Crise des quartiers: une affaire de volonté
« La banlieue ce n’est pas une affaire de milliards. C’est d’abord une question de volontarisme politique » (Xavier Bertrand) . Interview dans la Tribune.
Les quartiers populaires s’embrasent depuis la mort tragique de Nahel, ce jeune homme tué par balle par un policier à Nanterre. Approuvez-vous l’action de l’exécutif ?
XAVIER BERTRAND- Je soutiens très clairement l’action des forces de l’ordre. La priorité, c’est la sécurité, l’ordre et la justice. Il n’y a pas de débat là-dessus, ni de place pour la polémique.
Des émeutes de 2005 à celles de 2023, les mêmes problèmes semblent provoquer les mêmes effets. L’amplification des réseaux sociaux en plus et la jeunesse des émeutiers. La France des quartiers populaires en est à ce point de délitement ?
2023 n’est pas comparable avec 2005. Cette semaine, nous avons franchi des paliers insoutenables, notamment avec des agressions contre les maires. On l’a vu avec Vincent Jeanbrun, (ndlr, le maire de L’Haÿ-les-Roses) dont la famille a été attaquée à son domicile ou encore avec Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise. Des centaines de commerces ont été pillés ; des bâtiments publics et des mairies ont été saccagés. On a tiré sur des policiers et lancé des mortiers d’artifice en direction des forces de l’ordre ! On est entré dans autre chose par rapport à 2005. Nous avons franchi un cap supplémentaire dans la haine de ces jeunes envers la République. Je salue d’ailleurs l’action et le professionnalisme des forces de l’ordre.
Pourquoi cette aggravation ?
L’hyper violence est la marque de notre époque. Je le vois à Saint-Quentin. En 2005, nous n’avions pas eu le moindre problème. Cette fois, les tirs de mortiers sur les pompiers ont précédé la mise à sac de commerces. Les raisons sont bien sûr multiples. Mais la première c’est la crise de l’autorité et du respect. C’est bien la preuve qu’il faut refonder une vraie République des droits et des devoirs. Aujourd’hui, la politique doit être tournée davantage vers les gens. Dans ces quartiers, la quasi-totalité des habitants sont de braves gens et les premières victimes des pillards. De la même manière, tous les jeunes ne sont pas des casseurs. C’est la raison pour laquelle les Français exigent la plus grande fermeté vis-à-vis de ceux qui se sont livrés à ces exactions. Je rappelle mon combat pour la mise en place de peines minimum d’un an de prison ferme pour celles et ceux qui agressent les forces de l’ordre ou de secours. Je demande au gouvernement qu’il nous donne en toute transparence le nombre de condamnations suite à ces émeutes, mais aussi les peines infligées à ces pillards et le nombre de parents dont la responsabilité juridique a été engagée comme le permet la loi. La crédibilité de l’État passe par cette fermeté sans faille. Toute faiblesse de la justice serait coupable et aggraverait l’exaspération des Français.
Vous êtes acteur de la politique de la Ville. Est-ce un échec collectif pour la droite, la gauche, le centre qui se sont succédé au pouvoir depuis 25 ans ?
J’en ai marre d’entendre cette rengaine ! J’en ai assez qu’on mette tout le monde dans le même sac. De 2002 à 2012, nous avons agi avec la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Intérieur puis Président de la République ; avec la politique pénale de Rachida Dati, avec la politique en direction des quartiers de Jean-Louis Borloo. Mais la droite n’est plus au pouvoir depuis onze ans. Il y a des émeutes urbaines aux États-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou même en Suisse. La droite française n’est quand même pas responsable des violences partout dans le monde ! Quand on met tout le monde dans le même sac, par facilité ou même parfois par cynisme, quand on affirme que toutes les politiques ont échoué, c’est faire le lit des extrêmes et notamment de ces incapables d’extrême-droite.
Cette explosion de violence, illustre-t-elle un problème de relation entre la police et la jeunesse des quartiers, souvent issue de l’immigration et qui se sent stigmatisée ?
Mais si c’était ça le cœur du problème, alors pourquoi s’en prennent-ils aux pompiers qui sont là pour sauver des vies ? Si c’était ça le problème, pourquoi vont-ils piller les commerces de leurs quartiers ? Ras-le-bol de la théorie de l’excuse. Je le répète : en premier, il faut rétablir l’ordre et le respect de l’autorité, et avant tout celle des parents. C’est le préalable à tout. Ça ne résume pas un projet de société, mais c’est un préalable. L’autorité doit à nouveau être érigée comme un principe de base.
Dites-vous que cette crise couvait depuis longtemps avec le choix d’Emmanuel Macron, au début de son premier mandat, de renoncer à un grand plan banlieue recommandé par Jean-Louis Borloo ?
Le plan Borloo recommandait justement de s’occuper maintenant davantage des gens que des bâtiments. Il s’agissait d’engager très vite de nouvelles actions concrètes sur le terrain. On a perdu du temps sur ce sujet comme sur bien d’autres.
Cette crise est-elle l’un des symptômes de la crise migratoire et de l’incapacité du pays à absorber les quelque 3,5 millions d’immigrés arrivés sur le territoire national depuis 2005 ?
Oui et ça fait des années que la politique d’intégration est un échec. Et depuis dix ans, nous vivons au rythme d’une politique migratoire incontrôlée. Qu’attend le gouvernement pour réguler tout ça ? La banlieue ce n’est pas une affaire de milliards. C’est d’abord une question de volontarisme politique : imposer la sécurité, développer l’emploi dans ces quartiers populaires et remettre le service public au cœur de nos priorités notamment l’école… comme dans toute la France.
Avec le recul, maintenez-vous votre opposition à la réforme des retraites rendue encore plus nécessaire avec les sombres prévisions contenues dans le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites ?
Évidemment. Je maintiens que cette réforme était mal construite et injuste. Je maintiens qu’on pouvait travailler plus longtemps mais lorsqu’on avait commencé à travailler jeune, quand on est une femme avec une carrière fracturée et pour ceux qui sont cabossés physiquement par leur travail, il faut pouvoir partir plus tôt à la retraite. Une réforme équilibrée et juste était possible. J’avais proposé de la financer en supprimant plus vite les régimes spéciaux. On n’a pas voulu m’écouter. Et puis, comment a-t-il pu imaginer réformer les retraites sans avoir au préalable repenser le rapport des Français au travail : rémunération, reconnaissance dans le travail, perspectives d’évolution de carrière, conditions de travail… ? Quand on fait tout à l’envers, il ne faut pas s’étonner d’avoir la totalité des syndicats contre soi, y compris les plus réformistes comme la CFDT. Ma conviction profonde est que s’il n’y a pas la justice au cœur des réformes, les Français ne voudront plus les accepter.
En se divisant, la droite a-t-elle définitivement perdu sa fonction de parti de gouvernement ?
La droite a perdu l’élection présidentielle avant tout chose et pour la troisième fois consécutive. La droite a toujours été composée de sensibilités et de personnalités différentes. Parce que nos idées sont, à mon avis, le plus en résonance avec ce que veulent les Français, je suis intimement convaincu que nous sommes toujours à même de diriger le pays. Nous le démontrons en gérant avec efficacité nos collectivités.
Saluez-vous le succès de la politique de réindustrialisation du gouvernement qui a permis l’ouverture d’usines notamment dans les Hauts-de-France ?
J’ai poussé à fond pour la réindustrialisation de la Région Hauts-de-France depuis décembre 2015 et mon élection au conseil régional. Je suis bien sûr satisfait que le gouvernement suive la même logique. Tant mieux. Je rappellerai quand même le combat qu’il a fallu livrer en 2018 pour éviter la fermeture de l’usine Ascoval près de Valenciennes. Certains m’avaient reproché d’avoir interpellé trop durement le Président de la République et le gouvernement pour dire qu’il y avait encore de la place pour une politique industrielle dans la Région et dans le pays. Ascoval a été le premier symbole de ce combat que j’ai toujours porté. Le Président a désormais fait de la réindustrialisation et du nucléaire des priorités nationales, tant mieux. En 2019 quand Stellantis cherchait à implanter en France une première usine de batteries électrique, la Région s’est battue seule pour l’avoir. Maintenant, on travaille ensemble, en particulier avec Bruno Le Maire. C’est ce que j’appelle l’intérêt général.
Cela montre aussi une chose : nous avons absolument besoin d’une nouvelle étape dans l’organisation des pouvoirs dans notre pays. L’État central doit se concentrer sur les fonctions régaliennes et préparer l’avenir avec des choix stratégiques, notamment la réindustrialisation. Ensuite, l’État doit laisser la main aux territoires, aux élus locaux et même aux représentants de l’État dans les territoires pour agir au plus près. Si on doit aujourd’hui aller beaucoup plus vite dans les implantations, il faut que ce soient les préfets de Région qui reprennent les responsabilités qui sont aujourd’hui freinées dans les ministères. C’est ça la République des territoires que je défends. Dans les Hauts-de-France, cela marche. Nous avons réussi à avoir nombre d’implantations au point de créer une « vallée de la batterie ».
L’emploi revient dans les Hauts-de-France, y a-t-il un risque de pénurie de main-d’œuvre ?
J’ai une obligation de résultat. Dans la seule industrie automobile, il va falloir trouver dans les années qui viennent entre 13.000 et 20.000 salariés. Cela veut dire la mobilisation de moyens d’action totalement inédits. Nous travaillons tous ensemble : État, collectivités locales, organismes de formation, constructeurs automobiles. Cela veut dire que nous devons faire des efforts dans la formation initiale pour former pour ces nouveaux emplois mais aussi faire davantage dans la formation des demandeurs d’emploi. L’an dernier, sur Dunkerque, nous avons formé plus de 1.000 chômeurs aux métiers de l’industrie.
Le Président de la République avait donné 100 jours à la Première ministre pour apaiser et lancer de nouveaux chantiers après la réforme des retraites. Pourquoi refusez-vous sa main tendue ?
Quelle main tendue ? La situation politique dans laquelle se trouve Emmanuel Macron est connue : il a gagné l’élection présidentielle et a perdu les législatives. Il avait la majorité absolue, il ne l’a plus. Il lui manque 35 sièges pour avoir une majorité absolue. Donc tant qu’il sera dans le déni, il ne pourra rien faire. Rien. Aucune action politique efficace pour les quatre prochaines années. Et pourtant, la France a tant besoin de modernisation, d’apaisement. Le Président peut faire semblant de pouvoir agir, sa responsabilité est entière. Son premier mandat, entre la crise des gilets jaunes, le Covid et la guerre en Ukraine, n’aura pas permis à la France d’avancer comme il le faudrait. Espérons que le second mandat ne s’enfoncera pas dans l’immobilisme qui rapprochera encore un peu plus les extrêmes du pouvoir. Il faut prendre la mesure de la situation politique et donc imposer un changement complet de méthode. Il ne peut pas continuer à diriger le pays comme s’il avait une majorité absolue. Il ne peut pas continuer à travailler en regardant les élus en chiens de faïence alors que nous pourrions vraiment avoir un travail partenarial. Il ne peut pas faire avancer le pays sans avoir un véritable dialogue avec les partenaires sociaux. Nous avons besoin d’un gouvernement avec des ministres qui incarnent pleinement leur fonction aujourd’hui, et ils sont trop peu nombreux à le faire. Nous avons besoin en urgence d’une politique résolument différente en matière de sécurité et de justice. Il ne peut pas continuer à faire comme si les services publics pouvaient se contenter d’effets d’annonce. Nous avons besoin d’une nouvelle ambition sur la lutte contre le réchauffement climatique, sur la santé, le logement, l’école, la dette… La liste des angles morts de ce gouvernement est longue. Emmanuel Macron ne peut pas continuer comme si rien n’était grave.
Vous avez déclaré qu’Emmanuel Macron était en état de cohabitation. Cela veut-il dire qu’il n’est plus en état de faire avancer le pays sans vous ?
Oui et c’est une cohabitation inédite. Aucun parti politique n’incarne la majorité à lui seul. Il existe en revanche deux groupes parlementaires qui permettraient au gouvernement de bénéficier de cette majorité absolue. Ce sont Les Républicains et LIOT (ndlr, Liberté, indépendants, outre-mer et territoires).
Il faut arrêter de faire passer les députés membres du groupe LIOT comme des gauchistes extrémistes, car ils n’ont strictement rien à voir avec les Insoumis. Il faut arrêter de faire passer les députés LR pour autre chose que ce qu’ils sont, c’est-à-dire des élus responsables. C’est donc au Président de la République de prendre la mesure de la situation politique et ensuite d’engager une politique radicalement différente. C’est à lui de prendre une initiative franche et claire vis-à-vis de ces deux groupes politiques. Nous ne pouvons pas continuer avec sa politique d’effets d’annonce qui a remplacé celle des actions concrètes qui changeraient le quotidien des Français.
Sur l’immigration, il n’y a vraiment aucune voie de passage, y compris avec Gérald Darmanin, qui a pourtant des positions assez proches des vôtres…
Nos propositions sont claires, équilibrées et applicables immédiatement. LR reprend d’ailleurs celles que j’avais défendues le 4 novembre 2021 lors d’un discours sur l’immigration pendant la campagne de la primaire de droite. Ces propositions correspondent aux pratiques du Canada, de l’Australie ou de bien d’autres pays démocratiques. Si le Président veut nous tendre la main, il peut commencer en reprenant nos textes sur l’immigration.
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