Energie: Vers la fusion nucléaire ?
Pour mieux comprendre la transformation qui s’opère au niveau des noyaux lors d’une réaction de fusion, discerner les différentes méthodes explorées par les chercheurs pour la reproduire en laboratoire, et sonder dans quelle mesure ces développements technologiques vont révolutionner nos systèmes énergétiques, voire devenir cruciaux pour lutter contre le changement climatique, le journal l’Opinion a interrogé Alain Bécoulet, qui dirige le domaine ingénierie du projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor).
La fusion nucléaire est-elle plus écologique que la fission ?
« Comme l’énergie nucléaire de fission, la fusion est d’abord une énergie décarbonée, qui ne génère pas de gaz à effet de serre, ce qui est extrêmement important. Mais l’énergie issue de la fusion est aussi une énergie très condensée. Elle est même, par unité de réaction, encore plus condensée que l’énergie nucléaire de fission. »
« La réaction en chaîne provoquée par la fission, on sait la contrôler, mais on a vu des accident où le contrôle a été perdu. L’avantage des réactions de fusion, c’est qu’en général elles ne créent pas de réaction en chaîne parce que la difficulté ce n’est pas de casser quelque chose par une collision mais c’est de collisionner deux éléments et les coller ensemble. »
« La réaction de fission elle-même génère des déchets radioactifs de très haute intensité et de très longue vie : des sous-produits de fission. Ce sont eux qui posent des problèmes de stockage, d’entretien, parce qu’ils peuvent avoir des durées de vie de plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’années. Ils peuvent avoir des activités extrêmement intenses qui demandent un attention particulière. Alors qu’avec la fusion du deutérium et du tritium, la réaction produit de l’hélium, qui n’est pas radioactif. Il n’y a donc pas de problème de déchet de la réaction en elle-même. »
« La fusion fonctionnement principalement avec du deutérium et du tritium, deux isotopes de l’hydrogène. Le premier existe dans la nature de façon complètement stable : il représente une fraction de tout l’hydrogène qu’il y a sur la planète, dans les océans notamment. Le tritium, en revanche, n’existe pas. C’est un élément radioactif très rapide, qui disparaît très vite. Il faut donc le créer avant de le brûler. On va donc mettre beaucoup du lithium – élément suffisamment abondant pour ne pas poser de problème – sur la machine qui va entourer le milieu réactif, et quand le neutron issue de la réaction va sortir, il va rencontrer le lithium et créer le tritium. Ce dernier va être pris et réinjecté dans le milieu. Donc le seul élément radioactif de cette histoire va être crée et brûlé sur place. Par conséquent, les réserves, je ne sais pas si on sait les estimer mais elles vont se compter en milliers d’années. »
L’énergie de fusion va-t-elle supplanter les énergies fossiles et renouvelables ?
« En tant que citoyen mais aussi en tant que scientifique, je peux vous prédire qu’il va se passer beaucoup de temps, même le jour où je maîtriserai la fusion, pour que la fusion soit la seule et unique solution de production d’énergie utilisée par la planète ; ça n’a pas de sens. La solution ne peut être qu’intégrée, ne peut être qu’un mix énergétique. »
« Par ailleurs, la fusion va arriver, au mieux, dans la seconde partie de ce siècle. Or le problème il est aujourd’hui. Il faut donc utiliser les solutions qu’on a : éolien, solaire, hydroélectricité, et je suis désolé, du nucléaire de fission. Tous doivent continuer à faire leur recherche et développement, améliorer leur efficacité, leur sûreté, leur impacte sur la planète. Il faut arrêter se de battre les uns avec les autres. Il ne faut pas faire les malins car on a des solutions, on n’a pas LA solution. Donc il faut continuer à chercher. La fusion rentre dans cette logique de pousser le nucléaire vers le propre, l’abondant, le moins problématique, sinon non problématique du tout. »
Cela suffira-t-il pour lutter contre le changement climatique ?
« Il faut barrer la route aux énergies fossiles et les remplacer pour des énergies décarbonées. Cela va prendre 20 ans ou 40 ans. Pendant ce temps-là, je prétends, en tant que chercheur, qu’on aura amélioré l’efficacité de beaucoup des énergies renouvelables et on aura une solution de type énergie de fusion. On peut imaginer maintenir un niveau de confort dans ce type d’équation ; ça prendra du temps. L’autre solution drastique, c’est une solution qui a besoin de monsieur Kim Jong-un ou Poutine : on arrête tout demain matin à 8 heures, point barre. Pas sûr qu’il n’y aura pas beaucoup de monde dans les rues. »
La fusion nucléaire aura-t-elle d’autres applications que la production d’électricité ?
Tout le monde se gargarise avec l’hydrogène, voire maintenant avec l’ammoniac car il paraît que c’et un peut être encore mieux. Mais il faut bien le créer cet hydrogène. Il faut des sources d’énergie, de chaleur pour le créer. Or aujourd’hui, sur la plupart de la planète; il fait avec du gaz, du charbon et du pétrole, donc le bilan est absurde. Avoir de grosses sources d’énergie qui seront à l’origine de créer le vecteur d’énergie hydrogène pour les transports par exemple, justifie largement ce genre de recherche. »
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