Automobiles: les perspectives de la voiture électrique (Luca de Meo, Renault)
Le patron de Renault Luca de Meo s’explique dans la tribune sur les perspectives de la voiture électrique et la concurrence internationale.
La concurrence chinoise est de plus en plus forte en Europe. Êtes-vous inquiet ?
Ils ont un gros avantage sur nous lié au contrôle de la chaîne de valeur de la voiture électrique. Certains matériaux sont en effet concentrés dans très peu de pays, où l’influence géopolitique chinoise est très forte. Et le raffinage de ces métaux est essentiellement réalisé en Chine. L’autre avantage tient au système que la Chine a mis en place pour que l’industrie automobile chinoise puisse, non seulement contrôler le marché intérieur avec leur technologie, mais aussi commencer la conquête internationale, en commençant par l’Europe, parce que les Américains ont fermé leurs portes. Pour avoir une industrie automobile forte à l’international, les constructeurs chinois ont très vite compris qu’il fallait miser sur l’électrique en ayant une génération d’avance sur ce type de véhicules plutôt que d’essayer de concurrencer les constructeurs européens sur les voitures thermiques où il leur était impossible de rattraper leur retard. Ils ont mis de gros moyens dans les capacités de production de batteries et peuvent compter sur les achats des provinces et des municipalités qui leur assurent des milliers de ventes. Aujourd’hui, il y a une cinquantaine de marques chinoises qui font des voitures électriques, et il y en aura deux ou trois qui vont devenir très fortes.
Le gouvernement français va conditionner l’octroi du bonus pour les voitures électriques à l’empreinte carbone des véhicules. Ces mesures visent clairement les importations chinoises. Vous paraissent-elles suffisantes ?
Entre l’hyper libéralisme et le protectionnisme, il peut y avoir une voie médiane. Le protectionnisme pur crée de l’inefficacité sur le long terme et il peut engendrer des représailles de la part des pays concernés par les mesures de protection. Pour autant, la Chine et les Etats-Unis avec l’inflation reduction act (IRA) font du protectionnisme et l’Union européenne doit trouver la façon de se protéger, non pas pour défendre une industrie du passé, mais pour faire décoller l’industrie de demain. Pour sortir de cette impasse, il faudrait des mesures coordonnées au niveau mondial, ce qui est très difficile je le reconnais. Il faut négocier pour éviter les représailles avec des règles qui évoluent dans le temps, tenter des choses, voir si elles fonctionnent et les corriger si ce n’est pas le cas. Ce n’est pas la façon de faire de l’Europe. Elle n’a pas de stratégie pour l’automobile. On fixe des réglementations et des objectifs comme la fin des voitures thermiques en 2035, mais on ne dit pas comment faire pour les atteindre. Il faut que l’Europe négocie au minimum un principe de réciprocité, elle a été assez généreuse pour faire entrer tous les constructeurs du monde sur son marché. Il faut désormais mettre des règles à respecter pour entrer en Europe. Les exportations de la Chine vers l’Europe ont été multipliées par 6 quand, dans le même temps, les exportations de l’Europe vers la Chine ont diminué de 10 %. Dans le top 10 des voitures électriques vendues en Chine, il n’y a qu’une Tesla, toutes les autres sont chinoises.
La Chine n’a-t-elle pas ouvert son marché aux constructeurs européens ?
Oui, mais le marché est en fait fermé d’un point de vue technologique. La Chine a exigé plein de choses pour attirer les constructeurs étrangers : faire des joint-ventures à 50/50 et localiser chez eux la production en faisant venir nos fournisseurs. Faisons la même chose. Il faut demander aux constructeurs chinois de créer des usines en Europe, d’amener le Cobalt et de faire des batteries… Il faut respecter un principe de réciprocité. La Chine peut apporter beaucoup en investissant en Europe.
Peut-on donc imaginer demain des usines chinoises en France ?
Oui, c’est possible.
Ce bonus écologique que prépare la France et mis en place pour contrer la concurrence et protéger l’industrie française peut-il impacter les importations de vos voitures produites à l’étranger ?
Comme je vous le disais, toutes les voitures électriques de la marque Renault seront produites en France, sur notre pôle Electricity dans les Hauts-de-France. Certes, Dacia commercialise la Spring fabriquée en Chine, mais nous ne parlons que d’un modèle.
Que demandez-vous pour être plus compétitif en France ?
Je ne demande rien. C’est à nous de trouver des solutions. Pour autant, il faut un plan coordonné sur certains sujets. Il est clair que, pour régler des problèmes systémiques, nous avons besoin d’une coordination des différentes industries impliquées dans la réalisation de nos voitures. Car des sujets comme la transition énergétique et la digitalisation sont transverses à plusieurs secteurs. Les pouvoirs publics peuvent nous mettre autour de la table et nous forcer à travailler ensemble. Parce que s’il n’y a pas quelqu’un qui installe de supers chargeurs sur les autoroutes, nous ne vendrons pas des voitures. Même chose s’il n’y pas quelqu’un qui trouve un moyen de nous fournir de l’énergie renouvelable décarbonée, ou si personne ne se retrousse les manches pour aller chercher du cobalt ou faire du raffinage de lithium…. La deuxième chose, ce sont des mesures qui garantissent la compétitivité de l’Europe comme système. Il faut faire des choix qui favorisent un secteur en phase de décollage. Dans le cas d’une gigafactory, par exemple, qui consomme énormément d’énergie, il faudrait, dans ce cas spécifique, que l’énergie soit compétitive pendant le temps nécessaire à la maturité du marché. Sinon, cela ne marchera pas. Ça, c’est de la stratégie industrielle.
Par ailleurs, on constate une augmentation des ventes de voitures électriques en Europe ces derniers temps (+13 % en mai), mais elles restent largement minoritaires par rapport aux voitures à moteur thermique malgré les objectifs européens, comment l’expliquez-vous ?
Pour l’instant, le marché de l’électrique n’est pas un marché naturel. Si on demandait aux gens s’ils voulaient vraiment acheter une voiture électrique, on serait loin d’obtenir 100% de réponses positives. C’est donc un marché qui a besoin de soutien. Or, paradoxalement, alors que la transition vers le véhicule électrique a besoin d’aides publiques pour décoller, certains pays (Royaume-Uni, ndlr) ont arrêté d’accorder des subventions. Je comprends les exigences budgétaires, mais on ne peut pas demander de passer dans un peu plus de 10 ans à 100% de voitures électriques en Europe sans mettre le paquet en termes d’aides publiques. Et ce, alors que les prix des voitures électriques ont augmenté en raison de l’inflation des matières premières comme le nickel, le lithium ou encore le cobalt, nécessaires aux batteries électriques. Cette hausse des coûts ne s’est pas observée de la même façon pour les matières premières de la chaîne de valeur des moteurs à combustion. Il faut également tenir compte de l’augmentation du prix de l’électricité, qui rend moins favorable l’achat d’un véhicule électrique par rapport à une voiture thermique. Enfin, si on veut utiliser une voiture électrique de la même façon qu’une voiture à combustion, avec la même autonomie, il faut des véhicules avec 100 kWh de batteries, qui coûtent cher. Pour autant, il n’y a pas de retour en arrière sur l’électrique, même si certains parlent d’une clause de revoyure en 2026 par rapport à l’interdiction des ventes de voitures thermiques en Europe en 2035. En 2026, le train aura déjà quitté la gare.
Croyez-vous vraiment que la cible à 2035 est tenable ?
Je ne suis pas là pour croire ou pas. J’ai des règles du jeu qui me sont données. Initialement, nous aurions souhaité plutôt une cible à 2040 pour nous laisser le temps de construire une chaîne de valeur capable de concurrencer les constructeurs chinois qui disposent d’une génération d’avance. On a toujours dit que toutes les règles européennes devaient respecter un principe de neutralité technologique. C’est-à-dire que le politique doit fixer un point d’arrivée, mais qu’il doit laisser les constructeurs trouver les moyens d’atteindre les objectifs. Si l’ennemi est le CO2, qu’on nous laisse proposer une solution pour le réduire. Et aujourd’hui, la meilleure façon, c’est de renouveler le parc existant. Mais je comprends bien qu’il est plus facile de donner des règles à quelques constructeurs que de dire à la population qu’elle ne pourra plus utiliser son véhicule s’il est classé Euro 2.
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