Ferroviaire : La problématique de la performance des TER
Sur les services TER, à compter de décembre 2023, à l’exception de l’Île-de-France qui a un calendrier spécifique, les régions auront l’obligation de lancer des appels d’offres à la fin de leur contrat d’exploitation signé avec SNCF Voyageurs, et ce pour un délai maximum de dix ans. Cette possibilité de s’ouvrir à la concurrence est offerte depuis décembre 2019. Certains territoires ont déjà renouvelé leur confiance au transporteur historique, comme les Pays de la Loire au début du mois de juin ou les Hauts de France en mars de cette année. Provence-Alpes-Côte d’Azur a fait le choix de la nouveauté : à partir de juillet 2025 et pour dix ans, c’est Transdev qui s’occupera de 10% des TER sur la ligne Marseille-Toulon-Nice. Faut-il néanmoins tout attendre de cette ouverture ? Certes, l’idée est d’être plus efficace et de mieux maîtriser des coûts qui suivent une trajectoire inquiétante. Néanmoins, la mauvaise qualité de service sur un réseau TER peut être due à bien d’autres facteurs face auxquels un nouveau transporteur s’avèrerait tout aussi impuissant que SNCF Voyageur. Un réseau de mauvaise qualité ou saturé par exemple.
par Christian Desmaris, Université Lumière Lyon 2 et Guillaume Monchambert, Université Lumière Lyon 2
Une réflexion intéressante mais qui n’insiste pas suffisamment sur le problème fondamental de l’imputation des charges d’infrastructure et les rigidités structurelles qui plombent la compétitivité . NDLR
Nos travaux ont ainsi tenté de faire la part des choses. Où et dans quelle mesure le transporteur ne propose-t-il pas un service optimal étant donné l’environnement dans lequel il évolue ?
L’enjeu, maîtriser les coûts
Revenons en premier lieu sur l’évolution du paysage de ces dernières années.
Les contributions publiques totales allouées à la SNCF, au titre de l’activité TER, ont augmenté de manière soutenue et quasi constante. En 2002, ces transferts publics étaient de l’ordre de 1,986 milliard d’euros ; en 2017, ils s’élevaient à 3,379 milliards d’euros. Cela correspond à une augmentation de 70% en quinze ans, ce qui représente une hausse moyenne annuelle de 3,6%.
Cette croissance n’aurait rien d’inquiétant si elle s’expliquait par des efforts d’investissement dans le matériel roulant, la modernisation des gares ou le réseau ferroviaire. Or, cela est loin d’être le cas : leur part s’est sensiblement réduite après la crise économique de 2008. D’une moyenne de 26,7% des contributions sur la période 2002-2009, elle est descendue à 14,8% sur les années 2010-2017.
La hausse des subventions publiques s’explique ainsi surtout par la progression du financement du déséquilibre d’exploitation de ce service assuré par la SNCF. Ce service est largement subventionné, de l’ordre de 80 % de son coût en moyenne.
La dynamique est impressionnante : les sommes allouées à cette fin ont plus que doublé entre 2002 et 2017 (5,2 % d’augmentation annuelle moyenne). Il n’y aurait, une nouvelle fois, pas de quoi s’alerter si cela avait pour corollaire une augmentation du volume des prestations de services commandées par les régions à la SNCF. Ce n’est, ici non plus, pas vraiment le cas. Le nombre de kilomètres commandés n’a augmenté que de 18 % entre fin 2002 et fin 2017. Le volume de service s’est même réduit depuis son maximum en 2011.
La subvention publique pour faire circuler un TER sur un kilomètre est ainsi passée de 9,45 euros en 2002 à 17,16 euros en 2017 en moyenne. Une part significative de cette hausse relève, d’après la Cour des comptes, de la progression des coûts de production de l’opérateur ferroviaire. C’est dans ce contexte que questionner sa performance productive semble primordial.
Qui est responsable de quoi ?
L’exercice n’est cependant pas aisé : dans cette progression des coûts de production ferroviaire, tout n’incombe pas au transporteur qu’est SNCF Voyageurs. La performance productive dépend aussi de la qualité des infrastructures sur lesquelles les trains circulent et dont la responsabilité incombe à SNCF Réseau, une entité bien distincte. Elle dépend aussi des orientations données par les autorités organisatrices des transports (les régions en l’occurrence), des contrats passés avec celles-ci et qui varient fortement d’un territoire à un autre. Elles peuvent elles-mêmes faire le choix d’investir dans les gares, dans les rénovations des voies. Elles influent sur les choix de matériel roulant.
Outre les interactions entre ces trois acteurs, l’environnement sociétal importe également : la densité démographique ou le taux d’incivilité ont des impacts conséquents sur les performances des TER. Des paramètres économiques interviennent de même, comme les taux de motorisation, l’importance d’une clientèle captive ou occasionnelle du train, la possibilité de réaliser des économies d’échelle… Il faut aussi composer avec les autres services présents sur le réseau (Inouï, Ouigo, fret, Intercités) qui peuvent amener une congestion et dégrader la performance des TER.
En définitive, il est bien difficile de déterminer ce qui, dans la performance du service délivré, incombe au comportement de chaque acteur, et notamment de l’opérateur ferroviaire. Les ratios utilisés par la Cour des comptes ou l’ART (Autorité de régulation des transports) dans son bilan annuel s’avèrent insuffisants. C’est à y remédier que notre étude s’est attelée.
La SNCF, à 82 % de ses capacités
Notre étude met à profit, sur la période 2012-2016, deux bases de données jamais exploitées jusqu’alors. Elles nourrissent une méthodologie d’estimation d’une « frontière de production », développée notamment par Philippe Aghion, professeur au collège de France. Il s’agit de mesurer le volume de production théoriquement atteignable étant donné les technologies et ressources matérielles et humaines à disposition, puis de comparer la performance d’un opérateur avec cet optimum. Dit autrement, on se demande si avec les ressources à disposition, il ne serait pas possible de produire plus de train-kilomètre, ou si l’on pourrait parcourir les mêmes distances en sollicitant moins de ressources.
Le modèle dissocie ainsi les coûts de personnel à bord et en gare par exemple, mais n’inclut pas ceux des péages à verser à SNCF Réseau pour engager un train sur un sillon, car l’opérateur n’en a pas la maîtrise. Tout un ensemble de variables supposées contribuer à la performance productive est inclus.
Trois résultats majeurs en ressortent. En moyenne, les opérateurs ferroviaires régionaux de la SNCF obtiennent un score d’efficience de 82,2 %. Ils auraient pu ainsi, sur la période étudiée, baisser d’environ 18 % leur coût de production si l’on prend comme base les meilleures performances obtenues par la SNCF en région. Cela suggère que, même si la SNCF n’est pas la seule responsable de cette dérive des coûts, elle l’est en partie tout de même. Le score de 100 % représente la frontière de production, c’est-à-dire la production maximale avec le système productif de notre échantillon. Soulignons que cette estimation ne dit rien du gain de coût qui pourrait être obtenu avec un autre opérateur ferroviaire que la SNCF.
Le second résultat concerne la disparité des scores d’efficacité productive selon les régions. L’éventail est très ouvert. Les scores varient de 97,8 % à 59,3 %. Aucune région n’est à 100 %, car toutes sous-optimisent l’utilisation d’au moins un des facteurs de production. Deux régions TER peuvent ainsi recevoir une mention « Excellent » : Rhône-Alpes et la Bretagne. Quatre autres régions « Bien » l’Alsace et la Lorraine par exemple. À l’opposé, cinq régions TER sont peu performantes, dont la Picardie ou le Languedoc-Roussillon. La Haute-Normandie finit au fond du classement. Nombre de régions pourraient ainsi progresser sans changer d’opérateur, si elles bénéficiaient des conditions qui font la performance dans les meilleurs d’entre elles.
Plusieurs régions ont depuis cette étude recontractualisé avec la SNCF. Dans le cas de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les deux premiers appels d’offres, dont l’un a été remporté par la SNCF et l’autre par Transdev, « Intermétropoles », ont permis de presque doubler l’offre dans ces lots, pour une contribution publique équivalente ou en baisse. Ce résultat, a priori peu attendu, tient au cercle vertueux sur les recettes de trafic d’une augmentation d’offre de service, et ce plus encore dans les zones particulièrement denses.
Le troisième résultat est davantage méthodologique. Les méthodes d’évaluation habituelles donnent des résultats peu convergents avec les nôtres. Cela renforce l’idée que les méthodes économétriques ont aussi un rôle à jouer en complémentarité des méthodologies usuelles.
Quels leviers ?
L’analyse nous conduit à formuler plusieurs indications à destination des décideurs publics comme des opérateurs.
La première est que la SNCF a beaucoup à faire pour optimiser ses coûts de production. D’après la Cour des comptes, il semblerait que la gestion du facteur travail puisse être davantage optimisée, par réduction de l’absentéisme notamment, ou en modifiant certaines dispositions de l’organisation du travail, pour davantage de polyvalence.
Il s’agit aussi de travailler sur l’environnement dans lequel le service est exécuté. Une étude montre par exemple que le degré de respect de l’ordre social, approximé par le taux de délinquance régionale, s’avère fortement corrélée avec une faible efficience ferroviaire.
L’efficience productive résulte aussi de certains paramètres physiques du système de production ferroviaire. La qualité du réseau (vitesse maximale, voie unique ou double, électrification…), mais aussi le nombre de gares, semble avoir un impact positif considérable sur l’efficience productive, de même que la longueur du réseau qui permet d’obtenir des économies d’échelle. Ces paramètres s’imposent à tous les opérateurs.
On observe également que la contractualisation et les modes de gouvernance reliant l’opérateur à la collectivité régionale ont un impact important. Plus l’efficience est basse, plus le contrat est long et volumineux. Cela suggère que là où la performance productive est la plus faible, les régions seraient enclines à resserrer les contraintes imposées à l’opérateur, en spécifiant chaque détail de la contractualisation. Ce résultat se trouve illustré par la forte corrélation entre le coût par train-kilomètre et la longueur du contrat.
Par ailleurs, les modes de gouvernance faisant appel à des logiques « incitatives », plus qu’à des logiques « hiérarchiques » (injonctives) ou « de confiance » (coopératives), semblent les plus à même à s’accompagner de hauts niveaux d’efficience. Ces points qui, en l’état, constituent des hypothèses de travail fortes, mériteraient d’être approfondis.
Et aujourd’hui ?
La contractualisation s’avère au final un des leviers d’amélioration de la performance des TER qui, en cette période d’ouverture à la concurrence, mérite la plus grande attention des régions, mais aussi du régulateur, qui aurait avantage à mettre à disposition des parties prenantes davantage de données.
Au niveau de l’ensemble des régions, la situation s’est améliorée. L’offre de service réaugmente et la subvention par train-kilomètre de 2021 s’est stabilisée au niveau de 2019. En outre, les régions boostent l’investissement en nouveaux matériels et dans les voies.
L’avenir semble ainsi prometteur. Plusieurs régions ont, depuis cette étude, recontractualisé avec la SNCF et il semblerait que l’enjeu de maîtrise des coûts ait été intégré, pour le moins dans certains cas. Fin 2021, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, les deux appels d’offres, dont l’un a été remporté par la SNCF, « Azur », l’autre par Transdev, « Intermétropoles », promettent de presque doubler l’offre dans ces lots, à l’horizon 2025, pour une contribution publique équivalente ou en baisse. Ce résultat, a priori peu attendu, tient au cercle vertueux sur les recettes de trafic d’une augmentation d’offre de service, et ce plus encore dans les zones particulièrement denses.
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Par Christian Desmaris, Maître de Conférences en Économie, Sciences Po Lyon, Université Lumière Lyon 2 et Guillaume Monchambert, Maître de conférences en économie, Université Lumière Lyon 2
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