Dette: Un problème sérieux mais à relativiser
Par Augustin Landier (professeur à HEC), David Thesmar (professeur au MIT) dans les Echos
Depuis quelque temps, les signaux d’alerte sur la dette publique s’accumulent. De l’autre côté de l’Atlantique, démocrates et républicains s’affrontent sur les limites de l’endettement fédéral, alors qu’en Europe les marchés ont rappelé aux gouvernements l’importance de respecter certaines lignes rouges.
L’annonce soudaine par le gouvernement britannique d’un stimulus fiscal important a ainsi été sévèrement sanctionnée par les marchés à l’automne dernier. La dette française a été dégradée par l’agence Fitch. Avec la remontée des taux, la charge de la dette devrait augmenter de 12 milliards cette année, soit l’équivalent de l’économie générée par la réforme des retraites. Certains commentateurs commencent à s’alarmer sérieusement de la hausse des taux. Ils soulignent qu’il faut absolument sortir du « quoi qu’il en coûte ».
Ces alarmistes ont-ils raison de crier « au feu » ? En fait, le danger n’est pas imminent du fait de la persistance d’une croissance positive et d’une inflation supérieure aux taux d’intérêt. Malgré un déficit très élevé, l’inflation et la croissance érodent doucement le ratio dette sur PIB. Les taux d’intérêt réels sont négatifs (de l’ordre de -3 % à dix ans), ce qui euthanasie les créanciers, au moment même où la croissance accroît la capacité de l’Etat à rembourser.
A cela s’ajoute une manne inespérée, moins souvent soulignée par les économistes : la hausse des taux réduit la valeur de la dette française qui est souscrite à taux fixe sur des maturités assez longues. L’Etat y gagne car la dette est plus facile à rembourser. En France, les taux ont augmenté de 3 points depuis janvier 2022 ; avec une maturité d’environ huit ans, cette manne est de l’ordre de 25 points de PIB !
Un gros shoot de soutenabilité, souvent ignoré dans le débat sur la dette car la notion de dette utilisée est la valeur de remboursement, non la valeur de marché. Au total, malgré un déficit très élevé, ce petit calcul (effets combinés de la croissance, de l’inflation et de la hausse des taux) aboutit à une réduction du ratio valeur de la dette sur PIB de l’ordre de 30 points de PIB en 2022 !
Bien que la situation actuelle ne nécessite pas une alerte rouge, elle n’en reste pas moins préoccupante. Un ralentissement économique peut très vite déséquilibrer l’équation. La croissance et l’inflation cesseraient de diluer la dette.
La BCE devrait diminuer ses taux, ce qui revaloriserait la dette française. Avec des taux réels de l’ordre de 1,5 % et une croissance plus proche du potentiel de long terme, la France devrait alors en urgence réduire son déficit primaire à 0 pour stabiliser sa dette, effort très important et que le projet de programmation pluriannuelle de finances publiques ne prévoit pas à moyen terme.
Il faudra donc établir des priorités entre différents segments de la dépense publique. On ne pourra pas à la fois investir dans la santé, l’éducation, la recherche, la défense, la sécurité et la transition énergétique. Selon nous, l’éducation secondaire et supérieure doit rester une priorité, sous peine de décrochage.
L’Etat pourrait être contraint de progressivement abandonner le principe d’universalité totale des services publics, comme il l’a fait il y a quelques années pour les allocations familiales . Cela impliquerait par exemple une éducation et une santé plus chères pour les classes moyennes supérieures. Pour engager ces ajustements, le gouvernement devra choisir sa stratégie : véritable délibération démocratique, passage en force ou, au contraire, passage « en douce » en n’explicitant pas les choix.
0 Réponses à “Dette: Un problème sérieux mais à relativiser”