Dette: France Pour une souveraineté financière
La détention de la dette publique et des actions des sociétés cotées par des investisseurs non-résidents, le déficit de la position extérieure nette de la France… sont de plus en plus utilisés comme des armes de compétition économique. Ne faut-il pas s’attaquer aux vrais problèmes pour une meilleure résilience financière ? Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialiste en économie financière dans la Tribune.
Selon l’Insee, le 28 mars 2023, la dette publique d’après Maastricht s’est établie à 2 950 milliards d’euros à la fin de 2022 soit 111,6% du PIB. Le 14 avril 2023, la Banque de France confirme qu’en 2022, 49% de la dette publique est détenue par des non-résidents, en d’autres termes des investisseurs étrangers. Il est très difficile de savoir qui sont ces investisseurs étrangers, car l’État français émet des obligations auprès de banques privées chargées de distribuer les titres sur le marché international et la trace des titres est alors perdue. Pouvons-nous nous fâcher avec un de nos créanciers ? Ne faut-il pas ramener cette part à 14,3% comme le Japon ? Malgré le niveau de la dette japonaise (250% de son PIB), celle-ci n’expose pas le pays à un risque de défaut de paiement comme la France. Motif ? Elle est pour l’essentiel détenue par les Japonais eux-mêmes.
Avec des taux directeurs qui augmentent, l’endettement public devient un sujet très inquiétant. Les obligations du trésor sont cotées en bourse secondaire pendant leur durée de vie. La bourse permet d’acheter d’autres obligations françaises déjà en cours de vie ou de revendre d’autres avant leur échéance. C’est le prix de l’obligation qui va décider les acquéreurs. La valeur de l’obligation va fluctuer en fonction du niveau des taux d’intérêt en suivant l’offre et la demande. Si les taux montent, personne ne voudra acheter d’anciennes obligations et leur prix chutera. Autrement dit, si l’investisseur décide de vendre son obligation, il fait face à un risque de liquidité s’il ne trouve pas de contrepartie prête à la racheter.
Les porteurs de cette dette sont-ils contrôlables ? Un bulletin de la Banque de France de mai-juin 2023 donne l’évolution du flottant entre 2015-2021, c’est-à-dire la part de la dette qui s’échange effectivement sur les marchés. Cette évolution est passée de 51,1% à 34,8%. Le fait que près de 65% des obligations souveraines sont détenues par des investisseurs stables dont la BCE est-il vraiment rassurant pour résister aux mouvements brutaux du marché ?
Le flottant est calculé en soustrayant à l’encours total de la dette négociable les détentions étrangères d’institutions officielles comme une Banque centrale d’un pays devenu peut-être hostile, ainsi que les détentions de l’Eurosystème (BCE) qui détient 28% de la dette de la France. Pour lutter contre l’inflation, la BCE n’achète plus de titres publics, et sa garantie n’est pas illimitée. En tenant compte de l’évolution du flottant, 34,8% de la dette de la France soit 1 026,6 milliards n’est pas sous contrôle de l’État, à comparer à 2015 où cette somme était de 1 037,28 milliards (2 027,9 milliards*51,1%).
Qui contrôle le CAC 40 ?
« En 2021 les non-résidents détiennent davantage d’actions des sociétés françaises du CAC 40 », d’après le bulletin de la Banque de France du 13 octobre 2022. Les non-résidents détenaient fin 2021 40,5% de la capitalisation boursière totale des sociétés du CAC 40, et 12 des 35 sociétés du CAC 40 sont détenues majoritairement par les non-résidents. Treize sociétés du CAC 40 ont à leur tête un président ou un directeur général disposant d’un passeport non français, la gouvernance se mondialise, écrit le journal le Monde.
Une étude publiée par Euronext le mardi 7 mars 2023 arrive à identifier uniquement 61% des actionnaires du CAC 40. On trouve en premier les groupes familiaux avec 21,5% devant les gérants d’actifs avec 20,7% (le plus grand gérant d’actif étranger BlackRock détient 2,1%) et l’État français à 1,9%, etc. En 2022 les sociétés du CAC 40 ont réalisé 142 milliards d’euros de bénéfices cumulés, avec une distribution de dividendes de 67,5 milliards d’euros. En d’autres termes, les non-résidents ont reçu 27,38 milliards d’euros et l’État français a reçu 1,28 milliard d’euros de dividende et 10 milliards d’IS. « Alors que le Gouvernement cherche à trouver 12 à 18 milliards d’euros pour financer un système de retraites présenté comme au bord de la faillite en dépit de son excédent de 3,2 milliards d’euros à la fin de l’année 2022 et de 900 millions d’euros en 2021″, faut-il créer une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ?
L’étude d’Euronext relève également que la part des actionnaires particuliers a encore baissé. C’est le résultat des rachats d’actions qui se sont élevés à 24,6 milliards d’euros en 2022. Les grandes entreprises du CAC 40, avec des profits gonflés, ont engagé de nouveaux rachats de leurs propres actions pour limiter le nombre des petits actionnaires et choyer les plus riches d’entre eux.
Qui contrôle le déficit de la position extérieure nette ?
À la situation de la dette publique et au paysage du CAC 40, on peut ajouter le déficit de la position extérieure nette c’est-à-dire la différence entre les actifs détenus par les Français à l’étranger et ceux détenus par les étrangers en France. Alors que le déficit commercial se dégrade de 78 milliards d’euros sur un an et atteint le niveau record de 164 milliards d’euros en 2022, la dernière situation connue de la position extérieure nette affichait fin 2021 une somme débitrice de 800 milliards d’euros, équivalant à 32,3% du PIB. Quant à la balance des paiements, le déficit des transactions courantes se creuse et atteint 53,5 milliards d’euros.
Tout montre aujourd’hui l’ampleur du désastre de la souveraineté financière de la France. Pourtant les Français ne vivent pas au-dessus de leurs moyens, ils travaillent beaucoup et épargnent beaucoup. Alors pourquoi avons-nous besoin de faire appel aux capitaux étrangers pour relancer l’industrie, la croissance et l’emploi ?
Pourquoi la BCE ne prête-t-elle pas aux États européens donc à la France via des établissements publics de crédit ? Ces mêmes établissements publics pourraient ensuite prêter à la France aux mêmes taux et rendre supportables les coûts de refinancement des dettes anciennes. De quoi soulager la France qui se retrouve étranglée par les coûts de refinancement payés via les banques commerciales. Du point de vue des Traités européens, « il n’existe aucune barrière juridique à un prêt de la BCE à un établissement public de crédit français ». C’est l’article 123-2 traité de Lisbonne.
Le plus important c’est de limiter purement et simplement l’endettement extérieur en faisant appel à l’épargne des Français et se débarrasser des agences de notations. C’est la création de fonds citoyens via des livrets d’épargnes réglementés. Un fonds citoyen ne crée pas de liquidités nouvelles, donc pas d’inflation par excès de création monétaire. Il permet de réduire la dette et le déficit public par une croissance forte due au multiplicateur budgétaire. Il permet de réduire les dépenses de l’État par l’augmentation des recettes fiscales et diminuer les prélèvements obligatoires. Il participe à la stabilité des prix et au redressement de la balance commerciale.
Depuis juin 2016, la BCE rachète des obligations de grandes entreprises pour les inciter à investir. Le volume de titres éligibles à ces rachats d’obligations corporate (CSPP) dans l’Eurogroupe est à 341,574 milliards d’euros à fin avril 2023. Le 23 mars 2023, le bilan carbone annuel de la BCE confirmait que les avoirs CSPP seraient orientés « vers les émetteurs présentant une meilleure performance climatique » et se poursuivrait à un rythme réduit.
Pour la France, le programme CSPP est destiné généralement aux sociétés du CAC 40. Avec le ruissellement public vers le CAC 40 venant de l’État sans critères stricts et sincères, les sociétés du CAC 40 continuent à effacer des emplois en France (16 000 emplois en moins en 2022 par rapport à 2019). En réalité, sans contrôle particulier et sans contreparties exigées, les aides publiques et le CSPP ont servi à financer directement des mastodontes. Le résultat est une distribution de dividendes plus importantes et des rachats d’actions massives.
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