Inflation : tout le monde s’est trompé
Le chercheur en finance Karl Eychenne commente, dans une tribune au « Monde », l’article des économistes Olivier Blanchard et Ben Bernanke sur les causes et la chronologie de l’inflation aux Etats-Unis.
Dans un article publié en juin (« What Caused the U.S. Pandemic-Era Inflation ? », Working Papers, NBER, 2023), Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), et Ben Bernanke, ex-gouverneur de la banque centrale américaine, reviennent sur l’inflation galopante qu’a connue l’économie américaine. Les auteurs semblent suggérer que tout le monde s’est finalement trompé, même ceux qui l’avaient prédite.
Bien que coécrit par l’un de ceux (Olivier Blanchard) qui avaient justement prédit l’accélération de l’inflation, cet article avance que les raisons qui furent alors invoquées ne sont pas celles qui ont été finalement observées. Les cassandres avaient tort d’avoir raison, en quelque sorte. Par ailleurs, à la différence des autres papiers qui s’attachent à analyser ou à prévoir l’inflation, cet article se concentre sur la chronologie des événements : ce qui l’amène à conclure que tout le monde avait tort, mais pas en même temps !
Ceux qui pensaient que l’inflation allait fortement accélérer ont eu raison concernant la fin de l’histoire, mais pas sur son déroulement. Leur idée phare était que le soutien excessif des politiques était la cause première d’une inflation galopante.
Selon ce scénario, le rebond de la demande postdéconfinement allait être exagéré par ces politiques de soutien, amenant le produit intérieur brut (PIB) à un niveau largement supérieur à l’offre potentielle. Le marché du travail serait alors mis à forte contribution afin que l’offre puisse répondre à la demande, provoquant ainsi des tensions sur les salaires, et in fine entretenant une inflation durable.
Mais il y avait une condition nécessaire à la réalisation d’un tel scénario. Il fallait que les salaires réagissent au marché du travail, ce qui ne semblait plus être le cas depuis quelques décennies. Dans le langage des économistes cela supposait que la fameuse courbe de Phillips, reliant le taux de chômage à l’inflation, cesse d’être plate (« What Is the Phillips Curve (and Why Has It Flattened) », Federal Reserve Bank of Saint Louis, 2020). Dans un tel scénario, les banques centrales seraient alors amenées à réagir en remontant leurs taux directeurs. Et c’est ce qu’elles ont fait, effectivement.
Pourtant, démontrent Olivier Blanchard et Ben Bernanke, le déroulé des événements invalide un tel scénario. Pour une raison et une seule : les salaires n’ont pas réagi aussi fortement qu’attendu aux tensions sur le marché du travail, que ce soit en 2021 ou en 2022. Après, oui, les salaires vont finir par accélérer enfin, mais plus tard qu’attendu.
0 Réponses à “Inflation : tout le monde s’est trompé”