Société et climat : une question aussi de comportements individuels
L’activiste britannique, Rob Hopkins, auteur de plusieurs livres sur la transition écologique, nous incite à faire preuve de créativité et de détermination pour lutter contre le réchauffement climatique sans quitter son quartier. Invité au sommet ChangeNOW, qui se tient à Paris du 25 au 27 mai et dont franceinfo est partenaire, Rob Hopkins explique ce qui motive ou freine notre capacité à revoir nos façons de vivre ensemble à l’aune du changement climatique.
Aujourd’hui, le réseau que vous avez développé revendique des projets dans plus de 48 pays, dont la France. Comment l’aventure a-t-elle démarré ?
Mon ambition était de trouver un moyen de s’organiser pour vivre mieux à Totnes, la petite ville où j’habite dans le sud-ouest de l’Angleterre. Rien de plus. Très vite, on m’a écrit des villes voisines pour me dire : « C’est génial ! Comment faire chez moi ? » Il n’y a jamais eu de plan machiavélique pour conquérir le monde ! On s’est aperçu qu’un petit groupe d’habitants délesté des lourdeurs administratives – comme une communauté de personnes motivées dans un village, un quartier, etc. – peut lancer des projets très rapidement et faire preuve de beaucoup plus d’imagination que les gouvernements ou les collectivités.
« On croit qu’il faut d’emblée convaincre la majorité et embarquer tout le monde pour réussir à faire changer les choses. Mais dans les faits, il ne suffit souvent que de quelques personnes dans leur coin avec une bonne idée. »
La responsabilité de transformer la société ne doit en aucun cas reposer sur ces petits groupes, mais ils sont une pièce cruciale du puzzle de la transition. L’action doit venir de partout. Des universités aux banques, en passant par les petites villes et les multinationales.
Comment ces initiatives locales peuvent-elles aboutir à de véritables politiques de transition, notamment à l’échelle locale ?
En général, pendant deux ou trois ans, les acteurs institutionnels sont sceptiques. Puis, quand le projet s’avère une réussite, les mairies appellent et demandent : « Comment peut-on vous aider ? » « Quels blocages pouvons-nous lever ? » Quand on me demande ce qu’il faut faire, je réponds qu’il suffit de commencer ! Au pire, ça ne fonctionne pas et ce n’est pas grave. Car quand ça marche, le voisin se sentira encouragé à tenter quelque chose, puis son voisin et ainsi de suite.
En 2014, des habitants de Liège, en Belgique, se sont demandé comment faire pour que la nourriture qu’ils consomment soit en majorité produite localement à l’horizon de quelques années. Ils ont organisé une simple réunion publique. Aujourd’hui, on compte 27 coopératives dans la ville et un réseau composé d’une ferme, de vignes, d’une brasserie, de quatre magasins… Et tout a démarré sans l’aide des banques, ni de la ville, ni rien. Les porteurs du projet discutent avec la municipalité pour livrer les cantines scolaires, les hôpitaux, etc. Le concept a essaimé dans d’autres communes de Belgique, et même en France.
Sécheresse en Espagne et en France, inondations en Italie, incendies et vagues de chaleur précoces dans toute l’Europe… Ces catastrophes récentes sont-elles les meilleures avocates de la transition, ce changement de modèle que vous prônez depuis des années ?
C’est le problème avec le réchauffement climatique. Personne ne peut se réjouir que les catastrophes nous donnent raison. D’autant plus que, quand bien même les effets du réchauffement climatique sont clairs et indéniables, les entreprises du secteur pétrogazier continuent de mener d’énormes campagnes de désinformation, extrêmement bien organisées, pour préserver leurs intérêts et freiner la sortie des énergies fossiles.
J’ai vu de mes propres yeux des embouteillages de vélos aux heures de pointe, des quartiers agréables et dynamiques interdits aux voitures, d’innombrables solutions pour produire de l’énergie renouvelable, des innovations, partout dans le monde, etc. Nous avons la preuve depuis longtemps que des alternatives existent, mais la transition se heurte au pouvoir de ces géants du pétrole, du gaz, etc.
Le mot de « transition » étant employé à tout va, comment éviter le « greenwashing » ?
Il m’arrive de me rendre dans des villes et de m’apercevoir que ce qu’on y appelle « transition » n’est pas toujours très intéressant. Par exemple, je me méfie quand on me parle d’ »atteindre la neutralité carbone d’ici 2050″. Les gouvernements et les pouvoirs publics adorent cette expression, or elle cache souvent l’incapacité à réagir à l’urgence et l’illusion qu’on peut continuer sans rien changer.
« La transition, ce n’est pas faire comme d’habitude et se contenter d’installer des panneaux solaires sur le toit ou de se déplacer en voiture électrique. »
La culture dominante selon laquelle plus l’on consomme et mieux l’on vit est de plus en plus remise en question. Les choses évoluent car il apparaît que ce modèle nous a rendus de moins en moins capables de résister aux crises. A l’inverse, des petites communautés en transition à qui j’ai récemment rendu visite, à Londres, et qui existent depuis parfois quatorze ou quinze ans, se portent mieux que jamais. Que ce soit un « repair café » par-ci, un jardin communautaire par-là… Outre l’aspect économique de ces initiatives, tous les membres de la communauté créée autour de ces projets nous font part de la satisfaction d’avoir retrouvé du contact humain et d’avoir renoué des relations, alors qu’un mode de vie tourné vers la consommation nous isole les uns des autres. Il faut changer d’état d’esprit et réfléchir à ce à quoi nous accordons de la valeur.
Comment voyez-vous l’avenir de ce réseau ?
Tout d’abord, je suis très fier et honoré d’avoir contribué à la naissance d’un réseau qui aide les gens à impulser ce genre de transformations. Mais je suis aussi réaliste : depuis que nous avons mis en place le réseau, l’humanité s’est rendue responsable de 30% du total des émissions de CO2 dans l’atmosphère. C’est donc une très belle histoire, c’est vrai, mais elle se finira mal si nous perdons le combat contre les entreprises du pétrole et du gaz qui, contrairement à nous, sont riches, puissantes et politiquement influentes.
« Quand tout le monde réalisera l’ampleur de la tâche qui nous attend, j’espère que ce réseau jouera le rôle d’une immense bibliothèque d’expériences. »
Ces projets répartis à travers le monde alimentent un catalogue de tous ce que nous avons appris, de tous les outils utilisés, de toutes les idées que des groupes de citoyens ont mises en pratique. Ces connaissances n’ont pas de prix.
D’expérience, constatez-vous davantage de difficultés à imaginer ces nouveaux modèles en ville ou à la campagne ? Entre l’injonction à abandonner la voiture et les appels répétés à la sobriété, urbains, périurbains et ruraux s’accusent parfois mutuellement de ne pas faire leur part de l’effort de transition…
Partout où je vais, j’entends : « Ce que vous racontez est très chouette, mais ce sera plus difficile à faire ici que chez le voisin. » C’est vrai dans un village ou en plein centre de Paris, et même d’un pays à l’autre ! Si je parle à des Allemands d’un projet français ou italien dont ils pourraient s’inspirer, quelqu’un argumentera que « oui, mais en France et en Italie, c’est facile ». La réalité, c’est qu’avec un peu de créativité et de curiosité, on peut tous se lancer et tenter quelque chose de nouveau. Parfois, un même problème se pose en ville et dans un petit village, mais les solutions trouvées pour y remédier sont différentes. Si vous vivez dans un endroit isolé, vous n’aurez jamais le métro et le bus à toute heure devant chez vous. En revanche, j’ai vu des gens se regrouper pour créer leur propre service de transports en commun, adapté à leurs besoins, ou d’autres se concerter pour optimiser les trajets. L’arrivée des vélos électriques offre aussi énormément de possibilités.
Une chose est sûre : si l’on continue à penser que les autres doivent changer mais que nous, juste nous, pouvons continuer comme avant, alors cela nous conduira dans le mur. Car le climat, lui, change déjà.
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