous sur ce choix? Risque-t-on de perdre l’ensemble des dimensions de la discipline?
La question de ce que sont les mathématiques est complexe. Les mathématiques sont en effet un outil indispensable pour la pratique des sciences qui sont très nombreuses et en lien avec les problèmes de la vie quotidienne: les sciences physiques et la technologie bien sûr, l’informatique et la gestion des données, les problèmes de l’intelligence artificielle, mais aussi tout ce qui concerne la modélisation et les statistiques: modèle de climat, gestion des ressources liées à l’écologie et aux géosciences, modèles d’épidémie ou de dynamique de population liés à la santé et la biodiversité, des statistiques liées à l’économie et la sociologie, la psychologie, les sciences du sport. Ce ne sont que des exemples parmi les multitudes de sujets que nous avons à traiter. En ce sens, voir qu’il y a des mathématiques dans un enseignement scientifique est intéressant. En revanche, les exemples cités nécessitent une bonne maîtrise des mathématiques, ils sont de haut niveau. Il est possible d’en donner des idées générales, une sorte de culture scientifique qui montre des liens mais pas vraiment de travailler les savoir-faire. C’est un autre objectif. Il sera difficile de faire pratiquer aux élèves de manière efficace les mathématiques dans ces contextes. Il n’est donc pas évident dans ce cadre de pouvoir garder une cohérence avec l’enjeu de la consolidation des automatismes en mathématiques.
Ceux voulant autant de sciences qu’avant en 1e S doivent avoir trois choix de sciences: maths et deux sciences. En terminale on en abandonne une, d’où le problème pour ceux briguant les filières avec des sciences, dont les maths.
Par ailleurs, les mathématiques ne sont pas seulement des outils, elles sont aussi travaillées pour elles-mêmes, c’est cela qui leur donne leur transversalité: un même objet mathématique peut apparaître dans des contextes très différents, et a priori sans rapport si nous ne connaissons pas le «modèle mathématique». Par exemple, au début on n’écrivait pas de la même manière les nombres selon qu’on parlait d’une quantité de grains ou de bétail. Utiliser la même écriture indépendamment des objets, c’est déjà penser les nombres comme une abstraction mathématique et on peut travailler dessus sans lien avec le concret. Il est donc nécessaire de travailler les mathématiques aussi en dehors d’un contexte appliqué aux sciences: sous d’autres formes qui peuvent être concrètes ou non, qui peuvent se traduire par des jeux, avec une réflexion sur la stratégie et un travail sur le raisonnement, ou par des liens avec des disciplines artistiques comme le dessin, l’origami, l’architecture, la poésie. Pour résumer, je dirais que si l’enseignement des maths est intégré dans l’enseignement scientifique, alors nous risquons d’arriver à des contenus qui, ou bien ne donneront qu’une vision partielle de ce que sont les maths, ou bien manqueront de cohérence d’ensemble.
L’option maths complémentaires, actuellement réservée aux élèves ayant suivi la spécialité maths, va s’ouvrir à tous. Quelles conséquences pour les élèves à profils scientifiques polyvalents?
Aujourd’hui, les élèves choisissent trois spécialités en première, et ceux qui veulent avoir autant de sciences qu’avant en 1e S doivent avoir trois choix de sciences: maths et deux sciences, souvent physique et SVT, ou physique et NSI. Mais en terminale il faut abandonner l’une des trois, et cela pose un problème pour les élèves qui veulent aller dans les filières dans lesquelles vont être travaillées plusieurs sciences, dont les maths: c’est le cas des géosciences par exemple, ou de la santé ou de la biologie qui allient SVT, physique et maths. Nous conseillons donc à ces élèves d’abandonner la spécialité maths et de choisir l’option maths de trois heures, qui est la seule solution pour garder ces trois disciplines. C’est le même problème avec les profils d’élèves qui souhaitent aller en économie et gestion: souvent, ils souhaitent avoir SES, maths et HGGSP ou anglais, et donc ils abandonnent la spécialité maths pour suivre MC. Pour résumer, cette option est présentée pour accéder à des formations scientifiques même si le volume de formation est faible pour être à l’aise dans certaines formations. Je pense aux classes préparatoires BCPST par exemple.
Mais si cette option est accessible pour tous les élèves qui ne suivent qu’une heure et demie de maths, alors ceux-ci risquent de se mettre en difficulté avec cet enseignement destiné aux élèves qui avaient fait spécialité maths en 1e. Donc il y a un risque de voir les contenus et les attendus diminuer, et dans ce cas, ce sera contradictoire avec l’idée qu’il s’agit d’un enseignement pour poursuivre des études scientifiques. Nous risquons de mettre tout le monde en difficulté dans cette option: soit c’est trop difficile pour ceux qui n’ont fait qu’une heure et demie en première, soit ceux qui vont en sciences l’année d’après seront en difficulté dans leurs études supérieures parce qu’ils n’auront pas assez approfondi les prérequis mathématiques pour l’accès aux formations.
Faire une épreuve anticipée en fin de première, et proposer deux niveaux de cours éviterait l’abandon précoce des mathématiques, ce qui donnerait une bonne visibilité pour les dossiers Parcoursup pour l’accès au supérieur.
Le gouvernement a aussi annoncé des objectifs chiffrés pour le taux de filles en maths et en sciences au lycée. Faut-il y voir une forme de discrimination positive? Est-ce une bonne manière de pousser les filles à se tourner vers les sciences?
Je pense que ces objectifs chiffrés ne sont pas du tout réalistes car ils ne reposent sur aucune proposition concrète qui permette de remonter le taux de filles de manière significative dans les classes de maths ou les parcours scientifiques pour les prochaines années. De la discrimination positive serait totalement contreproductive vu le système de choix. Imposer quoi que ce soit me semble douteux, c’est ce que dit le ministre aussi, heureusement. Certains dispositifs pourraient avoir un impact, et pas que pour les filles, parce que les milieux défavorisés socialement ou au niveau des territoires sont aussi concernés par ce problème: le principal résiderait dans une formation massive des équipes encadrantes aux stéréotypes de genre et sociaux. Mais c’est un dispositif de long terme, c’est-à-dire sur plus de dix ans. Les autres dispositifs, comme les rôles modèles ne font pas l’unanimité sur leur efficacité, et mobilisent de toute manière de nouveau les femmes scientifiques, minoritaires dans leur métier, sur leur temps de travail ou de leur vie privée. Cela suppose que ces actions doivent être financées et compensées à la hauteur de l’engagement que ces personnes devraient fournir pour avoir un impact. Il faut rappeler qu’une personne cadre scientifique dans le privé ou dans l’académique n’a pas de raison de travailler gratuitement pour pallier les effets pervers d’une réforme dont tous les acteurs de terrain avaient dénoncé les problèmes. Même les lycéens avaient manifesté leur opposition, c’était juste avant le Covid.
Pour résumer, en l’état actuel du système, il n’y a aucune chance d’obtenir la parité dans quatre ans dans les classes de maths. En terminale, le ministère de l’Éducation nationale dit que les filles sont 38 % en 2022, ce qui est encore une baisse par rapport à 2021 (39,6 %), et c’est absolument catastrophique. Sans changement radical de l’organisation, il n’y aura aucun effet permettant de retrouver rapidement le niveau des TS, où elles étaient arrivées à 47,5 %. Rappelons que les filles scientifiques de TS étaient 94.000 en 2019, elles ne sont plus que 36.000 avec des mathématiques en spécialité en 2021, et peut-être encore moins en 2022.
Que préconisez-vous pour améliorer l’enseignement en maths en France?
Vaste question. Nous pouvons distinguer cependant deux types de leviers à court terme ou à long terme. Ceux qui permettent des changements à court terme sur un ou deux ans sont les changements de structure, qui changent l’organisation du lycée. Il n’y en a aucun autre d’aussi rapide. C’est bien ce que nous avons vu avec les grands changements depuis la réforme. Dans ce cadre, pour faire remonter significativement la part des filles en maths et annuler l’abandon massif en première, une possibilité serait de traiter les maths et le français de la même manière. Nous pourrions alors faire une épreuve anticipée en fin de première, et proposer deux niveaux de cours pour ne pas décourager les élèves en difficulté et prendre du temps avec eux. Cela éviterait l’abandon précoce qui commence même dès le collège puisqu’il n’y a pas de note au bac. Cela donnerait une bonne visibilité pour les dossiers Parcoursup pour l’accès au supérieur. Il y aurait plus de filles dans les cours de maths de niveau avancé, qui pourrait être l’analogue de l’actuelle spécialité maths, car nous constatons actuellement un détournement de nombreuses filles qui ont pourtant un très bon niveau en seconde, peut-être parce qu’elles ont plus de choix et ont envie de voir de nouvelles choses. Un autre effet à court terme pourrait être de pouvoir garder les trois spécialités en terminale, même en imaginant deux majeures et une mineure, pour pouvoir choisir sa mineure. De cette manière, il y aurait moins d’abandon des maths en terminale, et plus de filles car les filières concernées sont très largement féminisées.
Il est aussi nécessaire d’agir sur le long terme pour pouvoir remonter le niveau des élèves et lutter contre les inégalités qui sont très fortes dans notre système scolaire. Pour cela, des actions de formation aux stéréotypes sont indispensables, l’amélioration de la transparence de l’impact des choix sur l’orientation et des réflexions importantes sur la formation initiale et continue de tous les enseignants, y compris les contractuels doivent être mises en place. Certains dispositifs ont déjà été lancés lors des dernières années par le ministère de l’Éducation nationale. Ils semblent aller dans la bonne direction, mais il semble important de les évaluer pour mesurer leur efficacité. Cela permettrait de les améliorer et les soutenir dans le temps.
Enfin, il y a une réflexion générale à mener sur la place des sciences dans notre société, dont on dit partout qu’elles sont de plus en plus indispensables pour comprendre notre monde en pleine transformation. Mais alors, quel message notre lycée envoie-t-il aux élèves lorsque le socle minimum de sciences ne représente que 12% de la formation en première et 7% en terminale ? Est-ce cela le véritable poids des sciences dans la société ? Il est essentiel de réfléchir à l’image des sciences que le système actuel du lycée envoie vers ses élèves, en pleine contradiction avec nos besoins pour l’avenir. Alors que trop peu d’élèves s’orientent vers les études scientifiques, cette image est un frein majeur à la valorisation des sciences. Il est indispensable et urgent d’y remédier.
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