Abaya: la dérive d’une partie de la gauche
Naëm Bestandji, essayiste et auteur de « Le linceul du féminisme. Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (Seramis), analyse le tweet de Clémentine Autain ( qui par parenthèse n’as pas inventé la poudre) s’opposant à l’interdiction de l’abaya, à l’école. Pour lui, la députée de la France insoumise est symptomatique de la dérive d’une partie de la gauche. ( dans Marianne)
Une note des services de l’État, dont des extraits ont été diffusés dans la presse en ce mois d’août 2023, tire une énième fois le signal d’alarme. Depuis l’assassinat de Samuel Paty, les signalements d’atteintes à la laïcité au sein des établissements scolaires publics sont en forte hausse. Parmi ces atteintes, la proportion de celles qui concernent « le port de signes et tenues ne respectant pas la loi du 15 mars 2004 » a explosé. Ces hausses se sont accélérées en 2022-2023.
Si Pap Ndiaye s’était montré particulièrement frileux, en laissant les chefs d’établissements se débrouiller, répétant ainsi l’erreur de 1989, son successeur au ministère de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, n’entend pas rester inactif, déclarant dimanche 27 août : « J’ai décidé qu’on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école. »
Les associations laïques et les féministes universalistes considèrent que cela va dans le bon sens. Mais les réactions politiques ne se sont pas fait attendre. La droite et l’extrême droite ont exprimé leur satisfaction. Une partie de la gauche rejoint l’avis des associations laïques et des féministes universalistes, mais préfère se taire pour ne pas être confondue avec l’extrême droite. Une autre partie de la gauche, toujours par renoncement à ses valeurs pour soutenir l’islamisme politique, critique fortement cette décision de Gabriel Attal. Un tweet concentre tout l’aveuglement volontaire et la contorsion de cette frange de la gauche en perdition, celui de Clémentine Autain. Il est donc intéressant de l’analyser pour mesurer l’ampleur de la perte de repères.
« Les raisons sont uniquement sexistes et patriarcales. »
Son tweet, publié quelques minutes après la déclaration du ministre, commence par cette question : « Jusqu’où ira la police du vêtement ? » Parler de « police du vêtement » est une référence directe à la police des mœurs en Iran, Arabie saoudite et Afghanistan où les femmes ont l’obligation légale d’être recouvertes de la tête aux pieds. Est-ce pour des raisons de santé, en rapport par exemple avec le climat ? Pas du tout. Les raisons sont uniquement sexistes et patriarcales : la femme est considérée comme un objet sexuel tentateur dont les hommes seraient les victimes. Les coupables « naturelles » ont donc l’obligation de se dissimuler sous un voile et des vêtements amples pour cacher leurs formes. Pour légitimer cette misogynie, les islamistes au pouvoir font appel à la religion et intègrent cette obligation dans la charia.
Cela peut-il être comparé à la décision du nouveau ministre de l’Éducation nationale en la présentant comme un miroir inversé de ces pays ? Non. D’abord, leur « police du vêtement » sanctionne toute oreille, épaule ou mèche de cheveux visible dans l’espace public en général. La loi de mars 2004 en France interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », uniquement dans les écoles, les collèges et les lycées. L’espace public en général n’est pas concerné. De plus, cela concerne uniquement les établissements scolaires publics. Les établissements scolaires privés peuvent donc les autoriser. Ensuite, cette interdiction en France concerne tous les élèves, quel que soit leur sexe.
Dans les pays sous-entendus par Clémentine Autain, l’obligation d’être intégralement couvert ne concerne que les femmes. Là, pointe une autre différence. Les motivations de ces pays sont discriminantes et misogynes. Celles de la France sont la préservation de la liberté de conscience de tous les élèves, citoyens en construction, et d’empêcher toute pénétration de propagandes religieuses et politiques dans les établissements scolaires. Enfin, dans les pays où il existe une « police du vêtement », les sanctions en cas d’infractions vont de l’amende à la prison et parfois à la mort. Les élèves français courent-ils de tels risques ? Non. La sanction encourue la plus extrême est l’exclusion temporaire ou définitive précédée, comme l’indique la loi de mars 2004, d’un dialogue avec l’élève pour éviter l’exclusion.
« La députée LFI se piège elle-même. »
Toutefois, il existe bien une « police du vêtement » en France, incarnée par ceux qui prescrivent le port du voile et des vêtements couvrants dont l’abaya est un avatar. En désignant les « femmes respectueuses et pudiques » qui décident de se dissimuler sous les vêtements qu’ils leur prescrivent, et les « impudiques » qui s’en dispensent, en promettant les flammes de l’enfer pour les récalcitrantes et le paradis pour celles qui consentent à se soumettre, en valorisant la soumission patriarcale par la fierté de l’affichage identitaire et la trahison par les cheveux au vent et/ou des bras nus par exemple, les prédicateurs islamistes sont l’unique « police du vêtement ».
L’entourage des concernées, dont des camarades de classe, constitue les agents de terrain. Car, il faut le rappeler, des jeunes filles identifiées comme « musulmanes » sont sommées d’afficher leur solidarité avec les contrevenantes en s’affublant elles aussi d’un voile et/ou d’une abaya. C’est aussi de cela que le ministre veut protéger les élèves. Mais Clémentine Autain ne dénonce pas la « police du vêtement » islamiste. Comme toute cette frange de la gauche en perdition, elle dénonce uniquement celles et ceux qui s’y opposent.
Pour cela, la députée LFI se piège elle-même. Comment pourrait-il en être autrement quand on veut défendre l’indéfendable ? En effet, elle affirme que « la proposition de Gabriel Attal est anticonstitutionnelle. Contraire aux principes fondateurs de la laïcité. Symptomatique du rejet obsessionnel des musulmans. » Or, cette proposition n’a rien d’anticonstitutionnel puisqu’elle est une application de la loi de mars 2004. Le premier principe fondateur de la laïcité, à travers la séparation des Églises et de l’État, est la liberté de conscience. Cette liberté n’est pas entravée par la loi de 2004. Au contraire, elle en assure la protection en préservant les élèves de toute influence religieuse dans les établissements scolaires publics. Le second principe fondateur est le libre exercice des cultes, qui est toujours encadré par la loi (ici, celle de 2004) comme le précise la loi de 1905.
« Ils considéraient le patriarcat oriental comme une forme de folklore inoffensif. »
Enfin, si l’idée de Clémentine Autain est de faire de l’abaya un vêtement comme un autre qui obséderait le gouvernement et « l’extrême droite », alors pourquoi parler des musulmans ? S’il s’agit d’un vêtement religieux, alors la proposition de Gabriel Attal concerne bien la laïcité.
Le plus choquant est que la députée considère que s’opposer à l’abaya revient à rejeter tous les musulmans. Elle prend une position théologique où elle s’aligne sur une interprétation extrémiste de l’islam qu’elle considère comme l’islam tout court. Elle reprend ainsi un des éléments de langage de l’islamisme qui assigne tous les musulmans à leur frange radicale. Pour caresser l’islamisme dans le sens du voile, elle balaye d’un revers de main tous les musulmans qui ne reconnaissent pas ces vêtements comme religieux. Au-delà du calcul électoral, sa vision stéréotypée, orientaliste, paternaliste de l’islam et des musulmans est un stigmate post-colonial des colons « bienveillants » d’antan. Ils n’imaginaient pas les musulmanes autrement que dissimulées sous un voile et des vêtements amples. Ils considéraient le patriarcat oriental comme une forme de folklore inoffensif.
La dernière phrase du tweet de Clémentine Autain est la cerise sur le gâteau : « À peine rentrée, la macronie tente déjà de prendre le RN par la droite. » Il est vrai que l’extrême droite tente de récupérer la laïcité, moins pour la défendre que pour lutter contre les musulmans associés à « l’immigration massive » et qui porteraient atteinte aux « racines chrétiennes de la France ». C’est exactement la même récupération qu’opère l’islamisme politique qui se présente comme meilleur défenseur de la laïcité que les associations laïques.
Clémentine Autain reprend les éléments de langage de l’islamisme politique pour désigner toute opposition à l’islamisme comme étant « d’extrême droite » et contre les musulmans. On ne combat pas l’extrême droite nationaliste en s’alliant à l’extrême droite musulmane (et à sa vision réactionnaire des rapports entre les femmes et les hommes), sauf à vouloir renforcer les deux, affaiblir celles et ceux qui s’y opposent et ostraciser toujours un peu plus les musulmans qui ne se reconnaissent pas dans l’islamisme.
Pour tous les intégrismes religieux, l’école est une conquête fondamentale. Aucun établissement scolaire ne doit céder le moindre centimètre. Chaque « accommodement » n’est qu’un renoncement qui fait reculer la République. LFI, à rebours des valeurs émancipatrices et laïques de gauche, fait ainsi une nouvelle démonstration de sa contribution à ce recul.
Par Naëm Bestandji
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