Fiscalité : intégrer patrimoine et revenu

Fiscalité : intégrer patrimoine et revenu

par Pierre-Cyrille Hautcœur,directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris dans le Monde

L’intervention du ministre des comptes publics, Gabriel Attal, réaffirmant l’importance de la lutte contre la fraude fiscale a suscité de nombreux débats. L’impôt sur le revenu est au centre de ces débats, mais aussi les inégalités croissantes de patrimoine. Un des points les plus importants et les plus délicats est justement la distinction entre revenu et patrimoine. Un petit détour historique permet de mieux la comprendre.

Dans les sociétés européennes médiévales, le pouvoir de la noblesse résultait de la possession d’un patrimoine territorial. La noblesse vivait des revenus de ses terres, dont la vente était exclue et l’acquisition résultait en principe de l’octroi de fiefs par les princes ou de transmissions dynastiques. Le revenu et le patrimoine étaient donc très nettement séparés. Le revenu était le produit « naturel » de la terre (aidé du travail de quelques serfs…), et l’inaliénabilité du patrimoine distinguait clairement sa possession de tout autre type de propriété. Les revenus de patrimoines professionnels ou financiers n’avaient ni la même nature ni la même légitimité.

Il fallut du temps pour que le revenu d’un placement financier en dette publique (apparu au XIVe siècle) bénéficie de la même légitimité, et l’utilisation du terme de rente (sur le modèle du revenu de la terre) y contribua, contournant l’interdit par l’Eglise du prêt à intérêt. Cette assimilation faisait l’affaire des Etats, qui pouvaient ainsi emprunter relativement bon marché. Ils octroyèrent dans ce but à leurs emprunts le même statut juridique de « biens immeubles » que détenaient antérieurement les seuls patrimoines fonciers et immobiliers. Certains actifs financiers privés se greffèrent peu à peu sur ce statut public ; certains nobles, par exemple, émettaient des rentes pour doter une fille ou acheter une charge. Ainsi, l’idée d’une coupure entre patrimoine et revenu pouvait perdurer.

Lorsque, au XIXe siècle, les sociétés par actions se diffusèrent, on distingua dans leur revenu d’un côté un « intérêt du capital » fixe, dont le paiement était perçu par les actionnaires comme une obligation indépendante de la conjoncture, de l’autre le « dividende » à proprement parler, qui dépendait de la situation de l’entreprise. Quoique sans validité juridique sérieuse, cette distinction perpétuait celle entre patrimoine et revenu.

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