Les nouvelles technologies : pour remplacer la religion
Dans un entretien au « Monde », le philosophe et chercheur Pierre Musso estime que le métavers vise à « construire un imaginaire autour de technologies existantes ou en développement », et à les présenter comme une « nouvelle révolution ».
Pierre Musso est professeur honoraire des universités, associé à l’école d’ingénieurs Télécom Paris, spécialiste des imaginaires technologiques. Il porte son regard de philosophe sur la réalité virtuelle.
Est-ce que les métavers concrétiseront « la philosophie des réseaux » du penseur de la société industrielle Saint-Simon [1760-1825], dont vous vous inspirez ?
Le métavers illustre une innovation – ou un agrégat de technologies – censée représenter ou annoncer une révolution culturelle. Car, de nos jours, les utopies ou les dystopies se réalisent sous la forme du messianisme ou du catastrophisme technoscientifique. La Silicon Valley, avec l’aide des studios d’Hollywood, ne cesse de mettre en scène des promesses technologiques « révolutionnaires » dans des fictions qui sont souvent des blockbusters mondiaux, comme Matrix ou Minority Report, pour promouvoir le cyberespace et l’intelligence artificielle [IA].
« Métavers » est un nouveau mot-valise dont la Silicon Valley a le secret, comme la « guerre des étoiles » ou les « autoroutes de l’information », destiné à produire un grand récit et à construire un imaginaire autour de technologies existantes, ou en développement, et à les présenter au public comme une nouvelle « révolution ».
Et récemment c’est la terme « intelligence artificielle » qui est à la mode NDLR
Vous avez écrit « La Religion du monde industriel » en 2006, puis « La Religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l’entreprise » en 2017 : se dirige-t-on vers la « religion virtuelle » ?
Dans nos sociétés sécularisées et hyper-technologisées demeure un désir de divinités, car aucune société ne peut se passer de mythes ou de croyances fondatrices qui la font tenir. Une société technicienne va logiquement chercher ses divinités dans la technoscience. Ainsi, les références au sacré et à Dieu sont omniprésentes dans la culture anglo-saxonne, notamment dans les temples de la Silicon Valley, laquelle a adopté une « idéologie technico-mystique », héritière de la cybernétique de Norbert Wiener. Et souvenons-nous : la mort de Steve Jobs [1955-2011] fut saluée en 2011 par les mots : « dieu », « prophète », « messie », « pape », « icône », « apôtre » ou « gourou ». Désormais l’invocation du divin, de l’immortalité et de la transcendance est censée apporter un supplément d’âme à la prolifération des techno-discours entourant l’IA ou le transhumanisme. On est plongé en pleine « techno-religiosité ».
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