Le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, S’explique sur les nouvelles technologies
intreview dans la Tribune.
Le parlement européen a adopté un règlement très important visant à encadrer et protéger l’innovation dans le développement de l’intelligence artificielle, qu’est-ce que cela va changer pour nous Européens ?
C’est un acte législatif sur lequel on travaille depuis mon premier jour, depuis fin 2019. On a donc mis quatre ans pour le réaliser. On a travaillé à une régulation dite « riks based », c’est-à-dire fondée sur les risques. Certains éléments seront interdits, mais les autres seront autorisées avec des niveaux de risques suffisants. Et, nous demandons à toutes les entreprises de respecter les contraintes qui sont contenues dans les niveaux de risques. Le texte qui avait été proposé par la Commission européenne puis adopté par le conseil européen à l’unanimité en décembre de l’année dernière, l’a été par le Parlement jeudi. Maintenant, la chambre des députés européens et le Conseil vont se réunir dans un trilogue et ça deviendra la loi en Europe qui s’appliquera à tous, encadrant ainsi les risques associés.
L’un de vos chevaux de bataille est la souveraineté autour de trois sujets : D’une part, l’espace et l’accès à l’espace. Vous avez d’ailleurs lancé la constellation de satellites Iris2 et, d’autre part, l’industrie de défense avec la volonté de produire beaucoup plus de munitions pour aider les Ukrainiens et donc de ne pas dépendre de pays tiers. Vous menez également un travail sur les composants électroniques puisque l’Europe veut produire 20% du marché mondial. Est-ce réalisable ?
THIERRY BRETON – D’abord, la souveraineté ne veut pas dire qu’on va tout faire, tout seul et en Europe. La souveraineté signifie qu’il faut s’assurer que certaines industries, qui sont importantes, stratégiques qui sont fortement intégrées dans des chaînes de valeur, vont continuer à fournir tout ce qu’elles doivent fournir, quelles que soient les évolutions envisageables, des épidémies ou des évolutions géopolitiques. On a désormais cet agenda à la Commission, c’est nouveau. On était auparavant essentiellement guidé par « le consommateur roi ». Il est toujours aussi roi mais on avait un peu oublié le volet industriel, mais aussi stratégique et souverain pour pouvoir produire. Désormais cette partie est maintenant vraiment un axe très important de la politique européenne. C’est un changement très profond auquel je contribue de là où je suis depuis quatre ans.
L’accès à l’espace, c’est un élément absolument essentiel pour un continent comme l’Europe. On a des capacités et des compétences extraordinaires, mais pour l’instant, nous sommes en situation d’échec. C’est clair. Je le dis d’autant plus que je suis un des grands clients de cet accès à l’espace étant ordonnateur de deux constellations, Galileo et Copernicus. On est notamment en discussion avec des industriels et l’Agence spatiale européenne (ESA). On croit également beaucoup en Ariane 6 et il y a aussi tout un écosystème qu’il va falloir pousser. Il va donc falloir très vite bien évaluer s’il y a des solutions intermédiaires à mettre en place parce que je suis responsable du fonctionnement de ces constellations et je prendrai les mesures qui s’imposent. J’ai, d’ailleurs, l’intention d’inviter très prochainement les principaux ministres des Etats concernés et l’ESA pour qu’on travaille ensemble sur cette question qui est essentielle, afin de déterminer un calendrier et une feuille de route précise qui seront tenus.
À propos de la constellation Iris2, nous sommes à un stade très avancé. C’est une constellation essentiellement en orbite basse, mais qui va aussi travailler avec des orbites moyennes et des orbites élevées, dites géostationnaires, pour offrir une connectivité ultra sécurisée à l’ensemble du continent européen, y compris en utilisant des techniques de cryptographie quantique. Cela permettra également à nos armées d’avoir une infrastructure sécurisée. On a vu à l’occasion de la guerre en Ukraine combien il est important d’avoir ce type de constellation y compris en orbite basse pour les terrains d’opération, les troupes au sol mais aussi tout ce qui va autour y compris les drones. Il y a, en effet, de plus en plus d’objets interconnectés et qui nécessitent des infrastructures sécurisées. L’objectif est de commencer à lancer des premiers satellites dès 2024. Cela va donc dans le sens de cette autonomie et de cette souveraineté fondamentale.
En outre, on déroule cet agenda sur les semi-conducteurs. On a déjà fait des annonces importantes dans le cadre du « Chips european Act » [qui doit porter la part de la production européenne de puces à 20% d'ici à 2030 en investissant 43 milliards d'euros dans l'industrie du continent, ndlr] notamment avec STMicroelectronics et GlobalFoundries à Grenoble. Ce matin même, Intel a annoncé qu’il allait ouvrir une usine en Pologne consacrée à l’assemblage des semi-conducteurs. Et d’autres vont suivre. Nous avons aujourd’hui plus de 100 projets avec plusieurs dizaines de milliards d’euros impliqués donc je suis absolument convaincu que l’objectif de 20% de production est en route. On a mis le mouvement en place, on a les projets, on connaît les participants et les acteurs, donc cet objectif sera tenu. Notamment avec une annonce très importante dans les jours qui viennent.
Vous avez pris position contre Huawei en disant qu’il fallait l’interdire dans les éléments télécoms. Face à cette volonté de puissance chinoise qui devient éventuellement problématique et une volonté de puissance américaine par la technologie avec l’arrivée de ChatGPT, comment pouvez-vous défendre l’Europe?
En 2020, nous avons mis en place une boite à outils 5G. Compte tenu de la spécificité de cette activité, il y a des contraintes de sécurité spécifiques sur la 5G. Nous avons donc mis des critères très précis en place pour identifier les fournisseurs à haut risque dont on ne veut pas dans nos réseaux.. C’est passé dans les lois des 27 Etats membres. Dix pays en ont tiré les conséquences et d’autres sont en retard. Nous avons pu vérifier que tous les pays qui l’avaient fait, concernant Huawei et ZTE, avaient eu raison de le faire et que c’était légitime et argumenté dans le contexte sécuritaire qui était rappelé par la boite à outils 5G. Et j’ai incité les autres à le faire rapidement. Enfin, en ce qui nous concerne, nous, institutions européennes, dans tous nos sites demanderont à nos fournisseurs de télécoms qui fournissent notamment des applications 5G de veiller à ce qu’ils n’aient pas ces fournisseurs dans leurs réseaux. Je ne parle que de la 5G.
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