Logement : un enjeu de santé publique

Logement : un enjeu de santé publique

Par Yankel Fijalkow
Professeur, sociologue et urbaniste, Laboratoire LAVUE UMR 7218 CNRS, École nationale supérieure d’architecture de Paris Val de Seine (ENSAPVS) – USPC

Yaneira Wilson
Architecte – Docteure en Urbanisme, École nationale supérieure d’architecture de Paris Val de Seine (ENSAPVS) – USPC

Le gouvernement vient de proposer des mesures pour relancer la construction, la rénovation et l’accession à la propriété. Mais ces mesures prendront-elles en compte les pollutions que présentent certains habitats ? En effet on considère souvent – à tort – les logements comme des abris à l’écart des toxicités de la vie urbaine. Celles-ci sont par ailleurs élevées. Selon le The _Lancet_Planetary Health du 18 mai 2022, neuf millions de personnes meurent ainsi chaque année dans le monde à cause de la pollution, de l’air, de l’eau ou des sols soit trois fois plus que les morts cumulés des suites du sida, de la tuberculose et du paludisme. En Île-de-France, le nombre de décès évitable est estimé à 8000 par an.

Or, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a montré le rôle primordial de la qualité du logement dans la prise en charge de ces questions. Ainsi les maladies respiratoires et cardiovasculaires, les dépressions et le stress sont aussi à mettre en rapport avec la qualité de l’air et des matériaux, l’humidité, l’isolation phonique et thermique, le manque d’espace de nos logements.

Depuis une dizaine d’années, plusieurs équipes d’experts réfléchissent à la mise au point d’un index des qualités de l’habitat en matière de santé.

Cependant, les mesures établies par ces chercheurs, qu’il s’agisse de l’Indice de salubrité du logement (2014), Healthy Homes Barometer (2015), HEQI (2019), ou Domiscore (2020), considèrent peu la santé comme un état de bien-être physique et mental (définition de l’OMS de 1946), et ne s’intéressent pas aux immeubles ordinaires non classés comme insalubres.

De plus les études nécessitent de tenir compte des évolutions démographiques comme le vieillissement de la population, ou l’augmentation des familles monoparentales qui montrent que les qualités attendues de l’habitat sont aussi plurielles que liées à la santé physique et mentale (chutes, accidents domestiques, stress…).

La qualité architecturale des logements… sans la santé  !
Le problème de la qualité des logements est en effet général. Depuis une dizaine d’années, les architectes et les constructeurs réfléchissent à cette question. Après la loi Élan (2018) qui propose de « construire plus, mieux et moins cher », trois rapports officiels abordent le sujet.

Le rapport Lemas/Badia (2020), met l’accent sur la question des surfaces des logements sociaux, leur modularité et leur adaptabilité, leur luminosité et leur rapport à l’extérieur.

Le rapport Laurent Girometti et François Leclerq (2021) qui soutiennent « un référentiel destiné à améliorer la qualité d’usage des logements pour répondre aux nouveaux besoins des occupants et retrouver le désir d’habiter en ville ».

Le rapport de l’Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement IDHEAL (2021) souligne la méconnaissance des usages et modes de vie de la part des concepteurs. Sur la base d’une analyse de 200 plans d’appartements construits depuis vingt ans, il constate une détérioration des surfaces aménageables dans les appartements, notamment la surface des pièces, les cuisines ouvertes, et les espaces extérieurs.

En 2021, le gouvernement a lancé un vaste appel d’idées et d’expérimentations sur « la qualité du logement de demain » et désigné une centaine de lauréats faisant l’objet d’un suivi scientifique et technique.

Cependant, dans ces consultations, la notion de santé n’apparaît pas ou peu, du moins de façon explicite. Ceci illustre les difficultés des deux domaines du logement et de la santé à dialoguer, ce qui n’a pas toujours été cas.

Le XIXe siècle correspond à l’entrée du logement comme question politique. En France, la loi sur l’habitat insalubre, adoptée en 1850, vise les appartements loués dont les caractéristiques sont « susceptibles de nuire à la vie ou à la santé des habitants ». En 1891, le docteur Jacques Bertillon, qui publie le premier recensement des conditions de logement et cartographie le surpeuplement des ménages, compare cette carte avec celle des décès (Bertillon, 1894).

Les architectes du mouvement moderne, guidé par Le Corbusier, mettront à profit ces constats. Au nom de l’hygiène, ils préconisent des logements aérés, lumineux et respectant des dimensions standardisées devant procurer à l’habitant un sentiment de bien-être et de confort.

De son côté, la statistique publique des conditions de logement se fonde depuis l’après-guerre sur la présence d’équipements sanitaires comme indice de salubrité. À partir de 2000, observant que plus de 90 % des logements sont équipés, des chercheurs de l’Insee ont montré que d’autres défauts affectent l’habitat et la santé.

Ainsi, la qualité de l’habitat ne se réduit pas à des dimensions techniques. Elle comprend la possibilité pour l’habitant de partir ou de déménager (principe de mobilité)  ; le principe d’adaptabilité du logement à tous les âges et cycles de la vie  ; le principe d’identité qui permet ou non à l’habitant de se reconnaître dans son lieu de vie et d’en parler (principe de narrativité).

Ces éléments correspondent à la notion de santé dans le sens de l’OMS (un sentiment de bien-être physique et mental) on peut étudier l’effet de la représentation par les habitants de leur habitat sur leur santé. La qualité des habitats peut-elle être évaluée à partir de la notion de santé  ?

La qualité des habitats peut-elle être évaluée à partir de la notion de santé  ? Tel est le projet du programme SAPHIR, soutenu par l’Agence Régionale pour la Santé. Il consiste en une recherche-action dans le cadre d’un partenariat entre le bailleur social Paris Habitat et IDHEAL.

Il s’appuie sur une typologie de 12 immeubles représentatifs, par leur taille, l’époque de construction du Nord-est parisien. Ils reflètent une gamme diversifiée de logements sociaux et très sociaux. Auprès des habitants de ces immeubles, il s’agit de mesurer la capacité des habitants à se saisir des questions d’habitat par le biais de la santé, qu’il s’agisse du chauffage, de l’humidité, de la qualité de l’air, des nuisances sonores, etc.

La recherche de la santé et le bien-être dans le logement sont ainsi des occasions d’évoquer le rapport des habitants à l’architecture qu’ils habitent, aux dispositifs techniques, et au gestionnaire.

Concrètement, dans chaque immeuble l’intervention des chercheurs correspond à plusieurs étapes  :

Un « café pédagogique » où les habitants sont abordés dans l’espace d’accueil au moyen d’une affiche grand format présentant la recherche et les affections probables dans le logement

Une campagne d’entretiens individuels amenant les locataires à expliciter leurs parcours résidentiels, leurs pratiques de l’habitat et du quartier, leurs difficultés et le lien qu’ils font ou non avec les questions de santé.

Un premier focus group d’habitants dressant des éléments de diagnostics et de bilan partagés sur la qualité des logements. Il développe, amplifie ou minimise les éléments apparus lors des entretiens individuels.

Un second focus avec les équipes techniques.

Les premiers résultats de la recherche montrent que si la préoccupation de la santé dans l’habitat se développe, elle n’aborde pas les mêmes thèmes selon les types d’immeubles et les phases du cycle de vie. De nouveaux critères de qualité de l’habitat émergent (comme la qualité de l’air, l’isolation phonique et thermique) à la fois plus subjectifs et techniques.

Des modalités de dialogues entre habitants et gestionnaires sont à inventer, les chercheurs ayant joué un rôle d’éveilleur, en posant la question de la santé comme un problème collectif. Cependant le rôle de la recherche ne s’arrête pas là. Elle consiste aussi à interroger les concepteurs, car si le consommateur d’aujourd’hui est exigeant à l’égard des produits qui lui sont proposés, il est permis de penser que l’habitant de demain le sera vis-à-vis de son cadre de vie.

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