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Immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile

Immigration : pour une véritable évaluation de notre politique d’asile

Une nouvelle loi sur l’immigration doit être discutée en novembre à l’Assemblée nationale. Il s’agirait du 29ᵉ texte voté depuis 1980 ; cela fait un tous les 17 mois. Le projet déposé en décembre 2022 envisage, outre une exonération, sous certaines conditions, du délai de carence de six mois avant de pouvoir travailler pour les demandeurs d’asile, un durcissement des règles du droit d’asile et une accélération des expulsions. Si le sujet occupe un espace central dans le débat politique français, les réalités de l’immigration, les concepts et les chiffres qu’elle recouvre restent cependant au mieux l’objet de confusions, au pire de falsification et de fantasmes.

On se retrouve souvent face à la figure du demandeur d’asile en guenille qui incarnerait toute ou partie de l’immigration avec l’idée que la France « ne peut pas accueillir toute la misère du monde », formule lancée par le Premier ministre Michel Rocard en décembre 1989 et maintes fois reprises depuis.

Par Benjamin Michallet, Chercheur en économie des réfugiés à PSE-École d’Économie de Paris, associé à la Chaire économie des migrations internationales et l’Institut Convergences Migrations, enseignant à IEP Paris, Sciences Po

Rechercher « migrants » dans un moteur de recherche, c’est s’exposer à des dizaines de photos de personnes en détresse tentant de traverser la méditerranée ou de longues colonnes de marcheurs le long de routes et barrières barbelées. Et ce plus encore alors que l’île italienne de Lampedusa revient à la Une des journaux, sujet à propos duquel le ministre de l’Intérieur français a affirmé une « position ferme » : la France « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa » sinon « les réfugiés politiques », a-t-il assuré.

La thématique des migrations fait pourtant l’objet de toujours plus de statistiques, de travaux et de publications au niveau international. Comme le rappelle, par exemple, François Héran, titulaire de la chaire Migrations et sociétés au Collège de France, dans un ouvrage récent, la prophétie du Tsunami migratoire ne s’est pas réalisée. En 2022, la France a pris en charge 16 % des demandes d’asiles adressées à l’Europe quand notre PIB représente 16,7 % du PIB européen. Au total, les titres de séjours octroyés au titre de l’Asile et d’étrangers malades représentent environ 13 % de l’ensemble des titres en 2022.

L’une des pierres d’achoppement du débat réside sans doute dans le maniement des mots et dans une confusion entre politique d’asile et politique migratoire. Il existe pourtant une distinction claire entre les deux : la première relève du droit international et du respect de la Convention de Genève de 1951 dont la France et les pays européens sont signataires, la seconde relève de la politique ordinaire d’un Etat souverain. La politique d’asile est élaborée au profit des personnes Bénéficiaires de la protection internationale (réfugiés et protégés subsidiaires) tandis que la politique migratoire ordinaire est élaborée par les États, en fonction de leurs intérêts à un moment donné.

Pour le reste, les discussions quant à l’orientation à donner à la politique d’asile souffrent d’un réel manque d’études quantitatives robustes sur lesquelles se fonder.

À l’aube d’une nouvelle loi migration, la France est, de fait, peu documentée quant aux effets de sa politique d’asile et des programmes destinés à l’intégration des réfugiés. Dans un article de recherche récent, l’économiste danois Jacob Nielsen Arendt détaille avec ses coauteurs les travaux publiés qui évaluent les politiques relatives aux réfugiés et leurs performances sur le marché du travail. N’y apparaît qu’une seule étude sur la France, celle d’Alexia Lochmann, Hillel Rapoport et Biagio Speciale. On compte en parallèle plus d’une quinzaine d’études sur le Danemark et près d’une dizaine sur la Suède généralement fondées sur des données administratives de grande dimension.

L’étude sur la France date de surcroît de 2019. Les chercheurs y évaluent l’impact de la composante linguistique du Contrat d’accueil et d’intégration, l’ancêtre du Contrat d’intégration républicain. Par rapport aux études scandinaves, les auteurs doivent s’en remettre à des données d’enquête qui offrent un éventail d’indicateurs restreints et autodéclarés quant à la participation au marché du travail tandis que le nombre de Bénéficiaires de la protection internationale au sein de leur échantillon est relativement faible.

La France dispose pourtant de l’ensemble des outils et connaissances pour évaluer rigoureusement sa politique d’asile. Les centres de recherche français comptent de nombreuses équipes spécialistes de l’immigration et de l’évaluation expérimentale et non expérimentale. À ce titre, rappelons que la prix Nobel d’Économie 2019, Esther Duflo, est une Française spécialiste de l’évaluation par les méthodes expérimentales qu’elle a largement contribué à populariser.

Du côté des données, la France dispose de très importants dispositifs statistiques d’une qualité inégalable et le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD) permet d’accéder à distance à une infrastructure sécurisée où les données confidentielles sont sanctuarisées. Toutes les conditions techniques sont réunies pour mener des travaux d’évaluation du meilleur niveau académique fondés sur un large panel de méthodes afin d’étudier finement notre politique d’asile et verser au débat des propos fondés sur des preuves scientifiques.

Quel que soit l’issue du débat sur la loi immigration, il convient donc de consacrer l’évaluation de notre politique d’asile en se dotant des moyens requis. Cela implique notamment d’anticiper le financement et le soutien à des évaluations scientifiques rigoureuses mais également de mener à bien l’élaboration de dispositifs statistiques appariés pour pallier le risque de voir les chiffres être manipulés et les scientifiques se détourner du contexte français pour mener leurs recherches.

Celles-ci s’avèrent nécessaires, notamment car les coûts liés à l’immigration sont plus directement visibles que ses retombées positives dont la mesure requière des évaluations plus fines.

Du point de vue des coûts, en plus d’instruire les demandes d’asile, la France est tenue de garantir les conditions matérielles d’accueil en vertu du droit européen. Tout ceci est chiffré au sein des programmes 303 et 104 du projet de loi de finances (PLF). Dans le PLF 2022, l’action n°2 du programme 303, « Garantie de l’exercice du droit d’asile », représentait près de 90 % du budget du programme et recouvrait les crédits d’allocation pour les demandeurs d’asile (la fameuse « ADA »), l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile au sein du dispositif national d’accueil (le DNA), et le versement de la subvention de l’État à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’Ofpra.

Du côté du programme 104 qui compte pour un peu plus de 20 % des crédits consacrés à l’immigration et à l’intégration, plusieurs actions sont en lien direct avec la politique d’asile. On y retrouve notamment une part du financement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii).

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