Energie Hydrogène, future filière d’excellence française ?
L’hydrogène pourrait être la future filière d’excellence française estime Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils. La décision de la NASA d’utiliser l’hydrogène comme carburant hautement énergétique de sa célèbre fusée Saturne V a conduit 27 hommes autour de la lune et 12 à s’y poser. Son emploi dans les piles à combustible des modules habités de ce programme lunaire a fourni l’énergie électrique nécessaire aux équipages et équipements. La course à la lune a mis en lumière, dans le monde industriel, et révélé au grand public, le potentiel de l’hydrogène.
D’autres conditions exceptionnelles, climatiques et géopolitiques, conduisent 60 ans plus tard, les grands pays industriels à considérer la production et l’utilisation de l’hydrogène comme une des alternatives aux combustibles fossiles, carbonés. L’hydrogène est en course, cette fois, pour conquérir la terre…. Etonnant retournement de l’aventure humaine.
La France a pris la décision de jouer un rôle significatif dans cette révolution énergétique et technologique, à l’image de son engagement dans son programme électronucléaire des années 1970.
La Stratégie Nationale de Développement de l’hydrogène décarboné (SNH) a été annoncée en septembre 2020 et prévoit un soutien public d’un montant de 9 milliards d’euros sur 10 ans. Elle vise à accélérer la transition écologique et à créer une filière industrielle dédiée.
Elle s’articule autour de 3 axes, dont le principal est l’installation d’électrolyseurs en visant une capacité de 6,5 GW d’électrolyse en 2030, ce qui représente la production de 600.000 t/an d’hydrogène décarboné. Un autre axe concerne le développement de mobilité, en particulier pour les véhicules lourds, de fret et de passagers. Le troisième axe vise la construction d’une filière industrielle hydrogène, créatrice d’emplois. Elle pourrait représenter 150.000 emplois en fin de période du plan, et accompagner la baisse du chômage national vers les 5%. L’objectif de ce plan vise l’augmentation des volumes produits, mais également la réduction des coûts de production, pour créer une filière compétitive, tant vis-à-vis des autres pays, que des autres sources d’énergie.
L’avantage de ce plan stratégique est de s’inscrire, à la fois, dans le développement de nouvelles applications de l’hydrogène, et dans un cadre de diversification des technologies de production, décrites dans une codification de couleurs.
L’hydrogène présente la particularité de pouvoir être produit selon différents procédés codifiés suivant un code de couleurs. La stratégie française est d’être présent dans tous ceux décarbonés, en sortant progressivement des procédés basés issus du charbon et du pétrole.
Dans les filières actuelles de productions, on se réfère à l’hydrogène bleu pour désigner des procédés dans lequel il est produit à partir de gaz naturel ou de charbon en utilisant un processus de gazéification couplé à des dispositifs plus ou moins performants de capture de carbone.
L’hydrogène vert, filière du futur, consiste à le produire par électrolyse de l’eau grâce au courant électrique issu de sources renouvelables. La France se doit donc d’encourager vigoureusement la fabrication d’électrolyseurs. Plusieurs projets sont en cours, répartis sur l’ensemble du territoire, pilotés par différentes entreprises, McPhy, John Cockerill, Elogen, Genvia. Cette filière s’inscrit dans un accompagnement financier de près de 2 milliards d’euros.
La Commission européenne a confirmé, en 2022, son approbation des plans français dans le cadre de son Projet important d’intérêt européen commun (Piiec).
Le panorama des couleurs se complète d’un hydrogène rose, produit en utilisant l’électricité issue des centrales nucléaires. EDF est en train de préparer un démonstrateur, certes au Royaume-Uni, mais l’important est l’acquisition de la technologie.
La France est donc présente sur l’ensemble de ces créneaux, et pourra tirer à nouveau avantage de son parc de centrales nucléaires. Cet avantage compétitif de production pourrait même s’amplifier avec une découverte française récente.
Jusqu’à présent, l’hydrogène n’était pas une source d’énergie primaire. Il était produit par transformation. Mais des chercheurs de l’université de Lorraine, en prospectant le sous-sol de la région, sont récemment tombés sur un gisement d’hydrogène, potentiellement très important. Selon leurs données, un réservoir estimé à 46 millions de tonnes se trouverait à un peu plus de 1.000m de profondeur, dans des roches très anciennes du carbonifère. Cette découverte d’hydrogène à l’état primaire constitue un bouleversement. Encore plus étonnant serait la pérennité du gisement. L’alimentation continue en eau de ces couches profondes autoriserait la continuité de la transformation en hydrogène par les carbonates de fer.
Cette découverte doit être confirmée par des forages profonds, attendus dès l’an prochain. La validation d’une telle découverte et son industrialisation donnerait à la France un avantage compétitif important en volume et potentiellement en prix. Elle offrirait en outre une grande diversification de production, élément clé d’une stratégie équilibrée d’approvisionnement.
La révolution hydrogène est donc en marche. Les entreprises du secteur pétrolier et gazier ne peuvent l’ignorer, et l’intègrent complètement.
Producteur d’hydrogène bleu, les acteurs du secteur gazier et pétrolier tournent leurs regards vers le potentiel de l’hydrogène. Cette dynamique s’illustre dans la part très importante réservée à la décarbonation et à l’hydrogène, au cours des 4 jours de conférence et d’exposition lors d’ADIPEC 2023 qui se déroulera du 2 au 5 octobre à Abu Dhabi, évènement mondial du secteur.
En effet, 40% des conférences concerneront les aspects stratégiques, la décarbonation et l’hydrogène. Le tournant pris par l’industrie pétrolière et gazière est donc très lisible. La thématique de la conférence est à cet égard révélatrice « décarbonation. Plus vite. Ensemble »…
L’hydrogène est ainsi reconnu comme élément central d’une stratégie mondiale ayant comme objectif zéro net émission en 2050. La situation des pays et régions ayant moins de potentiel de production locale y sera abordée, avec les implications dans le domaine des transports. Des corridors d’approvisionnement nécessiteront la mise en place de normes et certification. Un cadre réglementaire à l’image de celui présenté dans la Stratégie Nationale Hydrogène des Émirats Arabes Unis, pourrait servir de référence. Il vise en effet à atteindre l’objectif zéro net émission en 2050.
Le secteur pétrolier et gazier mondial reconnaît donc, dans ses échanges internes professionnels, au plus haut niveau, l’énorme potentiel offert par la filière industrielle hydrogène.
Dans un secteur technologique en développement rapide, il est essentiel de faire preuve de réactivité, d’inventivité et de souplesse. Ce profil convient parfaitement à l’esprit « start-up à la française ».
C’est le cas du domaine de la motorisation thermique à hydrogène. Dans un premier temps, l’utilisation de l’hydrogène dans le domaine des transports s’est projeté à travers l’utilisation de piles à combustible dans les véhicules, relevant ainsi d’une technique de moteur électrique. Mais il se fait jour maintenant une autre orientation, celle d’emploi direct d’hydrogène comme carburant dans des moteurs thermiques. L’hydrogène est alors une source d’énergie zéro carbone et zéro émission. Prototypes et essais sont en train d’être mis en place dans une vision mobilité lourde sur un autocar.
Tel est le projet en développement entre la société bretonne EHM et Transdev. La seule région Bretagne est porteuse d’une cinquantaine de projets hydrogène… !
Le développement de la production d’hydrogène posera naturellement la question de son stockage industriel. Dans ce domaine, Engie, dans le cadre d’une première mondiale, est en train d’évaluer la possibilité de stockage d’hydrogène dans des poches creusées dans des couches salines, à grande profondeur.
Une véritable dynamique hydrogène nationale est en train de se mettre en place. Le potentiel économique irriguant l’ensemble du territoire français est à même d’apporter à notre pays un élan économique que l’on espère, et qui pourrait constituer pour la France un « Eldorado hydrogène ». Mais il faut aussi que la société française réponde à cette dynamique. A cet égard, la jeunesse particulièrement motivée et engagée dans la lutte pour un meilleur environnement doit participer à la révolution hydrogène de façon exemplaire, par des choix d’études et des choix de vie zéro émission…
Nous avons depuis quelques semaines le plaisir de découvrir dans la presse étrangère des commentaires très flatteurs et prometteurs sur notre pays. « La France, l’Allemagne en mieux », selon Der Spiegel. Un quotidien britannique n’est pas en reste en évoquant le « silencieux succès français ». Nous savons que les Français ont quelque fois du mal à être optimistes.
Vu de l’extérieur nous avons des encouragements à changer notre regard. Vu de l’intérieur, la révolution hydrogène pourrait nous être très favorable. Il est vrai que nous avons un faible pour les révolutions…
(*) Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté www.lemonde-decrypte.com
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