La démocratie confisquée ?
Durant les débats sur la réforme des retraites, l’exécutif n’a eu de cesse de déployer les outils du « parlementarisme rationalisé » à l’instar de l’article 49-3, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote ou du 47-1, qui autorise, sous certaines conditions, à limiter la durée des débats parlementaires. Bien que parfaitement légaux, leurs usages réitérés sont-ils justes pour la démocratie ?, interroge la philosophe Myriam Revault d’Allonnes pour le JDD.
La philosophe s’interroge sur le caractère démocratique de l’usage excessif de procédure qui en faites limite la démocratie en particulier au Parlement. Un article intéressant mais qui aurait pu insister davantage sur le phénomène plus général de désengagement du citoyen puisque la plupart des élus ne recueille désormais qu’autour de 12 à 13 % des voix des 47 % inscrits qui votent. Autant dire qu’ils ne sont pas légitimes tant sur le plan juridique que politique.*
Le recours à l’article 40 de la Constitution, qui vient de déclarer irrecevable le texte du groupe Liot, est le dernier épisode d’une série de dispositions constitutionnelles qui ont permis au gouvernement de contourner tous les débats à l’Assemblée sur le contenu et les enjeux de la réforme des retraites. Qu’il s’agisse du 49-3, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote, du 47-1, qui autorise, sous certaines conditions, à limiter la durée des débats parlementaires, du 44-3 (utilisé en mars devant le Sénat pour provoquer un vote bloqué sur la totalité du texte) ou du récent article 40, ces diverses procédures n’ont rien d’« illégal ». Elles font partie de ce qu’on appelle le « parlementarisme rationalisé » et le pouvoir en place est en droit de les justifier en arguant de leur conformité aux institutions de la Ve République. Soit. Mais cela suffit-il à attester leur caractère démocratique ? À moins que leur usage réitéré ne soit le signe manifeste d’un « déni » de démocratie ou, pour reprendre l’expression de Laurent Berger, d’un « vice » démocratique ?
Ne pas réduire la démocratie à un mode de gouvernement
La réponse ne se trouve pas dans le seul examen de la légalité des formes et des modes de fonctionnement démocratiques. Car la démocratie, précisément, n’est pas une affaire de procédure et elle ne se limite pas à un mode d’organisation juridico-politique. Elle est d’abord, comme le disait Tocqueville, une « forme de société », à savoir une manière de faire du « commun », d’occuper et d’investir l’espace public, d’instituer des rapports entre les citoyens et le pouvoir. Ce qui la caractérise, c’est d’abord le rôle primordial des corps intermédiaires, l’importance de la délibération et de la discussion publique où s’échangent des arguments contradictoires. Elle ne se satisfait pas de la légalité de l’ordre établi par la sanction du suffrage universel. Plus encore : elle accueille la possibilité de sa contestation et le droit des gouvernés à élaborer des formes de contrôle, de critique et d’évaluation du pouvoir. Le cœur de la démocratie – c’est sans doute ce qui rend son exercice difficile –, c’est qu’elle est investie par un questionnement sans fin sur le légitime et l’illégitime, sur le juste et l’injuste et sur l’ensemble des valeurs dont le pouvoir n’est ni le détenteur ni le garant ultime. Il n’est que le dépositaire (momentané) de la souveraineté du peuple.
*En rapportant les votes exprimés au nombre d’inscrits, dans 61 circonscriptions, le député vainqueur en 2022a été élu avec moins de 20 % des voix des électeurs inscrits.
Ces circonscriptions sont notamment celles Français de l’étranger, ainsi que les territoires d’Outre-mer, dans plusieurs circonscriptions de la Martinique ou la 3e circonscription de la Guadeloupe.
Des circonscriptions de l’Hexagone sont également concernées : 16,6 % des inscrits obtenus pour le député Rassemblement national Laurent Jacobelli de la 8e circonscription de la Moselle, 17,2 % pour Martine Etienne, députée de la Nupes dans la Meurthe et la Moselle, 17,8 % pour le député Sébastien Delogu aussi député de la Nupes dans la 7e circonscription des Bouches-du-Rhône…
Dans trois circonscriptions des Français établis à l’étranger, les élus n’ont récolté que moins de 10 % des inscrits : Meyer Habib de l’Union des Démocrates et Indépendants a été élu dans celles de la 8e (Europe du Sud) avec moins de 7 % des inscrits, Éléonore Caroit d’Ensemble ! élue dans la 2e (Amérique centrale et du sud) avec 9 % et aussi 9 % pour Karim Ben Cheïkh étiqueté Nupes élu dans la 9e (Afrique de l’Ouest).
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