Le flou du devoir de vigilance des entreprises

Le flou du devoir de vigilance des entreprises

La tribune de Bruno Quentin et Charles de Beistegui

Un papier qui explique la complexité du devoir de vigilance mais qui fait un peu l’impasse sur les résistances des entreprises NDLR
( dans l’Opinion)

« La pression sur les entreprises concernées – et elles sont nombreuses – n’en est qu’à ses balbutiements et celles-ci vont devoir encore muscler leur jeu pour parer à cette nouvelle donne, alors même qu’une législation européenne plus contraignante est en cours de discussion »

Alors que la décision du Tribunal judiciaire de Paris concernant TotalEnergies sur son devoir de vigilance vient d’être rendue, les questionnements et implications suscités par cette obligation légale, encore récente, demeurent. Une chose est néanmoins certaine : la pression sur les entreprises concernées – et elles sont nombreuses – n’en est qu’à ses balbutiements et celles-ci vont devoir encore muscler leur jeu pour parer à cette nouvelle donne, alors même qu’une législation européenne plus contraignante est en cours de discussion.

Or, force est de constater que les entreprises, quelle que soit leur taille ou la nature de leurs activités, peuvent se retrouver très dépourvues face aux coups de butoirs des ONG, des syndicats ou des victimes elles-mêmes qui s’attaquent à leur réputation pour les contraindre au changement en profitant à la fois du flou juridique et de la nature même de la loi qui facilitent les campagnes de déstabilisation pour obtenir des résultats avant même le déclenchement d’un hypothétique volet judiciaire.

Les entreprises seront pour certaines d’autant plus désemparées qu’elles auront le sentiment de disposer d’un plan de vigilance robuste, chiffres et données détaillées à l’appui, ne prêtant a priori pas le flanc à la critique. C’est négliger le fait que notre société est marquée par l’hyper-méfiance et l’hyper-résistance à la parole institutionnelle, et que dans cet environnement se combinent des ingrédients détonants de radicalité, de sensibilité exacerbée des opinions et de recherche d’exemplarité.

Par le doute instillé sur la sincérité et les motivations réelles de l’entreprise, celle-ci se trouve en effet exposée à un triple impact, démultiplicateur de risque : auprès de salariés troublés voire déstabilisés à l’heure du risque de désengagement, auprès de recrues circonspectes voire refroidies à l’heure du risque d’attractivité, auprès d’investisseurs ou de financeurs soucieux voire craintifs à l’heure du risque ESG.

Limites. Le discours explicatif et les justifications techniques, s’ils sont nécessaires, ne suffiront pas. Dans une société de défiance vis-à-vis des institutions et de bienveillance médiatique à l’égard des auteurs de ce type de critiques, se fonder exclusivement sur l’argumentation rationnelle ne parvient plus à convaincre. La pédagogie trouve ici rapidement ses limites : répondre uniquement par davantage d’informations renforce encore les résistances et les arrière-pensées au lieu de les atténuer. La persuasion rationnelle s’épuise face à plusieurs phénomènes que les détracteurs des entreprises ont – quant à eux – parfaitement intégrés :
• L’attention devient une ressource rare et disputée ;
• Le décryptage des intentions cachées est devenu une compétence ;
• L’expérience subjective prime sur la connaissance objective : les individus soumettent d’abord et avant tout les faits au filtre de leur sensibilité personnelle.
Dans ce contexte, la véritable prise en compte du devoir de vigilance et l’efficacité des plans qui entendent y répondre nécessitent d’effectuer plusieurs dépassements :
• Au-delà des arguments techniques, s’appuyer sur les pouvoirs d’un récit, simple, intelligible et émotionnel. Un récit qui non seulement apporte un surplus d’impact, de conviction et de sens, mais aidera aussi, le moment venu, à soutenir l’argumentation sur un plan juridique ;
• Au-delà des risques opérationnels liés à l’activité de l’entreprise, intégrer dans le pilotage de la vigilance le risque d’opinion en tenant compte de la fluctuation changeante et rapide des sensibilités ;
• Au-delà des éléments tangibles, recourir à des symboles qui marquent les esprits (un lieu, une image, une personne, etc.) et viennent rééquilibrer l’asymétrie des moyens des différents « assaillants » dont la communication symbolique – parfaitement maîtrisée – est une force.
Ironie de l’histoire, il peut y avoir là une opportunité pour les entreprises de transformer un devoir sous contraintes et sous risque judiciaire en choix assumés et revendiqués.

Bruno Quentin est avocat associé du cabinet Gide Loyrette Nouel
Charles de Beistegui est directeur associé de No Com

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