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Société-Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)

Société-Emeutes : rage et perte complète de sens ( Alain Bauer)


Par Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers. Il est l’auteur de Au commencement était la guerre, (Fayard, 2023) et de Au bout de l’enquête, ( First, 2023).
intreview dans l’Opinion

Comment expliquer cette flambée de violences urbaines dans un climat qui semblait, selon les spécialistes, plutôt calme ces derniers mois ?

Un calme relatif dans un univers qui n’est jamais serein. Les micro-événements se succédaient : les refus d’obtempérer, on l’a vu à Nanterre malheureusement, les agressions, les drames familiaux et des règlements de comptes plus fréquents dans une expansion des territoires des trafics. En revanche, les violences dites urbaines restaient contenues. La violence se manifestait davantage dans les mouvements contre les bassines à Sainte-Soline et, évidemment, dans le mouvement social contre la réforme des retraites. Ou avec les Gilets jaunes. Une violence plus générale qui masquait les bouillonnements du quotidien. Personne n’est vraiment surpris par l’intensité de ces émeutes depuis mardi. La diffusion de la rage est extrêmement rapide sur des portions de territoire plus larges qu’à l’habitude.


Quelle est la réponse adaptée ?

D’abord, éviter un deuxième événement tragique. Il vaut toujours mieux une vitrine cassée qu’une vie brisée. Puis il faut tenter de limiter la contagion à l’ensemble du territoire même si, au-delà des cités et des grandes villes, les violences s’étendent à des lieux atypiques. Des tirs de mortiers et des voitures incendiées à Clermont-Ferrand, ville ouvrière, c’est inhabituel. Tout comme l’avait été l’attaque de la préfecture du Puy-en-Velay pendant les Gilets jaunes.

Le dosage est toujours délicat entre l’option d’une imposition de l’ordre absolu « quoi qu’il en coûte » et la gestion optimisée du désordre. Ce débat agite les experts du maintien de l’ordre. En France, on oscille toujours dans cet entre-deux. Y compris dans la parole publique, comme le Président l’a fait en parlant d’abord à Marseille mercredi d’une mort « inexcusable » et « inexplicable » puis, le lendemain, en qualifiant d’« injustifiables » les violences de la nuit. Les deux réactions sont compréhensibles isolément. C’est plus complexe à gérer « en même temps ».

Gérald Darmanin a indiqué jeudi que 40 000 policiers et gendarmes allaient être mobilisés. Après 48 heures où les autorités ont semblé subir les événements, ne vont-elles pas réagir ?
Le dispositif doit être réactif et adapté. Le risque d’une vague d’émeutes version 2005 est tel que l’Etat en a pris la mesure en déployant des forces plus nombreuses sur tout le territoire. Il faut souhaiter que l’effet dissuasif fonctionne pour arrêter la casse des équipements publics. Il faudra bien plus pour établir un ordre juste qui ne soit pas juste de l’ordre.


La comparaison avec les violences urbaines de 2005, nées à Clichy-sous-Bois après la mort des jeunes Zyed et Bouna qui avaient tenté d’échapper à un contrôle de police, est-elle valable ?

Sur le plan des déclencheurs de la crise, pas vraiment. En 2005, un triple mécanisme était à l’œuvre. Il y avait une tension sur le marché des stupéfiants. La posture du ministre de l’Intérieur (Nicolas Sarkozy), ses déclarations sur le Karcher, ont entraîné, dans le « camp » d’en face une volonté de confrontation avec l’Etat avant l’arrivée au pouvoir du futur président. La tragédie de deux jeunes « grillant » dans l’enceinte d’un transformateur électrique à Clichy avaient frappé les esprits, a fortiori parce que les autorités avaient brouillé les informations sur les circonstances. Ce qui n’est heureusement pas le cas aujourd’hui. En revanche, les cibles des deux mouvements se ressemblent : des bâtiments publics, du mobilier urbain, des infrastructures de transport. Un changement de tonalité est toutefois frappant. Sur les vidéos qui circulent, on entend des jeunes joyeux plus que haineux. Ils détruisent, mais en faisant la fête, comme un grand jeu de télé-réalité. Au-delà de la vengeance et du ressentiment, de la confrontation avec cette « autre bande » que serait la police, une transformation de l’approche du bien commun se fait sentir.


Que signifient ces destructions « joyeuses » ?

Incendier des mairies, des écoles, des bus ou des trams, des voitures de voisins, c’est s’attaquer à des services publics qui sont là pour eux, pour leurs parents. Le faire « joyeusement » montre que plus rien n’a de sens, ni d’importance. De ce point de vue, ce nouveau cap éloigne la possibilité d’une compréhension commune de la réalité et surtout de la possibilité durable d’un retour à la paix civile.

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