Emeutes urbaines : « Ne jamais oublier les banlieues ».
Par
Erwan Ruty
Entrepreneur social en banlieue
Dans une tribune au « Monde », le spécialiste des banlieues Erwan Ruty estime que les différents gouvernements et présidents ont buté sur les maux qui étaient associés aux quartiers.
En 1983, il y a exactement quarante ans, s’élançait la Marche pour l’égalité. Elle faisait, déjà, suite à une « bavure » policière contre un jeune habitant d’un « quartier » à Vénissieux, Toumi Djaidja, quelque temps après les premières émeutes urbaines apparues sur ce territoire. Cette marche traversant la France parvint à transformer la colère en geste politique, jusqu’à rassembler 100 000 personnes, à son arrivée à Paris, à mener ses organisateurs à l’Elysée, et à obtenir quelques avancées légales. Elle modifia surtout le visage de la société française, pendant au moins dix ans, grâce à un vaste mouvement culturel, caricaturé par le terme « beur », voire politisa une génération entière d’habitants des quartiers, et du reste de la France, grâce à des organisations comme SOS-Racisme.
En quoi cette marche, vaste mouvement d’indignation, pacifique, est-elle différente des révoltes de 2005 et de 2023, alors que les causes sont identiques ? Le contexte a changé : les mouvements d’éducation populaire et syndicaux qui avaient alors pu accompagner et organiser la marche, et pacifier les tensions existantes, sont aujourd’hui exsangues, quasi oubliés des « plans banlieue » et des milliards déversés sur ces quartiers pour rénover le bâti (certes nécessaire). Par ailleurs, les décideurs politiques n’ont plus le pouvoir qu’ils avaient alors, éparpillé en mille et un niveaux de décision, d’institutions dotées chacune de son propre agenda, d’autorités indépendantes. Le pouvoir s’est dilué dans une mégamachine bureaucratique, avec laquelle les faibles corps intermédiaires associatifs ne parviennent plus à construire un projet sur le temps long.
Les lieux de débat, dans les organismes chargés du soutien aux acteurs des quartiers, ont le plus souvent laissé place, comme partout ailleurs, à des échanges sur des plates-formes numériques. Cette déshumanisation des rapports sociaux préside à leur brutalisation. Faute d’interlocuteur visible, fiable, pérenne pour les uns, d’autres laissent exploser leur colère, sans limites. Comme le dit Victor Hugo dans Les Misérables, « il y a des rages folles ». Et de rappeler : « L’émeute frappe au hasard, comme un éléphant aveugle, en écrasant. (…) Quelquefois le peuple se fausse fidélité à lui-même. La foule est traître au peuple. Le bruit du droit en mouvement se reconnaît, il ne sort pas toujours du tremblement des masses bouleversées. »
Facteur aggravant, la police est toujours moins présente sur le terrain, au quotidien, du fait des modes d’intervention qui lui sont imposés depuis la dislocation de la police de proximité.
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