Revoir totalement la gouvernance du football français
La tribune de Thierry Granturco dans l’Opinion
«Il est plus que temps de revoir en profondeur la gouvernance du football français. Remplacer Noël Le Graët à la tête de la FFF ne servira à rien si les règles de gouvernance restent les mêmes»
Une contribution intéressante mais qui passe sous silence le fait que le football professionnel français est régulièrement éliminé des compétitions européennes. Pour résumer le niveau n’est pas la hauteur en France. NDLR
On croyait Noël Le Graët intouchable. Il est pourtant tombé, mis en retrait de la présidence de la Fédération Française de Football (FFF) depuis le 11 janvier. Pour un homme habitué à jouer les premiers rôles dans les instances dirigeantes du football français — tant amateur que professionnel —, cette relégation sur le banc de touche doit être particulièrement cruelle. La chute s’est passée en deux temps.
D’abord, le Guingampais a osé s’en prendre à l’iconique Zinedine Zidane. Lors de l’émission de Marion Bartoli sur la radio RMC, le président de la FFF a sèchement répondu à l’ancienne tenniswoman qui le questionnait sur la prolongation du contrat d’entraîneur des Bleus, légitimement accordée à Didier Deschamps pour services rendus lors des deux dernières Coupes du monde.
A propos de Zizou, Noël Le Graët s’est totalement lâché : « Je ne l’aurais même pas pris au téléphone. Pour lui dire quoi ? “Bonjour Monsieur, ne vous inquiétez pas, cherchez un autre club, je viens de me mettre d’accord avec Didier” ? Il fait ce qu’il veut, cela ne me regarde pas. Je ne l’ai jamais rencontré et on n’a jamais envisagé de se séparer de Didier Deschamps. J’en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, dans un club, il en aurait autant qu’il veut en Europe, un grand club. Une sélection, j’y crois à peine en ce qui me concerne. »
Bornes. Ces propos ont scellé le sort de l’ancien président de Guingamp. La France entière s’est levée pour signifier à Noël Le Graët qu’il avait dépassé les bornes, tant les professionnels du sport que les politiques. Kylian Mbappé, dont l’aura excède la seule dimension sportive, a lui-même pris position contre le président de sa fédération, rejoint en cela par la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra qui a alors immédiatement demandé des excuses pour ce « mot de trop ». Peu aimé par l’exécutif, moins encore par le président de la Ligue professionnelle Vincent Labrune ou l’influent journaliste sportif Daniel Riolo, Noël Le Graët s’est de lui-même mis sur le billot. En parallèle, le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour harcèlement moral et sexuel à son encontre.
L’hallali est désormais sonné. Mais Le Graët ne serait-il pas le coupable idéal ? L’arbre permettant de cacher une forêt de petits et de grands chefs du football français dirigeant une fédération en perdition ? Les exploits de l’équipe nationale ne peuvent à eux seuls cacher les errements de la direction, dans le secteur de la formation comme dans le monde amateur ou dans les tribunes. Le fait que le président de la FFF puisse être accusé de harcèlement sexuel ou mis en retrait pour ses propos sur un joueur star, ne devrait pas masquer un problème de gouvernance plus profond.
«Outre le fait que les présidents élus à la tête des fédérations partagent très peu leurs pouvoirs, pour ne pas dire pas du tout, la manière dont ils exercent ce pouvoir pose également question»
Voici, en effet, un homme qui est membre du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP, anciennement Ligue nationale de football) depuis… 1984, ligue qu’il a présidée de 1991 à 2000, avant de devenir vice-président de la FFF en 2005, puis président de cette même fédération de 2011 jusqu’à aujourd’hui. Comment Noël Le Graët, qui est à la tête du football français depuis près de trente ans, peut-il encore être en fonction aujourd’hui ? Au point d’avoir été réélu président de la FFF pour quatre ans, en 2021, à l’âge de 80 ans ?
Il faut dire que lors de la dernière élection à la présidence de la FFF, son principal opposant n’était autre que Frédéric Thiriez, lui-même âgé de 71 ans, qui a été membre du comité exécutif de la FFF sans discontinuité pendant… 29 ans tout en étant membre du conseil d’administration puis président de la LFP pendant 21 ans.
Accaparement. Tout ceci est-il bien sérieux ? La loi du 2 mars 2022 sur la démocratie dans le sport français, adoptée sous l’impulsion de Roxana Maracineanu, l’ancienne ministre déléguée aux Sports de l’époque, devrait limiter à l’avenir ce genre d’accaparement du pouvoir par quelques-uns au sein de nos fédérations sportives, et plus particulièrement au sein de la FFF. Mais tout ne sera pas réglé pour autant.
Outre le fait que les présidents élus à la tête des fédérations partagent très peu leurs pouvoirs, pour ne pas dire pas du tout, la manière dont ils exercent ce pouvoir pose également question. Que dire de ces compétitions sportives dont les règlements ne sont publiés qu’après qu’elles ont débuté ? Des règlements qui changent d’une saison sur l’autre, créant une insécurité juridique majeure pour les acteurs du football français ? Des commissions juridiques d’appel au sein desquelles siègent des membres de la commission juridique de première instance, qu’on n’imagine pas vraiment se déjuger, bafouant ouvertement le principe du double degré de juridiction ? Des modes d’élection totalement verrouillés, ne permettant ni la pluralité dans la gouvernance ni la pluralité des idées ? Des présidents qu’il est quasi impossible de démettre de leurs fonctions ?
Il est plus que temps de revoir en profondeur la gouvernance du football français. Remplacer Noël Le Graët à la tête de la FFF ne servira à rien si les règles de gouvernance restent les mêmes. « Mais c’est une révolte ? » Non, Sire, c’est d’une révolution dont nous avons besoin.
Thierry Granturco est avocat spécialisé en droit du sport et agent de footballeurs. Depuis 2020, il est maire sans étiquette de Villers-sur-Mer (Calvados).
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