Un RSA européen
Dans une tribune pour le JDD, Mélanie Vogel, sénatrice écologiste et Mounir Satouri, député européen écologiste de la commission emploi et affaires sociales, accusent les macronistes de vouloir saborder le projet de RSA européen.
Voici leur tribune : En 1992, le Conseil de l’Union Européenne recommandait aux États membres d’instaurer un revenu minimum pour les citoyens exclus de l’emploi. Trente ans plus tard, ce qu’on pourrait appeler un “RSA européen” est encore loin d’être une réalité : une majorité des États ont bien instauré des systèmes de protection mais ceux-ci sont, pour la plupart, très insuffisants et bien en deçà du seuil de pauvreté.
Il est donc grand temps de passer de la simple recommandation à une véritable législation. Le 15 mars, une étape déterminante de ce processus se jouera au Parlement européen. Les députés statueront sur un projet de résolution qui proposerait une nouvelle directive : des règles pour un revenu minimum dans chaque État membre.
Cette initiative parlementaire, portée par la gauche et les écologistes, n’a – sans surprise – pas les faveurs de la droite. Pour l’instant, le groupe Renew, qui jouera un rôle pivot dans le vote, est divisé. Parmi eux, les députés français semblent manœuvrer en coulisse pour torpiller le projet de directive. En France avec la réforme des retraites et de l’assurance chômage, au niveau européen lorsqu’elle manœuvrait hier contre la présomption de salariat des travailleurs des plateformes, contre la taxation des superprofits et aujourd’hui contre le RSA européen, la Macronie persiste dans un agenda antisocial au moment où les plus fragiles souffrent le plus.
Emmanuel Macron et Stéphane Séjourné, patron des députés Renew, craignent sans doute que cette directive oblige le gouvernement français à augmenter le RSA : il est de 598 euros par mois – bien en deçà des 1 102 euros du seuil de pauvreté. Mais ce qu’ils craignent, plus certainement encore, c’est d’être obligés d’étendre le RSA aux moins de 25 ans. Emmanuel Macron, qui a toujours refusé cette extension, pourrait en effet être mis en difficulté par une Europe plus exigeante.
Souvenons-nous, en 2017, le Président de la République rognait 5 euros par mois d’allocations sur les logements étudiants. Et en 2021, après des mois de Covid particulièrement éprouvants pour la jeunesse, alors que la Première ministre Elisabeth Borne annonçait une “Garantie Jeunes Universelle” pour 1 million de personnes, Emmanuel Macron ne s’engageait finalement que sur un modeste Contrat d’Engagement Jeune (CEJ). Moins de 300 000 personnes en seront les bénéficiaires en 2022. Ce contrat, très contraignant pour les allocataires, manque sa cible principale : les “jeunes en rupture, hors des radars de Pôle emploi ou des missions locales” comme l’explique le Conseil d’Orientation des politiques de la Jeunesse.
Ces choix sont lourds de conséquences alors que, dans l’Hexagone, plus d’une personne pauvre sur deux a moins de 30 ans. À l’heure où des dizaines de milliers d’étudiants ont recours aux banques alimentaires pour se nourrir, plutôt que d’exiger toujours plus de “devoirs” aux allocataires, la France ferait bien de s’inspirer des pays nordiques, dont les politiques ont prouvé leur efficacité en matière de lutte contre la pauvreté des jeunes. Ainsi, au Danemark, les allocations sociales sont versées dès la majorité et les étudiants touchent un revenu universel pouvant aller jusqu’à 850 euros par mois. Loin d’être des “assistés” improductifs, ces derniers se distinguent par leur indépendance et par leur facilité à s’insérer sur le marché de l’emploi. Selon Eurostat, l’Europe du Nord a d’ailleurs la plus faible proportion de NEET (les 15-29 ans qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation) de l’Union.
Les jeunes, les femmes, les personnes issues de minorités, les personnes LGBTQI, les exilés, les sans-abri sont les catégories le plus souvent “piégées” par la pauvreté – celles qu’il faut soutenir en priorité. De nombreuses études montrent que pour ces personnes, l’insertion dans le monde du travail passe d’abord par un revenu minimum garanti et inconditionnel. C’est ce matelas de sécurité qui permet de stabiliser une situation difficile, de se reconstruire personnellement, de se former ou de libérer du temps pour chercher un travail. À l’heure où plus de 100 millions d’Européennes et d’Européens sont exposés au risque de pauvreté (près d’une personne sur 5) il est temps de concrétiser l’un des objectifs affichés par l’UE : réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2030 sur le continent. Et cela passe aussi par notre jeunesse, aujourd’hui exclue de ce dispositif de revenu minimum.
Une directive européenne sur le revenu minimum serait le meilleur outil pour faire avancer cette cause. Depuis des années, il est réclamé par plus de 30 réseaux associatifs nationaux regroupés au sein de l’European Anti-Poverty Network. Est-ce jouable ? La politique sociale est une prérogative des États membres et il reste difficile d’harmoniser les systèmes sociaux. C’est vrai. Mais le salaire minimum européen (l’équivalent d’un SMIC européen – à ne pas confondre avec le revenu minimum qui serait l’équivalent d’un RSA européen). vient d’être adopté, en octobre 2022. Il va contraindre deux tiers des États membres à mettre en place un salaire minimum “adéquat”, basé sur le seuil de pauvreté national et sur un panier de biens de première nécessité et permettra de créer une convergence progressive des salaires minimaux dont les écarts sont actuellement de 1 à 6.
La bataille pour le salaire minimum fut longue et difficile. Personne n’avait, initialement, parié sur son succès. C’est maintenant la bataille du revenu minimum qui est engagée, suspendue au vote des libéraux et conservateurs, le 15 mars prochain, au Parlement européen. La vie dans la dignité de millions d’Européennes et d’Européens précaires est en jeu. Aucune voix des députés français ne doit manquer pour soutenir ce projet.
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