Antisémitisme: le silence de Macron
La situation explosive de notre pays, notamment dans ce contexte de montée de l’antisémitisme, tranche avec le silence d’Emmanuel Macron ces dernières semaines, observe l’historien dans le Figaro. Thierry Lentz , historien et enseignant. Il vient de publier Sur les bords de la Seine… Histoire et secrets du tombeau de Napoléon, aux éditions Perrin.
Lorsqu’en 1958, les rédacteurs de la Constitution définirent le rôle du président de la République, ils lui accordèrent quoi qu’on en dise peu de compétences propres et de pouvoirs directs. C’est seulement la pratique et les réformes successives –dont celle du quinquennat- qui l’ont jeté dans l’arène du quotidien et autorisé à décider de (presque) tout. Il y a perdu non seulement de sa majesté mais aussi de sa légitimité en étant forcé de prendre parti sur les détails et de ferrailler avec des interlocuteurs qui, par définition, ne sont pas de son niveau. Il est en revanche un rôle auquel de Gaulle tenait et que les Français considèrent toujours comme un attribut exclusif du chef de l’État : montrer un chemin, résoudre par son habileté les crises complexes et, à un moment, se départir des contingences pour incarner la force de l’État, les intérêts de la Nation et la défense de la paix publique. La Constitution le murmure en faisant de lui le défenseur «du fonctionnement régulier des pouvoirs publics» et «le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités» (art. 5). Elle le confirme par les pouvoirs spéciaux de l’article 16. Mais en la matière, tout n’est pas dans le droit. Beaucoup est dans l’élection au suffrage universel. Le principal est dans l’homme.
Cette position gaullienne, forgée au sentiment historique que la France n’avait jamais vraiment tué son roi et renforcée au spectacle de l’impuissance du président Lebrun en 1940, réclame pour celui qui est assis sur le trône constitutionnel des qualités que notre pays a eu la chance de trouver (ou les électeurs la vista de déceler) dans tous les présidents élus après le Général. Jusqu’au quinquennat de Nicolas Sarkozy, les titulaires de la fonction étaient moins attachés à coller aux modes vestimentaires et oratoires, ils privilégiaient en effet la gravité de leurs fonctions, la supériorité de leur position, en même temps qu’ils se soumettaient à la souvent cruelle réalité du monde. Mais quel que soit leur style, les présidents de la Ve République surent au moment opportun, prendre la parole, dire les enjeux, montrer la voie et parfois taper sur la table. François Mitterrand et Jacques Chirac s’en délectaient d’ailleurs. Même le si moqué François Hollande sut trouver les mots et la posture pour rassurer ses compatriotes au soir des attentats de 2015 et les convaincre de la nécessité de l’intervention au Mali. On aimerait pouvoir adresser les mêmes satisfecits d’un citoyen attentif et respectueux de la parole publique à son successeur. Mais après six années de présidence, M. Macron a toujours beaucoup parlé mais, principe du « en même temps » gâtant tout, il n’a jamais dit grand-chose. En tout cas jamais éclairci ce qu’il voulait vraiment faire.
L’immigration est vécue comme une agression contre notre mode de vie, les associations décident de la politique de la France, les OQTF sont sans effet, les infractions commises par les étrangers en situation irrégulière se multiplient : Emmanuel Macron n’en dit mot.
La séquence que nous vivons ces dernières semaines en est une nouvelle illustration. Le président se tait, sauf pour parler de la constitutionnalisation de l’IVG et de son avenir personnel qui, dans les heures présentes, n’intéresse que lui. Pendant ce temps, «la maison brûle», les Français se divisent et angoissent, la partition du pays se poursuit. Le dénouement annoncé par Gérard Collomb au moment de quitter le ministère de l’Intérieur approche ; nous allons nous retrouver face à face. Une fois encore, M. Macron laisse passer sa chance historique mais, surtout, recule devant le rôle fondamental qui est le sien : guider, décider, ordonner. Tout se passe comme si le pilote avait quitté le cockpit pendant les turbulences pour aller parler de l’amélioration du menu avec les passagers de la classe « affaires ».
La justice n’en fait qu’à sa tête, la police est sous pression, les enseignants commencent à avoir peur, le système de santé poursuit son affaissement, la continuité de l’État est en péril : hors quelques phrases de compassion et coups de menton fugaces, M. Macron se tait. L’immigration est vécue comme une agression contre notre mode de vie, les associations décident de la politique de la France, les OQTF sont sans effet, les infractions commises par les étrangers en situation irrégulière se multiplient : Emmanuel Macron n’en dit mot. Trente-cinq de nos compatriotes sont assassinés et une demi-douzaine d’autres sont retenus en otage : M. Macron ne dit toujours rien, en tout cas rien de bien ferme et de faisable (cf. sa « tournée-fiasco au Proche-Orient). Des manifestations tournent à la revendication islamiste, les apologues du terrorisme peuplent le Palais-Bourbon et les partis politiques d’extrême gauche, des imams se permettent de remettre en cause la laïcité, nos compatriotes juifs sont menacés et insultés tous les jours, à commencer par des représentants de la Nation : pas un mot fort et solennel du président.
Emmanuel Macron n’a rien à perdre, il peut avoir un rôle courageux et marquer ses dernières années de fonctions par dix minutes d’allocution solennelle, suivie d’action.
Pauvre Gérald Darmanin qui écope comme il peut et doit se sentir bien seul ! Si encore la première ministre l’aidait et tentait de donner un élan et une force au reste du gouvernement, il pourrait se sentir le bras armé d’une équipe décidée. Au lieu de cela, elle abandonne son collaborateur en rase campagne sinon en envoyant M. Veran courir les plateaux pour énoncer quelques platitudes sans surprise. On est de gauche, tout de même, on ne veut pas faire le jeu de l’extrême droite. On veut maintenir le fameux «vivre-ensemble» qui n’existe que dans les rêves des élites parisiennes. Imagine-t-on de Gaulle, Mitterrand, Chirac et les autres laisser la situation se dégrader à ce point sans donner un cap, prendre de fortes décisions –y compris avec cynisme, mais là n’est pas la question- et s’adresser aux Français pour leur dire qu’ils tiennent le manche ?
Emmanuel Macron n’a rien à perdre, il peut avoir un rôle courageux et marquer ses dernières années de fonctions par dix minutes d’allocution solennelle, suivie d’action. Mais pour le moment, il laisse vide le trône constitutionnel.
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