Energie : une triple diversification est nécessaire
La crise du Covid, a déséquilibré le marché pétrolier. L’industrie et les transports ont vu leur activité plonger, et la consommation de pétrole a suivi, conduisant les cours à moins de 20 dollars le baril. A peine sortie de ce plongeon, les marchés du gaz, et du pétrole à nouveau ont été bousculés par l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Enfin, le réchauffement climatique met une réelle pression réglementaire dans tous les pays industrialisés, avec une optique zéro-carbone, à travers des objectifs internationaux et, nationaux.
par Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté www.lemonde-decrypte.com (dans La Tribune)
Le marché global de l’énergie, et en conséquence les choix et les stratégies des États sont donc soumis à des chocs cumulés, sans précédents. De cette situation de déséquilibre soudain, et violent par la rapidité de son occurrence, il est possible de discerner les caractéristiques stratégiques essentielles qui permettent de minimiser les conséquences de ces nouvelles contraintes.
Selon le vieil adage de sagesse, selon lequel il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, la stratégie numéro un, repose sur la diversification des sources d’énergies. De ce point de vue, notre pays a suivi ce schéma. Les ressources énergétiques de la France s’appuient sur une grande diversification, nucléaire, pétrole, gaz, hydraulique, solaire, et éolien. Il s’y ajoutera bientôt l’hydrogène, encore marginal.
A ce premier niveau de diversification, il convient d’en ajouter un second, à savoir l’équilibre entre les fournisseurs, pour les énergies dont les matières premières sont importées.
A nouveau la France a su construire une stratégie d’approvisionnement équilibrée, tant pour ses approvisionnements de pétrole que d’uranium. Concernant le pétrole, les deux premiers, en 2021, le Kazakhstan et les États-Unis, voient leurs parts se situer en dessous de 15%, et les deux suivants, Algérie et Nigéria, se situent à 12% chacun.
Concernant l’Uranium, nous retrouvons à nouveau le Kazakhstan en première position, avec 20% de nos approvisionnements, et les 3 pays suivants, Australie, Niger, Ouzbékistan, représentent chacun entre 15 et 20%. A nouveau, aucun pays fournisseur particulièrement dominant.
Enfin, le troisième niveau de diversification s’illustre dans la géographie des sources. Il est en effet essentiel que les principaux fournisseurs ne se situent pas dans la même zone géographique. Nous voyons à nouveau ici une stratégie française très diversifiée, allant des États-Unis, à l’Asie Centrale, en passant par la zone Pacifique et l’Afrique.
Trop souvent critiques de leurs propres situations, ou de nos choix, les Français devraient se réjouir d’une telle situation, particulièrement….cartésienne, et porteuse d’avantages compétitifs pour notre industrie, donc pour l’emploi, et le développement de notre pays.
S’éloigner d’un tel schéma stratégique, très rationnel, de triple diversification constitue un danger. Un contre-exemple ne serait-il pas à considérer de l’autre côté du Rhin ?
Les choix radicaux de l’Allemagne
L’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, a conduit Berlin à abandonner progressivement son programme de centrales nucléaires. Une telle décision, très stratégique, a beaucoup étonné. Cet accident au Japon ne relevait pas directement d’un problème d’exploitation, mais des conséquences d’une secousse tellurique marine. Ces conditions, extérieures, ne pouvaient offrir aucun parallèle avec la position géographique et maritime allemande….
De façon à compenser l’arrêt du nucléaire l’Allemagne s’est alors dirigée vers une accélération de son programme d’énergie éolienne, et surtout vers les ressources gazières russes. Ce choix stratégique s’est articulé autour d’une vision de philosophie politique vis-à-vis de la Russie, résumée dans l’expression allemande « Wandel durch Handel », transformer par le commerce…. L’objectif étant de faire évoluer le système politique russe par l’influence des échanges commerciaux….
Cette option a conduit l’Allemagne à recevoir 45% de ses approvisionnements en gaz de la Russie. Son invasion soudaine de l’Ukraine a complètement invalidé cette stratégie, de choix massif, donc déséquilibré.
Alors que l’accès à une électricité décarbonée, bon marché déterminera le pays où les entreprises industrielles ouvriront leurs prochaines usines, l’Allemagne se trouve en difficulté face à l’énergie hydraulique des pays nordiques et à l’électronucléaire français.
Autrefois considérée comme une puissance industrielle d’envergure, l’Allemagne est, parmi les économies avancées, celle qui affiche les perspectives les plus difficiles, avec une croissance négative du PIB réel de -0,3 % prévue pour 2023, selon une estimation récente du Fonds monétaire international (FMI).
La question fondamentale pour l’Allemagne est donc de savoir si elle disposera, ou non, dans l’avenir, d’un avantage compétitif concernant le prix de son électricité.
Ce débat, énergétique et économique, est d’autant plus crucial pour l’Allemagne, qu’elle voit son voisin occidental, français, disposer du deuxième parc électronucléaire mondial, et donc de faible coût de production, et son voisin oriental, polonais, qui va se lancer dans cette orientation nucléaire.
L’Allemagne se trouve donc face également à une course au gaz, comme de nombreux pays dans le monde
Le choix stratégique de s’éloigner résolument de l’approvisionnements gazier en provenance de la Russie, a provoqué une ruée vers les sources alternatives, de l’Afrique du Nord aux pays du Golfe. Les pays pétroliers saisissent également cette opportunité de mieux exploiter leurs ressources gazières, tel l’Irak, afin de mieux répondre à leurs propres besoins en électricité.
Il sera particulièrement intéressant de suivre les résultats d’une très prochaine réunion internationale de ce secteur gazier, Gastech 2023 à Singapour. Elle réunira les acteurs mondiaux les plus importants du domaine, du 5 au 8 septembre, en incluant les technologies autour de l’hydrogène et des technologies impliquant le climat.
De plus, cet évènement se déroulera juste 2 mois avant la COP 28, conférence mondiale sur le climat et l’environnement, qui aura lieu aux Émirats Arabes Unis.
L’industrie gazière mondiale confirme ainsi l’importance de son rôle dans la fourniture à court et long terme d’une énergie fiable, et à un coût accessible. Plus de 750 sociétés industrielles y participeront. Du côté des États, plus de 300 représentants politiques sont attendus. Au total plus de 100 pays seront représentés.
Le choix de Singapore représente aussi l’importance grandissante de la zone Indo-Pacifique, tant pour le commerce que pour l’industrie.
On retrouve donc ainsi la mondialisation des questions du climat et de l’énergie, intimement liés. Tous les pays de la planète se retrouvent autour des mêmes dilemmes, ce qui est rarement le cas. Rares sont les domaines qui peuvent fournir une amélioration à court terme. Le secteur gazier peut prétendre être de ceux-là.
Chaque pays de la planète, technologiquement avancé ou non, se trouve ainsi confronté à la rigueur de choix économiques et stratégiques énergétiques, équilibrés, autour d’une diversification, raisonnable et réfléchie.
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(*) Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté www.lemonde-decrypte.com
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