Crise de l’électricité : conséquence des choix incohérents
Si le gouvernement multiplie les annonces rassurantes face à la crise énergétique, son discours masque mal le fait que la situation actuelle résulte d’abord de choix qui ont été faits durant les dix dernières années. Et la crise ukrainienne aura servi de révélateur de l’absence d’une vision de long terme de notre politique énergétique. Par Didier Julienne, Président de Commodities & Resources (*). ( la Tribune)
Ce n’est pas bien, paraît-il, de remuer le passé politique pour parler d’erreurs fatales, surtout s’il est proche. Ce n’est pas bien parce que ce n’est pas positif, pas constructif, cela impose l’humilité aux responsables et n’apporte rien aux éventuelles solutions. Bref, c’est une perte de temps.
En effet, à quoi cela sert-il de répéter que l’électricité française est plantée à cause des deux derniers mandats présidentiels qui ont décidé des choses sans intelligence ni compétences et sans prévoir l’incroyable ? C’est une grave faute politique et non pas un accident industriel.
À quoi cela sert-il d’écrire encore et toujours que ramener la part de l’électricité nucléaire à 50 %, fermer Fessenheim, abandonner Astrid, sans solution opérationnelle fiable ? Le fruit subtil du déclassement PISA dirait : c’était « déconner grave ».
Il n’y a qu’à constater la tragédie industrielle allemande pour s’en rendre compte. Où sera la solution miracle des renouvelables allemands cet hiver ? Dans le charbon ! Alors que l’on dit, à la mode d’un général Tapioca qui se défausserait sur ses guérilleros, que les coupables sont EDF, ou les deux producteurs d’électricité allemands, Uniper en faillite et RWE. La France vaut mieux que cela. Si le bilan énergétique d’Angela Merkel est questionné, qui questionne celui de Paris ?
À quoi cela sert-il de rappeler que la communication performative ne fonctionne pas, ni dans l’industrie ni dans l’énergie? La communication performative est utilisée par le maire d’une commune pour que le couple qui se présente devant lui passe du statut de deux célibataires à celui d’un couple marié. Elle provoque ce changement immédiat.
La communication en imitation de la performative est la cause d’une France en charge mentale excessive, psychologiquement plantée et peut être ex abruto électriquement plantée cet hiver. Cette communication ne donne en effet aucun électron supplémentaire lorsque l’on décide de la construction future de nouveaux réacteurs, sans pour autant annuler en plein crise de souveraineté la fermeture des centrales actuelles qui sont efficaces, non dangereuses et rentables, comme l’était Fessenheim. L’énergie c’est le temps long, il ne faut jamais se tromper.
À quoi cela sert-il de répéter que grâce à un esprit transgressif le régime de l’Arenh qui tue EDF aurait dû être aboli depuis longtemps au lieu de le consolider par le décret du 11 mars 2022 ? Sinon à quoi sert-il d’avoir un esprit transgressif ?
À quoi cela sert-il de répéter que la gazoduc Midcat reliant l’Espagne à l’Europe du Nord est utile, car l’Espagne a des capacités de GNL inusitées ? Refuser cette redondance de sécurité pour le long terme est de la même impréparation vis-à-vis de l’impensable que la fermeture de centrales nucléaires sans une alternative fiable.
À quoi cela sert-il de rappeler que l’arrêt des réacteurs du programme Astrid était une bêtise, car il démobilise les chercheurs qui chercheront autre chose autre part ? Alors que ce type de réacteurs, qui brûle les déchets des centrales actuelles, est la pièce manquante à l’économie circulaire du nucléaire. Il assurera une électricité sans limites pendant au moins 2000 ans à toute l’Europe, puisqu’ils sont le cercle vertueux brûlant les déchets entreposés dans toutes les piscines de refroidissement disposées sur notre continent européens ; sans plus jamais d’uranium minier. De plus, pour appuyer là où cela fait mal, la Russie construit déjà un tel réacteur de nouvelle génération, il sera opérationnel en 2026.
Et puis il y a les causes diverses.
À quoi cela sert-il de répéter qu’au lieu d’interdire le stationnement de scooters à Paris, un décret devrait obliger l’installation de panneaux solaires sur toutes les toitures et façades d’immeubles ; et au lieu de subventionner les éoliennes, payons massivement la disparition des chaudières au fioul ?
À quoi sert-il de démasquer des « happy few » qui ont bénéficié de la désindustrialisation française ? À révéler une forme de décadence industrielle !
À quoi bon parler du complot « des métaux rares » et de la corruption qui le paye pour contrer l’incontestable progrès qu’est la voiture électrique ? Et pour en revenir au plantage électrique français, à quoi bon répéter qu’Areva a perdu la boule parce qu’il a tout simplement été géré par des incompétences qui comparaient l’entreprise à une cafetière Nespresso ; l’affaire Uramin, qui n’est pas encore jugée, en présente tous les symptômes.
Cet aggiornamento sert à parler vrai, juste quelques secondes, pour tuer le cynisme à la mode dans notre pays et nous redonner l’envie du courage, parce que combien de Françaises et de Français se battraient pour défendre la France ; à la manière héroïque des Ukrainiennes et des Ukrainiens ?
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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux.
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