Avec les Insoumis, la gauche ne reviendra jamais au pouvoir » (Carole Delga)
Laprésidente de la région Occitanie, Carole Delga, se confie à La Tribune sur sa vision politique. Retour à 62 ans pour le départ à la retraite, ISF vert, et accélération de la transition écologique : elle esquisse un programme présidentiel mais rejette l’alliance qu’elle juge impossible avec Jean-Luc Mélenchon.
LA TRIBUNE – Laurent Berger a acté « la fin du match » sur la réforme des retraites en expliquant qu’il « ne faut pas mentir aux gens » et que l’âge de départ à 64 ans sera appliqué. A-t-il raison ?
CAROLE DELGA – Oui, nous sommes arrivés au bout du processus législatif. Pour autant, l’injustice reste, donc le devoir de la gauche est de remettre l’ouvrage sur le métier pour corriger les injustices pour ceux qui ont des métiers pénibles, pour les femmes victimes de carrières fractionnées. Cet exécutif a créé un système profondément injuste. Ce match est peut-être fini mais on doit préparer les victoires de demain tant cette réforme et les années Macron créent un énorme ressentiment. Par conséquent, il ne faut pas relâcher la pression sur le dossier du travail, des salaires et des retraites.
Vous êtes allée manifester à Paris. A quoi cela sert-il quand la loi est déjà promulguée depuis le 14 avril et les premiers décrets d’application publiés ?
Avant d’être une élue, je suis une femme libre et de convictions. Moi, je ne lâche jamais rien. Ma place était donc d’être aux côtés des syndicats, des salariés, des retraités et de tous ces Français qui continuent à dire avec sincérité que cette réforme est juste. Bien sûr que cette loi va hélas s’appliquer. Mais quand on est contre cette réforme, le minimum est d’être avec ceux qui vont devoir donner deux ans de plus de leur de leur vie au travail alors qu’ils exercent des métiers pénibles.
Est-ce bien raisonnable de soutenir la proposition de loi des députés du groupe LIOT alors qu’elle n’a aucune chance d’aboutir à une abrogation de la retraite à 64 ans ? Vous leurrez les Français...
Je suis pour le maintien de la retraite à 62 ans donc j’ai soutenu toutes les propositions dans ce sens. La bonne réforme aurait consisté à confier aux partenaires sociaux le soin de définir les priorités comme celle des conditions de pénibilité. Aujourd’hui, un ouvrier a une espérance de vie de sept ans inférieure à celle d’un cadre. Ça, c’est une réalité. C’est ça la vraie vie et c’est parfaitement injuste. Je trouve inadmissible que cela ne soit pas traité dans le cadre d’une loi ou d’un accord social. Ensuite, il y a la question des carrières fractionnées des femmes entre les temps partiels, les congés maternité et, trop souvent, des métiers sous qualifiés.
Mais si la gauche revient au pouvoir, elle ne reviendra pas sur cette réforme, comme elle n’a pas abrogé les 62 ans en 2012 ?
Notre promesse de 2012 était de prendre en compte la pénibilité des métiers, de l’aide-soignante au charpentier et aux ouvriers qui travaillent à la chaîne. Nous étions engagés aussi à prendre en compte les carrières longues. Et ça, nous l’avons fait. Mais Emmanuel Macron s’est précipité pour supprimer ces deux avancées sociales à son arrivée à la présidence de la République. C’est ça la méthode Macron, donner aux plus riches et prendre aux plus modestes…. Il y a une exception sociale française que nous devons défendre comme nous défendons notre exception culturelle. Dans le projet de la gauche, je proposerai de revenir à la retraite à 62 ans et de retravailler la question de la pénibilité, celle des carrières des femmes et de ceux qui ont commencé tôt à travailler.
Pourquoi vous opposez-vous systématiquement aux propositions du gouvernement ? Rien ne trouve grâce à vos yeux ?
Je ne m’oppose pas pour le plaisir de m’opposer. Je m’oppose par convictions et par cohérence. Dans les situations de crise, je soutiens toujours l’unité nationale, sur l’Ukraine, comme lors de la crise COVID. Quand il y a une urgence à agir, il faut faire corps et ne pas jeter de l’huile sur le feu. J’ai soutenu le dédoublement des classes même si j’aurais aimé qu’on maintienne la semaine de quatre jours et demi. Après, je suis de gauche et Emmanuel Macron applique une politique de droite, je ne peux donc pas cautionner.
Et rien d’autre ? Sa politique de réindustrialisation est positive, non ?
Il y a beaucoup d’annonces et de faux semblants. Distinguons les discours des actes. Je pourrais citer la SAM à Decazeville, seule fonderie à l’aluminium de tout le sud de la France et que l’Etat a abandonnée. C’est très bien les ouvertures de gigafactories dans les Hauts-de-France mais il faut penser au reste du pays.
La baisse du chômage autour de 7% avec en perspective le plein emploi, c’est une bonne nouvelle ?
Je m’en réjouis évidemment. Je ne sais que trop ce que le chômage charrie en termes de misère et d’isolement. Je suis d’accord qu’il s’agit d’une priorité absolue. Mais si on est objectif, il faut se souvenir que cette baisse s’est amorcée dès la première année du quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle est donc liée aux politiques initiées par François Hollande.
Un récent rapport remis à l’exécutif recommande de financer les conséquences économiques et sociales de la crise climatique par un « ISF vert ». Etes-vous favorable à cette idée que le président et son ministre de l’Economie ont enterré ?
J’étais contre la suppression de l’ISF et je n’ai pas changé d’avis. Je soutiens évidemment cette mesure suggérée par des économistes. Les plus riches doivent contribuer de façon plus forte à la cohésion nationale. L’urgence climatique a besoin de gigantesques investissements pour limiter les effets du réchauffement climatique. On le sait très bien qu’en France on manque d’investissements sur le rail et les énergies renouvelables. Chez nous, le rail représente un investissement de 46 euros par an et par habitant quand en Allemagne c’est 124 euros. Ce gouvernement n’a pas pris la bonne mesure de l’urgence climatique et des actions de transition nécessaires
Le gouvernement a pourtant mis 100 milliards d’euros sur la table pour les transports publics...
Oui c’est son annonce mais à cette heure, on a toujours aucun détail sur cette enveloppe. Qui finance : l’Etat seul, l’Etat et les collectivités ? Est-ce que ce sont des crédits pour la seule SNCF ? Quel est le calendrier ? Le gouvernement vient d’annoncer le démarrage en 2024 uniquement de la part transports des contrats qui lient les Régions à l’Etat… C’est un retard fou. Et quid des concessions autoroutières qui se terminent ? Les présidents de région ont signé une tribune commune pour demander des explications au gouvernement : aucune réponse. Pour moi, la question des transports collectifs est fondamentale. En Occitanie, j’ai pris des initiatives comme la gratuité pour les moins de 26 ans et 13 millions de billets à 1 euro par an, pour les salariés et les occasionnels.
Faut-il une nouvelle réforme de l’immigration ?
L’urgence c’est la révolution éducative. C’est renforcer les moyens pour l’école. Cela ne veut pas dire que l’immigration est un sujet tabou, mais j’en ai assez du discours discriminatoire. Ayons le courage de dire la vérité aux Français : nous avons besoin de l’immigration. Et il faut combattre les préjugés et le discours de l’extrême droite, en rappelant les apports de l’immigration au génie et aux victoires françaises, et aussi à notre quotidien. Nombre d’intellectuels, scientifiques, sportifs, artistes sont issus de l’immigration et ils ont fait grandir la France depuis des siècles.
Comment réagissez-vous à la polémique à la suite de vos propos sur France Info ce matin ?
Ce matin, avant d’être coupée dans mes propos, je ne voulais rien dire d’autre que ce que je viens de vous répondre : je défends l’humanisme des Lumières et suis fière des apports de l’immigration en France. C’était peut-être maladroit, mais les personnalités que j’ai citées, qui sont parmi les préférées des Français, sont le fruit de l’immigration. Ce sont bien des enfants d’immigrés par leurs pères respectifs. C’est leur histoire, c’est mon histoire également, et c’est notre histoire. Je dénonce l’instrumentalisation politicienne qui a été faite de mes propos. Vous ne me ferez pas croire que ces gens qui se sont acharnés sur les réseaux sociaux n’ont pas compris le sens de mes mots… Ils se sont fait plaisir en m’attaquant, en jouant avec cynisme sur un sujet trop grave. C’est dangereux et vraiment regrettable.
Vous approuvez le projet de loi de Gérald Darmanin et Olivier Dussopt dont une des dispositions phares consiste à créer une carte de travail pour les métiers en tension ?
Ah non. Le projet de messieurs Darmanin et Dussopt ne correspond absolument pas à ma vision de l’immigration, de l’accueil des demandeurs d’asile etc.
Que répondez-vous à Edouard Philippe quand il déclare qu’on « crève des non-dits » sur l’immigration ?
Qu’il y a bien une différence entre Edouard Philippe et moi. C’est la preuve que la gauche et la droite ce n’est pas pareil contrairement à ce qu’a voulu faire croire Emmanuel Macron avec son « en même temps ». Enfin, cela prouve qu’Edouard Philippe est en train de se rapprocher de la droite la plus dure par pur cynisme électoral. Sur ce sujet comme d’autres, regardons l’intérêt du pays, par son propre intérêt.
En même temps, 70% des Français selon une étude Ipsos/Cevipof jugent qu’il y a trop d’immigration en France… La gauche n’est pas en phase avec le pays ?
Mais il y a moins de 10% d’étrangers en France. Cessons de faire croire que 10% de la population menace les 90% restants ! C’est le fruit des discours de l’extrême droite qui présentent l’immigré comme le bouc-émissaire des maux du pays. Léopold Senghor disait : « les racistes sont des gens qui se trompent de colère ». J’entends la colère, le désespoir et je dis aux Français : l’étranger n’en est pas la cause.
Entre Elisabeth Borne qui qualifie le RN de parti « héritier de Pétain » et Emmanuel Macron qui juge dépassé de lutter contre le RN avec des arguments moraux, de quel côté êtes-vous ?
Je suis doublement du côté de la Première ministre. Je récuse cette idée trop répandue que dénoncer les valeurs de l’extrême droite, ça ne servirait à rien. Ça, c’est le discours d’Emmanuel Macron depuis maintenant six ans et on en voit les effets : le Front national n’a jamais été aussi haut. Il devait être le rempart contre le lepénisme, elle a réussi à monter à 43% au deuxième tour de la présidentielle.
Comment fait-on pour la faire reculer ?
Il faut mener à la fois le combat des valeurs et amener des solutions aux gens. C’est comme ça que j’ai fait passer le Front national en Occitanie entre deux élections régionales de 34 à 24%. Le travail sur le terrain a payé. J’ai proposé des solutions aux gens qui ont du mal à nourrir leurs gosses, qui ne peuvent pas acheter leurs livres ou encore leurs mallettes pour ceux qui choisissent la formation de boucher-charcutier. Et puis, je n’aime pas cette forme d’inhumanité de la part d’Emmanuel Macron. Comment peut-il oublier qu’Elisabeth Borne est orpheline et fille d’un homme broyé par les camps de concentration et donc par la complaisance du régime de Vichy.
Elisabeth Borne incarne-t-elle une forme de macronisme de gauche ?
Le macronisme de gauche n’existe pas, il est de droite. Tout comme le « en même temps » est une illusion qui s’est fracassée sur le réel. À l’épreuve des faits, la fable est tombée et la réalité est cruelle pour les gens de gauche qui entourent Macron. Quant aux électeurs de gauche qui ont voté pour lui en 2017, ils étaient sincères. En 2022, ils ont revoté pour le président sortant juste pour empêcher Le Pen. Mais aux élections législatives trois mois plus tard, ils lui ont fait payer sa politique de droite. C’est pour ça qu’il n’a pas eu de majorité absolue. C’est bien la preuve qu’il n’a pas réussi à convaincre la gauche et le centre gauche sur son projet.
Dans une récente tribune parue dans l’Obs, vous écrivez que le « macronisme est à bout de souffle ». Est-ce que ça veut dire que le président de la République ne terminera pas son mandat ?
Je pense que le mandat ne va pas pouvoir continuer dans la même configuration. Il y a trop de sentiment d’injustice. Les Français sont à cran et l’exécutif est trop indifférent à ce ras-le-bol. Emmanuel Macron doit retomber sur terre. La colère est là, elle est très très forte. On ne peut pas continuer dans ce déni du réel. Il y a un déni d’attention : les Français ne sentent pas aimés, et ont un président insuffisamment attentif.
Écartelé entre pro-Nupes et anti-Nupes, le parti socialiste n’en finit pas de se disperser en courants et sous-chapelles. La gauche sociale-démocrate est-elle fichue ?
Non. Je pense qu’on peut réunir toutes celles et tous ceux qui veulent travailler sur un projet pour la France et qui veulent accéder au pouvoir. La seule union possible, c’est celle qui rassemble ceux qui veulent gouverner et changer la vie des gens. Il faut donc rassembler.
Et Jean-Luc Mélenchon ne fait pas partie de ceux-là ?
Soyons lucides, une gauche pilotée par Jean-Luc Mélenchon ou un Insoumis sur la même ligne politique et les mêmes méthodes qu’aujourd’hui, ne nous permettra jamais de revenir au pouvoir. On l’a vu en juin 2022 ou le résultat électoral a été le score le plus faible de la gauche dans des élections législatives. C’est ça la réalité. Ça a été une victoire pour LFI, mais ça a été une défaite pour la gauche en nombre de voix. Et si aujourd’hui il y a tant de personnes qui s’interrogent chez les écologistes et au PCF, et jusque dans les rangs de la France Insoumise, ce n’est pas pour rien. C’est parce que la stratégie proposée par Jean-Luc Mélenchon n’est pas la bonne.
Que préconisez-vous ?
Il faut tourner le dos à la stratégie du bruit et de la fureur, celle de l’outrance. L’urgence, c’est répondre aux Français, avec apaisement et volontarisme. Parce qu’à force de n’avoir aucun projet de société, à force d’être condamné à des discussions de tambouille électorale sans proposition claire, à force d’être vraiment sur les histoires d’ego et de ne pas parler des solutions à mettre en œuvre pour le peuple, eh bien on désespère les Français. On renforce inlassablement l’extrême droite et Marine Le Pen qui est la grande gagnante depuis un an. La direction du PS, mon propre parti, n’a pas été capable de présenter son projet de réforme des retraites. Formons une équipe et mettons-nous au travail. Ensuite, viendra la question du leadership.
Laurent Berger affirme dans nos colonnes que la gauche a « lâché le monde du travail ». C’est peut-être ça la grande erreur du PS de Lionel Jospin et de François Hollande ?
Le Parti socialiste n’a pas assez réfléchi sur les nouvelles formes de travail. C’est vrai qu’on a commis l’erreur de s’adresser davantage aux classes bourgeoises au détriment du monde ouvrier. On a suivi sans critique les préconisations contenues dans la fameuse note du think tank « Terra Nova » au début des années 2000. Moi je fais de la politique pour les plus modestes et je ne m’en cache pas. Je me bats pour que ce pays soit plus juste avec les salariés, et je travaille avec les chefs d’entreprise pour améliorer leur vie et accompagner la transition climatique.
Beaucoup se positionnent sur ce créneau de la gauche anti-Mélenchon, Bernard Cazeneuve, Nicolas Mayer-Rossignol. On vous prête une ambition présidentielle ?
Je n’aime pas la gauche anti-tout. J’aime la gauche qui est pour. J’aime la gauche positive, celle qui agit pour le peuple et pour le travail. Moi, je veux rendre l’avenir désirable.
François Hollande redevient populaire. N’est-il pas le mieux placé pour porter l’étendard de la gauche anti-Mélenchon ?
Comme tous les anciens présidents de la République, il conserve l’affection des Français. C’est un peu comme Jacques Chirac sorti impopulaire de l’Elysée et redevenu populaire ensuite quand il n’exerçait plus le pouvoir. Après, François a l’expérience d’un ancien président de la République. Ses analyses des affaires internationales sont utiles à la gauche. Il n’a pas tout réussi. Il n’a pas non plus tout raté. Il faut un peu de sens de la mesure et de la nuance. C’est ça la gauche. La gauche, c’est celle qui sait reconnaître ses erreurs qui ne reste pas la rancœur. Je n’aime pas cette gauche des rancœurs, je préfère celle qui a du cœur et n’a pas peur de l’avenir.
Les sondages montrent que la gauche unie peut jouer la victoire mais divisée en listes séparées elle ferait un plus gros score. Quel est votre choix ?
D’abord je suis très étonnée que des hommes politiques chevronnés travestissent autant la vérité. Aux européennes, il n’y a pas de victoire franco-française. Ca ne veut rien dire. L’objectif est d’envoyer le plus d’eurodéputés de gauche français pour grossir nos rangs au Parlement européen. Donc les chiffres qu’on nous montre, ça s’appelle de la manipulation des sondages. Par ailleurs, il faut être cohérent et ne pas mentir aux gens : comment un socialiste ou un écologiste peut-il soutenir le projet européen de Mélenchon ? On a besoin d’une Europe plus forte : l’actualité nous le démontre depuis plus d’un an.
Le premier secrétaire du PS Olivier Faure est pourtant favorable à une liste commune à la Nupes...
Je soutiendrai une liste sociale-écologiste qui promeut une Europe du progrès et de la paix. Et on sera de nombreux socialistes à faire ça. Raphaël Glucksmann, tête de liste en 2019, ferait une très bonne tête de liste. Il a fait du très bon travail, avec des valeurs fortes.
Quels seraient vos invités (personnages morts ou vivants) dans un dîner parfait ?
Ma grand-mère Fernande, Jacques Brel pour qu’il chante devant moi « La quête », le poète Paul Eluard, l’artiste-peintre Joan Mitchell. J’aimerais aussi avoir autour de la table Jaurès, De Gaulle et la féministe Simone de Beauvoir.
En quoi souhaiteriez-vous vous réincarner ?
Je crois davantage à l’amour qu’à la réincarnation.
Qu’aimeriez-vous sur votre épitaphe ?
Rien.
Et si c’était à refaire, quel métier aimeriez-vous exercer ?
Médecin car j’ai beaucoup d’admiration pour ces professionnels ou bien fleuriste car j’adore les fleurs.
Où aimeriez-vous être en 2027 ?
A fêter la victoire de la gauche !
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