Hamas-Gaza: la victoire de l’Iran

Hamas-Gaza: la victoire de l’Iran

Depuis 1979 et l’accession au pouvoir du régime de l’ayatollah Khomeini, les Occidentaux n’ont jamais manqué une occasion de sous-estimer les capacités de l’Iran, oubliant régulièrement qu’il s’agissait de l’Empire perse et que, malgré sa forte dominante religieuse, il savait s’en souvenir. En résistant à la guerre qui lui avait été opposée par le biais de son frère ennemi irakien, et en gagnant peu à peu sa domination sur les milices chiites locales, en déclenchant attentats et opérations spéciales tout le long de l’arc chiite (Liban et Yémen, avec succès, Bahreïn sans y parvenir), en étendant son influence grâce à ses comptoirs africains, en enrôlant sous le drapeau du jihad le Hamas (renouant ainsi avec la protection accordée par les Frères musulmans égyptiens à l’ayatollah Khomeiny avant son exil en France), le régime iranien a su tenir, malgré la détestation de sa propre population, et devenir un acteur majeur du chaos mondial.

par Alain Bauer* dans l’Opinion

Si l’Occident, les pays arabes limitrophes et Israël, ont tout fait, entre l’assassinat de Yitzhak Rabin et la mort d’Ariel Sharon, pour détruire les accords d’Oslo et le plan Wolfensohn qui prévoyait de créer un « Dubaï sur Gaza », la normalisation relative entre l’Etat hébreu et ses voisins arabes — tout en mettant de côté la question palestinienne, devenue une simple variable d’ajustement — et la signature des accords d’Abraham — auxquels ne manquait que le paraphe saoudien — permettaient d’imaginer un processus de paix durable par le haut.

Depuis qu’il a réussi à enfumer ses partenaires au nom d’une réconciliation dont on mesure désormais le côté factice, le joueur d’échec iranien a réussi une opération d’une exceptionnelle complexité en se gardant des critiques diplomatiques, tout en lançant une opération militaro-terroriste dont il ne peut être que le bénéficiaire, quels qu’en soient les résultats.

Depuis 1973, Israël avait promis de ne plus être surpris. Les divisions intérieures, l’arrogance hier face au Hezbollah, aujourd’hui face au Hamas, ont ruiné pour longtemps la confiance qui faisait l’unité du pays.

En mettant fin à la prétendue supériorité absolue d’Israël sur son territoire, en ruinant la confiance qui existait entre le peuple juif, Tsahal et le gouvernement Netanyahu, en utilisant la crise politique interne inventée par le Premier ministre d’Israël pour éviter des poursuites judiciaires personnelles au prix de la sécurité de son propre pays, l’Iran a ouvert la voie à une opération combinée, préparée, entraînée et en partie supervisée par ses forces spéciales, qui a permis de briser la ligne Maginot installée à Gaza, de prendre le contrôle d’installations militaires et du renseignement majeures pendant plusieurs dizaines d’heures, de massacrer des civils dans un pogrom moderne, rappelant Oradour, Boutcha ou le Bataclan, et de s’enfuir avec plus de deux cents otages.

L’Iran a détruit un mythe. Depuis 1973, Israël avait promis de ne plus être surpris. Les divisions intérieures, l’arrogance hier face au Hezbollah, aujourd’hui face au Hamas, ont ruiné pour longtemps la confiance qui faisait l’unité du pays.

L’attaque du 7 octobre n’a rien réglé. Les désaccords militaires, politiques, entre militaires et politiques, la dégradation du moral et des moyens de Tsahal, le fétichisme technologique, ont interdit pendant trois semaines de définir une politique qui dépasse vengeance et revanche. Le réveil de l’opinion publique sur la question des otages et de leur sauvetage, le poids des enjeux moraux, ont perturbé le pouvoir politique hésitant entre négociation impossible, incursions nécessaires, invasion potentielle et occupation intenable.

Les bombardements ont longtemps servi de masque à ces hésitations impensables dans l’histoire militaire des armées israéliennes. Le déclenchement d’opérations lourdes à compter du 27 octobre, malgré la médiation plutôt efficace — mais au compte-gouttes — du Qatar, les alarmes de l’Egypte et de la Jordanie, les inquiétudes du parrain américain et des Occidentaux, indique que ce qui reste du pouvoir en place a choisi la fuite en avant, pensant, grâce à un réseau de renseignement partiellement reconstitué qu’il vaut mieux appliquer la directive « Hannibal » (selon laquelle il faudrait mieux sauver une nation qu’un ou des individus pris en otage) que de jouer le temps.

Comme il n’existe pas vraiment, dans la logique du Hamas, de zones civiles ou de zones de combat, que tout peut servir de cache ou de paravent à des installations souterraines structurées, les frappes israéliennes contre Gaza ne pouvaient, à court terme, que révulser bien au-delà de la rue arabe. Un enfant mort, juif ou palestinien, reste insupportable. Et le Hamas le sait mieux que quiconque.

Israël n’a pas su, sur les brasiers de la haine allumés depuis si longtemps à Gaza, en Cisjordanie, dans le monde arabe, mais aussi un peu partout dans le monde, obtenir plus que quelques instants de compassion. Les résultats du vote de l’amendement canadien à la résolution présentée pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza sans aucune mention de ce qui a précédé les opérations militaires de Tsahal, en constitue une démonstration qui éclaire la position traditionnelle d’Israël, considérant que le pays ne peut, en définitive, compter que sur lui-même.

Si la résolution principale a obtenu 120 voix contre 14 et 45 abstentions (avec un vote des Européens totalement illisible, la France, l’Espagne ou la Belgique ont voté pour le texte, l’Allemagne, l’Italie et la Finlande se sont abstenues, tandis que l’Autriche, la République tchèque et la Hongrie ont voté contre), le texte canadien, qui ciblait le Hamas n’a obtenu que 88 voix contre 55….

Le temps du consensus sur la lutte contre les terrorismes et les crimes de l’humanité est bien loin. L’immense travail qui avait permis aux consciences du monde d’établir le Tribunal de Nuremberg contre le nazisme ou la Cour pénale internationale ont, eux aussi, été victimes du 7 octobre. Tout le monde a perdu. L’ONU, Israël, les juifs, les Occidentaux, les Arabes, les Palestiniens, le peuple de Gaza, l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, les signataires présents ou pressentis des accords d’Abraham, l’humanité.

La Chine regarde.

L’Iran a gagné.

*Alain Bauer est professeur au Conservatoire national des arts et métiers. Il est l’auteur d’« Au Commencement était la guerre » (nouvelle édition augmentée à paraître le 31 octobre, chez Fayard).

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