Dérèglement-climatique-et-dérèglement-civilisationnel

Dérèglement-climatique-et-dérèglement-civilisationnel

par
Philippe Lukacs

Economiste

L’économiste Philippe Lukacs rappelle, dans une tribune au « Monde », que le concept de « décivilisation » brandie dans le débat public, a été utilisé par l’ethnologue Robert Jaulin en 1974 pour dénoncer la destruction des modes de vie humains par un système économique prédateur de l’homme et de la nature.

Oui, comme le président de la République l’a évoqué le 24 mai, nous risquons non seulement un dérèglement climatique mais aussi un dérèglement civilisationnel, une « décivilisation ». Mais ce risque de décivilisation n’est pas celui de la perte des bonnes mœurs ou la déliquescence des hiérarchies, selon la conception qu’en donne Renaud Camus avec son essai de 2011 (Décivilisation, Fayard, 2011) dans un mouvement réactionnaire de regret du passé. Il n’appelle pas non plus à un « sursaut moral » comme le chef de l’Etat nous y a invités en réaction aux récentes émeutes.

Le risque est plus fondamental : c’est la logique même de notre civilisation qui nous entraîne vers une décivilisation. Il ne s’agit donc pas de chercher à maintenir un ordre ancien regretté mais, tout au contraire, de sortir le plus vite possible d’une logique mortifère.

Dès 1923, le philosophe György Lukacs (1885-1971) dénonçait, après Karl Marx (1818-1883), le risque d’une transformation du monde et de l’humanité en « choses », en marchandises échangeables : une « réification » du monde (Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, Paris, Les Editions de Minuit, 1960).

Notre aveuglement à l’égard ce qui est au-delà des marchandises, le climat notamment, n’est-il pas justement une des conséquences de ce mouvement de réification du monde ? En 1972, l’économiste Dennis Meadows, dans son fameux rapport sur « Les limites de la croissance », montrait que la logique selon laquelle nous construisons aujourd’hui notre univers de vie conduit à la mort de l’humanité, et donc de la civilisation.

En 2005, le sociologue Hartmut Rosa soulignait que notre logique d’accélération entraîne de multiples dysfonctionnements, non seulement écologiques, économiques mais aussi politiques, et se répercute même sur chaque individu (Accélération, une critique sociale du temps, La Découverte, 2013). Il montrait que dérèglement climatique et dérèglement civilisationnel sont liés.

Nous devons faire évoluer notre oekonomia, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire la logique selon laquelle nous construisons notre « maison ». L’économie doit aujourd’hui élargir son regard. Non plus avoir comme unique préoccupation celle de l’optimisation de la production mais, plus largement, être attentive aux interdépendances, tant sociales qu’avec la nature.

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