Énergie : une politique irresponsable de la France
Pour Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles, Le rapport parlementaire français mais clairement en cause la responsabilité politique des dirigeants qui ont sacrifié l’atout énergétique du pays ( dans la Tribune)
Il ne faut pas confondre souveraineté énergétique et indépendance énergétique. Cette dernière n’est accessible à aucun pays en Europe qui ne dispose ni d’énergie fossile ni de matériaux précieux en quantité suffisante pour prétendre à l’indépendance. La France ne le vise pas non plus avec l’énergie nucléaire, puisque l’uranium est importé.
Il faut viser la souveraineté énergétique, c’est-à-dire la capacité à faire des choix, à les maîtriser de bout en bout et à gérer les vulnérabilités. La France y est arrivée avec le nucléaire. La souveraineté énergétique consiste aussi à décider avec qui un pays veut s’associer.
La coopération européenne a permis à la France d’avoir assez d’électricité cet hiver. Par contre elle a abandonné le terrain européen à l’Allemagne. Cette dernière est sortie du nucléaire, a laissé la France seule avec son EPR qui était le fruit d’une collaboration entre ces deux puissances industrielles. Elle a fait pression pour fermer les centrales à ses frontières (Cattenom, Fessenheim mais aussi Doel et Tihange, en Belgique). Depuis, la France s’est ressaisie en créant autour d’elle, première étape, un club de pays qui en veulent, du nucléaire.
Pour la commission, cet abandon politique n’est qu’une conséquence de sa perte de leadership nucléaire dans les années 2010 avec de tristes précurseurs comme l’arrêt de Superphénix, une filière dite à neutron rapide, qui garantit une énergie quasi inépuisable et beaucoup moins de déchets. Et la tentative de redémarrer cette filière, avec le démonstrateur Astrid, a fait long feu puisque le président Macron l’a arrêté avant son discours de Belfort (de relance du nucléaire).
Les SMR, doit-on rappeler, misent aussi sur les neutrons rapides. La France avait une avance qu’elle n’a donc plus, dit la commission. La centrale de Fessenheim fut fermée sans raison et le président Hollande décréta que pas plus 50 % de l’électricité ne pouvait provenir de la filière nucléaire (avec à la clé, la fermeture d’une dizaine de centrales, une décision heureusement annulée). Ce n’est que depuis un an qu’une volte-face a été amorcée devant l’urgence énergétique et climatique. Mais les dégâts sont là. La France doit assumer les EPR qui se construiront au prix de surcoûts et de problèmes de construction. L’Allemagne a réussi à exclure le nucléaire des plans européens de relance ce qui a empêché la filière de pouvoir bénéficier du financement européen.
Hypothèses étranges
Entre 2000 et 2017, c’était les années d’insouciance et de surcapacité (suite à une mauvaise estimation de la consommation future d’électricité dans le sens conservatif) au point de prendre le luxe de fermer 10 GW de moyens de production thermique qu’on regrette (comme quoi être conservatif n’est pas toujours la meilleure option). Sur base d’hypothèses étranges de la consommation qui baisserait (en dépit des appels à l’électrification de l’économie pour la décarboner), le président Hollande proposa de réduire la proportion du nucléaire dans l’électricité à 50 % avec une dizaine de fermetures de centrales à la clé (décision annulée depuis fort heureusement) plutôt que de rechercher la neutralité carbone (ailleurs que dans l’électricité, donc).
Le rapport ajoute encore, avec perfidie, se demander ce qu’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie pendant les années Hollande, faisait ou pensait…
Tournant stratégique ?
A partir de 2017, Emmanuel Macron ne prit que des personnalités hostiles au nucléaire à la tête du ministère de la transition énergétique (Hulot, De Rugy, Pompili, Borne…) pour finalement faire volte-face en 2022 avec le discours de Belfort, comme candidat à sa propre succession. Détail amusant, relève le rapport : il se basait sur un rapport de 2019 commandé par Nicolas Hulot qui avoua, lui, ne pas s’en souvenir.
C’est donc un tournant stratégique mais se concrétisera-t-il?, se demande la commission : 1 an plus tard, on ne voit toujours venir aucune stratégie de financement. L’alliance des pays nucléaires portée par le France est encore fort timide. Elle se limite à un club informel, c’est vrai.
Mais les 6 erreurs de la politique énergétique françaises, hélas tellement transposables à ses voisins, auront donc été :
- de mauvaises prévisions énergétiques au regard de la nécessité de sortir des énergies fossiles et de l’électrification de l’économie qui en résulte (et cela continue) ;
- une opposition entre énergie renouvelable et nucléaire au lieu de les considérer comme complémentaires;
- de ne pas avoir anticipé la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires et leur renouvellement en série ;
- de ne pas avoir construit de filière pour le renouvelable comme pour le nucléaire ;
- d’avoir laissé se développer un cadre européen qui fragilise le modèle français ;
- d’avoir arrêté la filière des réacteurs à neutrons rapides.
Long terme et science
Le rapport prend ensuite le temps de prendre de la hauteur. C’est la perspective du temps long qui s’est perdue, accuse la commission, et du rapport à la science. Elle se plaint de l’instrumentalisation de la science et la présentation de faits partiels pour justifier la prise de décision. Et la Première ministre Borne de ne pas pouvoir expliquer sur quelle base avoir fermé Fessenheim (un critère d’ancienneté arbitraire). Quant à Dominique Voynet en fonction, comme ministre, lors de la fermeture de Superphénix, elle ne put donner qu’une explication partielle et erronée pour justifier la fermeture de cette centrale (et montrer sa méconnaissance du fonctionnement de Superphénix). Les anciens hauts-commissaires à l’énergie atomique avaient, par contre, tous été mis à l’écart, note la commission !
La continuité depuis 2012 des conseillers en matière d’énergie inquiète davantage la Commission au lieu de la rassurer (cohérence et de continuité). Ils ne sont plus une courroie d’interprétation et de compréhension des contraintes pour les ministères : ils sont devenus des prescripteurs pour l’administration.
Le dilemme dans les scénarios à long terme d’énergie, ajoute la commission, est que ceux qui misent sur les seules technologies disponibles ont une part importante de rupture sociétale mais on ne le dit pas. Quant à ceux qui misent sur une stabilité des comportements, ils se basent sur des technologies qui ne sont pas forcément disponibles. On veut généraliser le renouvelable sans que les réseaux ne soient prêts à l’accueillir, d’où gaspillage des efforts. On veut plus de biomasse mais sans réfléchir à l’équilibre entre nourriture et énergie.
Trente propositions concluent le rapport, tout un programme : notamment le rattachement de la direction énergie au ministère de l’Industrie, assumer un besoin croissant d’électricité, avoir le courage de se donner une loi de programmation énergie-climat sur 30 ans. Sur les concessions hydro-électriques, les maintenir dans le domaine public et éviter les mises en concurrence. Une des propositions s’intéresse à un pan négligé de la décarbonation : la production de chaleur renouvelable qui doit être doublé à l’horizon 20230. Il y a aussi le lancement d’un nouvel inventaire minier en France et la création d’une filière de transformation et de recyclage des terres rares tout en identifiant les importations critiques. Il faut identifier les besoins d’investissements sur le réseau notamment en cas de forte réindustrialisation. Bien sûr la prolongation de tous les réacteurs fait l’objet d’une proposition aussi tout comme l’anticipation du renouvellement de l’ensemble du parc existant !
C’est le non-dit des conséquences sociales du débat énergétique qui pose problème. La Commission dit que notre société occidentale s’est basée sur une logique de croissance, confort, biens et services. Son modèle social et sa solidarité reposent dessus. On a besoin d’énergie. Faire de mauvais choix énergétiques fera tomber le modèle occidental (Poutine y pensait-il en nous coupant le gaz ?). Le débat politique s’est focalisé sur la technique (le choix du mode de production, pour ou contre le nucléaire). Le discours politique doit porter un projet de société.
Pour en savoir plus : RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, Président M. RAPHAËL SCHELLENBERGER Rapporteur M. ANTOINE ARMAND, 6 avril 2023.
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