Le déclin de la valeur travail en France

Le déclin de la valeur travail en France

Les Français sont ambivalents dans leur nouveau rapport au travail. Ils peuvent l’aimer, mais de plus loin, être moins motivés, rester impliqués, selon une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès ( extrait)


« L’Opinion » publie en exclusivité une étude de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès sur le monde du travail vu par les salariés
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L’Ifop n’en finit pas de sonder la vie au travail, terrain de doutes et d’interrogations depuis la crise sanitaire. Après sa note pour la Fondation Jean-Jaurès, « Plus rien ne sera jamais comme avant dans sa vie au travail », en juillet 2022, voici « Je t’aime, moi non plus : les ambivalences du nouveau rapport au travail », toujours pour la Fondation. Les deux auteurs, Flora Baumlin et Romain Bendavid, respectivement directrice d’études et directeur de l’expertise corporate et work experience de l’Ifop, partent de cette hypothèse : le travail occupe une place moins centrale dans nos vies. Ils affinent ce constat tout en le nourrissant d’explications.

La crise sanitaire a modifié nos modes de vivre, de consommer et de travailler, mais a aussi accru la valorisation du temps libre et de la sphère privée. Plus précisément, quel est son impact sur la motivation et le rapport à l’effort des individus ? Une enquête d’opinion menée en partenariat avec l’Ifop, et dont les résultats sont analysés par Jérôme Fourquet et Jérémie Peltier, permet de faire le point.

Chacun le voit bien avec l’apparition d’un certain nombre de sujets dans le débat public depuis ce moment inédit : la Covid-19 et les confinements ont accéléré et modifié nos modes de vie et nos façons de consommer, ont impacté en profondeur notre rapport au travail et nos liens familiaux, mais ont aussi accru la valorisation du temps libre et de la sphère privée.
Un élément est néanmoins assez peu traité, bien que transversal et au cœur des phénomènes cités ci-dessus : l’impact de la Covid-19 sur la motivation et l’état psychologique des individus, ainsi que sur leur capacité à effectuer un effort mental et physique et à résister aux aléas de la vie.
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Une perte de motivation qui affecte près d’un Français sur trois

Depuis la crise sanitaire, 30% des sondés déclarent être moins motivés qu’avant. Si près de six de nos concitoyens sur dix ne semblent pas avoir été affectés psychologiquement par cette épreuve, la balance est nettement négative, puisque seuls 12% des sondés se disent plus motivés qu’avant dans ce qu’ils font au quotidien, contre donc près d’un sur trois qui l’est moins.

C’est encore plus vrai chez les plus jeunes, avec 40% des 25-34 ans indiquant être moins motivés qu’avant (contre seulement 21% des plus de soixante-cinq ans).
Si cette baisse de motivation affecte avec la même intensité toutes les classes sociales, deux éléments semblent importants à mentionner. D’une part, les personnes résidant en région parisienne, pour qui les conditions matérielles du confinement ont été particulièrement pesantes et dont on sait qu’elles ont vécu plus que la moyenne des actifs français la vie en télétravail durant et après la pandémie, semblent plus touchées : 41% des habitants de région parisienne disent être moins motivés qu’avant dans leur vie quotidienne, contre 29% des personnes qui habitent dans les communes urbaines de province et 22% des habitants de zone rurale. D’autre part, la baisse de motivation ne frappe pas de manière homogène les différentes familles politiques. Ainsi, quand 44% des sympathisants de La France insoumise disent être moins motivés qu’avant, ce n’est le cas que de 23% des sympathisants de la majorité présidentielle et de 27% des sympathisants des Républicains.
L’effet de traîne de la Covid-19 : quatre individus sur dix se sentent plus fatigués qu’avant la pandémie

Cette perte de motivation n’est sans doute pas sans lien avec la fatigue accumulée à l’occasion des épreuves occasionnées par la pandémie. En effet, d’après notre enquête, 41% des Français se sentent plus fatigués qu’avant la crise liée à la Covid-19 après un effort physique, contre 54% qui ne ressentent pas de changement et seulement 5% qui ont la sensation d’être moins fatigués qu’avant suite à un effort physique.

La sensation d’une fatigue plus importante qu’avant la Covid-19 à l’occasion d’un effort physique affecte aussi bien les hommes (41%) que les femmes (40%) et semble assez homogènement répandue dans les différents milieux sociaux, classes d’âge et territoires. Nous sommes donc en présence d’un phénomène transversal. Cet effet de traîne de la Covid-19 influe sur le moral de la population. Ainsi, 70% des personnes qui se sentent moins motivées qu’avant la Covid-19 se disent plus fatiguées, contre 41% en moyenne de la population.

On notera par ailleurs que 28% des 18-24 ans indiquent faire moins de sport et d’activités physiques par rapport à ce qu’ils faisaient avant la crise sanitaire.

Les problèmes physiques de la population et de la jeune génération sont régulièrement documentés depuis plusieurs années maintenant. Ainsi, lorsqu’on compare les résultats à certains tests physiques passés par les adolescents des années 1990 avec ceux passés par les adolescents d’aujourd’hui, on s’aperçoit que ces derniers ont perdu, par exemple, un quart de leur capacité pulmonaire en raison du développement de la sédentarité, alimentée notamment par les écrans4. Conséquence : les jeunes de 2022 mettraient 90 secondes de plus à courir 1 600 mètres qu’il y a trente ans5. Par ailleurs, selon une étude du Crédoc, un jeune sur quatre entre seize et vingt-cinq ans déclare faire peu d’activités physiques ou sportives (moins de trois fois par mois), voire aucune6. Consciente de cette dégradation de l’état physique général de la jeunesse, Santé publique France a lancé en septembre dernier une nouvelle campagne de communication intitulée : « Faire bouger les ados, c’est pas évident. Mais les encourager c’est important ». De son côté, l’Armée de Terre a décidé de faire évoluer le contrôle de la condition physique générale de ses soldats, qui ne compte plus que trois épreuves au lieu de quatre précédemment.

Ce qui est intéressant, et témoigne d’un mouvement profond qui touche la société, notamment la jeune génération, c’est que ces derniers invoquent le « manque de temps » comme motif principal de leur absence de pratique sportive (45% des 16-25 ans citent le manque de temps devant la surcharge de travail, 37%, dans une enquête récente du Crédoc10), nous révélant de fait leur difficulté à se motiver à « prendre du temps » pour réaliser une quelconque activité dès que celle-ci s’avère éloignée de leur zone de confort.

Au travail , on constate cette instabilité émotionnelle. Le nombre d’arrêts maladie en France en 2022 a explosé, 42% des salariés s’étant vus prescrire un arrêt maladie cette année (un chiffre plus important qu’avant la Covid-19). Plus intéressant pour notre sujet, les troubles psychologiques et l’épuisement professionnel, principaux motifs des arrêts longs, sont désormais à l’origine de 20% des arrêts maladie, dépassant pour la première fois les troubles musculo-squelettiques (16%).

D’une façon générale, notre enquête corrobore l’hypothèse d’une fragilisation psychologique et mentale accrue depuis la crise sanitaire, et plus particulièrement une perte de résistance psychologique et mentale dans la jeune génération pour faire face aux événements et aux aléas de la vie. En effet, si 31% des Français disent ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour tout affronter dans leur vie quotidienne, c’est le cas de 40% des 25-34 ans. Cette fragilisation psychologique depuis la crise sanitaire semble par ailleurs (au moins en déclaratif) toucher davantage les femmes que les hommes : quand 24% des hommes disent ne pas se sentir suffisamment solides mentalement pour faire face aux événements dans leur vie quotidienne, c’est le cas de 37% des femmes.
On retrouve ce phénomène de fragilisation quant à l’« envie de pleurer » exprimée par la jeune génération (parfois appelée « génération snowflake », en référence au flocon de neige qui fond à la première chaleur). Si 14% des Français disent avoir durant la journée davantage envie de pleurer depuis la crise sanitaire, c’est le cas de 20% des 25-34 ans. Ici aussi, une différence femmes-hommes s’observe : quand 11% des hommes disent avoir davantage envie de pleurer durant leur journée depuis la crise liée à la Covid-19, c’est le cas de 17% des femmes.

Un autre ressort de cette plus grande vulnérabilité des individus depuis la crise sanitaire est à chercher selon nous du côté du rapport que la société entretient à la frustration. La crise sanitaire ayant renforcé la société du sur-mesure et de l’immédiateté dans laquelle le citoyen est d’abord perçu comme un client (le boom des livraisons à domicile incarnées par Deliveroo et Uber durant cette période en est l’une des illustrations, comme nous le verrons plus bas), le seuil de patience des individus s’est considérablement abaissé durant cette période, ces derniers ayant de plus en plus de mal à gérer leur frustration. Dans notre enquête, 44% des Français disent avoir de plus en plus de mal à patienter avant d’obtenir quelque chose, dont 53% des 25-34 ans.
Cette moindre appétence à sortir de chez soi a évidemment des conséquences sur des secteurs qui reposent d’abord et avant tout sur l’accueil du public. Bien que l’industrie du cinéma, déjà mal en point avant même l’arrivée de la Covid-19, semble beaucoup insister ces derniers temps sur l’« effet prix » comme explication de la désertion du public18, avec, d’après le CNC, une baisse de 34% de nombre de tickets vendus en septembre dernier par rapport à septembre 2019 (avant Covid-19 donc), l’impact de cette épidémie de flemme ne doit pas, à notre sens, être négligé pour expliquer la difficulté à remplir actuellement les salles. En effet, le cinéma a de plus en plus de mal à lutter contre la flemme de sortir de chez soi, concurrencé par l’arrivée de nouveaux produits comme les vidéoprojecteurs, équipement dont les ventes croissent d’environ 50% par an depuis deux ans maintenant et qui s’était vendu à 50 000 exemplaires au premier semestre 202119. Au-delà des vidéoprojecteurs, l’arrivée des plateformes a par ailleurs alimenté cette propension des individus à adopter l’art de la flemme.

Une étude de l’Ifop montrait récemment que Netflix, Amazon, Prime Video ou encore Disney + avaient une incidence sur la fréquentation des salles de cinéma20 : depuis qu’elles se sont abonnées à une offre de vidéo à la demande, 29% des personnes interrogées déclarent « aller moins souvent au cinéma » et 12% « ne plus y aller du tout », soit quatre utilisateurs sur dix qui y vont moins ou n’y vont plus depuis l’épidémie de flemme.

Parallèlement à Netflix et consorts, la console de jeux, activité se pratiquant également à domicile, constitue un autre concurrent redoutable au cinéma, notamment parmi les adolescents et les jeunes adultes. Avec 2,4 millions de consoles et près de 1 million de PC Gaming vendus en 2021, l’industrie du jeu vidéo – dont la première console, l’Odyssey de Magnavox, sortait il y a cinquante ans – a enregistré une nouvelle performance record, avec un chiffre d’affaires de 5,6 milliards d’euros, soit une progression de +1,6% par rapport à 2020, qui avait déjà été une année exceptionnelle. En deux ans, le marché a évolué de 13,5%, ce qui fait dire à Julie Chalmette, présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL), que « le jeu vidéo continue de progresser vers de nouveaux sommets. L’année 2020 avait été extraordinaire, mais particulière en raison du contexte. Cette croissance confirmée en 2021 s’inscrit comme une véritable tendance de fond. Les Français n’ont jamais autant joué. Ils sont 73% à jouer occasionnellement et 58% régulièrement, soit une progression de 6 points par rapport à 202021. » Preuve de la place prise par l’industrie du jeu vidéo, celui-ci aura d’ailleurs droit pour la première fois cette année à son festival de Cannes (le Cannes Gaming Festival) du 24 au 26 février prochains, qui proposera une cérémonie de remise de prix à l’identique de celle qui existe pour le septième art.

Enfin, élément notable, cet attrait pour les jeux vidéo touche toutes les classes d’âge. Si un enfant sur deux joue tous les jours (52% des enfants), c’est également le cas d’un adulte sur trois (35%), selon le même syndicat. Nous sommes donc en présence d’une pratique massivement répandue.

L’appel du canapé semble ainsi très puissant. On le voit d’ailleurs dans notre enquête. Invités à donner leur opinion face à un certain nombre de mots, 74% des Français ont une image positive du « lit », dont 85% des 25-34 ans. Il en est de même pour le canapé : quand 59% indiquent avoir une image positive de ce mot, c’est le cas de 72% des 25-34 ans. Signe des temps, Le Petit Robert a annoncé que le terme « chiller » (de l’anglais « to chill » : prendre du bon temps à ne rien faire) fera son apparition dans son édition 2023.

En outre, la crainte d’un hiver rigoureux sur fond d’un chauffage réglé à 19 degrés pour limiter la consommation d’électricité et de gaz conforte et accélère le marché de la flemme : les Français se ruent ces derniers temps sur les plaids, objets symboliques de cette « civilisation du cocon », privilégiant les longs week-ends sur le canapé (civilisation très bien analysée par Vincent Cocquebert22). Chez Monoprix, par exemple, les équipes ont récemment anticipé une plus forte demande en plaids ces prochaines semaines, afin de permettre aux consommateurs de passer l’hiver au mieux23. De la même façon, les spas et jacuzzis, nouveaux équipements indispensables développés par la « civilisation du cocon », se vendent comme des petits pains depuis plusieurs années. La tendance à « chiller », comme l’épidémie de flemme, a généré de nombreuses opportunités de marché bien comprises par les enseignes. Ainsi, la marque de viande Charal lançait au lendemain du premier confinement une publicité pour ses burgers préparés à faire réchauffer au micro-ondes avec le slogan : « Le soir vous avez la flemme, nous on a la flamme ».

S’il y a un marché de la flemme, sa structuration et sa montée en puissance se sont accélérées durant la crise sanitaire, comme en témoignent par exemple les excellents chiffres des plateformes comme Deliveroo, Uber Eats ou Amazon tout au long de la pandémie et au-delà24. Une enquête de l’Ifop de 2021 indiquait ainsi que 52% des Français avaient eu recours à la livraison de repas à domicile au moins une fois dans l’année, dont 23% au moins une fois par mois. Signe que les habitudes sont en train de s’ancrer en la matière, si seulement 25% des soixante-cinq ans et plus se font livrer au moins une fois par an un repas à domicile, cette proportion atteint 60% parmi les 35-49 ans, et 78% auprès des moins de trente-cinq ans (dont près d’un sur deux commande un repas à domicile au moins une fois par mois). Tout se passe comme si des barrières psychologiques et morales subsistaient parmi les générations les plus âgées, qui rechigneraient à se faire servir à domicile par des « domestiques 2.0 », réticences ayant manifestement disparu dans les jeunes générations, qui ont baigné depuis leur enfance dans la société du « client-roi ». La publicité des acteurs se positionnant sur ce marché vise d’ailleurs à abattre ces obstacles culturels et moraux et à décomplexer totalement le consommateur, comme l’illustre par exemple un des slogans de Gopuff, start-up de livraison à domicile : « Lendemain de soirée [difficile] ? On arrive. » Plus récemment encore, la plateforme Uber Eats décidait d’axer sa dernière campagne de publicité autour d’un slogan on ne peut plus explicite : « Embrace the art of doing less » (Adopter l’art d’en faire moins).

On aurait tort de penser que ce phénomène ne concerne que les grandes métropoles. Le maire de Châteauroux nous confiait ainsi récemment que sa ville comptait 90 livreurs Uber Eats. Dans les zones rurales non desservies par ces plateformes, les consommateurs en quête d’un repas prêt à consommer peuvent, quant à eux, utiliser les distributeurs automatiques de pizzas qui sont apparus dans de très nombreux villages ces dernières années, le leader du secteur, Adial, en comptant plus de 80025.
D’ailleurs, quand une enquête récente du Crédoc26 demande aux Françaises et aux Français quel serait pour eux un vendredi soir idéal, l’élément qui arrive en tête est un plateau-repas devant la télévision : pour 37% des sondés, un vendredi soir idéal, c’est un plateau-télé, score deux fois plus élevé qu’une sortie entre amis (15%). Et pour ce qui est des repas de la semaine, il semblerait que l’engouement pour le fait-maison, observé durant les confinements, ne soit plus autant de saison. Sous l’effet d’une dégradation sensible du pouvoir d’achat, mais aussi également sans doute de cette moindre motivation générale, les achats des sandwichs ou des Pastabox de la marque Sodebo se portent très bien et les usines du groupe vendéen tournent à plein régime.
Enfin, dernier exemple s’il en fallait, le secteur des transports de voyageurs à la demande surfe lui aussi sur la tendance à la flemme, en témoigne la campagne de publicité de la plateforme Heetch que l’on pouvait retrouver dans les tunnels du métro parisien en octobre dernier : « Vous avez la flemme ? On a le VTC. »


Un autre secteur semble également subir de plein fouet cette perte de motivation et cette fatigue au long cours : le monde du travail.

Avec « grande pénurie », l’expression que l’on a le plus entendue depuis cette rentrée et durant tout l’été est « grande démission », à savoir la grande démission des salariés français de leur entreprise. Le magazine Society en a fait sa une en se demandant « Et si on ne retournait pas au travail ? », comme Le Figaro, quand le magazine Usbek & Rica s’est demandé si nous ne sommes qu’au début du phénomène : « Grande démission : et si c’était que le début ? ».
On a également vu apparaître cette grande démission, au cours des derniers mois sur TikTok, notamment aux États-Unis, à travers des vidéos de jeunes gens se filmant en train d’annoncer leur démission en direct avec l’hashtag #quitmyjob27. Ces nombreuses démissions se constatent aussi dans les chiffres. C’était le cas aux États-Unis juste après la Covid-19. Entre mars et mai 2021, 11 millions d’Américains ont démissionné de leur poste. C’est désormais également le cas en France, où l’on observe des taux de démission qui n’avaient jamais été atteints depuis quatorze ans. Entre fin 2021 et début 2022, on a enregistré près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. Le record précédent datait du premier trimestre 2008, avec 510 000 démissions dont 400 000 pour les seuls CDI.

Pourquoi ces nombreuses démissions, et notamment en France ? Elles s’expliquent d’abord par un effet de rattrapage, les mouvements ayant été gelés ou très fortement ralentis durant les confinements. Le dynamisme du marché du travail actuel, avec un assez faible taux de chômage, favorise également les démissions. En effet, en période de reprise, les postes à pourvoir sont plus nombreux, donc de nouvelles opportunités d’emploi apparaissent, ce qui incite à démissionner pour négocier de meilleures conditions de travail, de meilleurs salaires, un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Ces nombreuses démissions sont aussi le reflet d’un état de mal-être parmi les salariés français, qui disent plus que la moyenne des actifs européens être en manque de reconnaissance depuis plusieurs années déjà28.
Mais selon nous, cette vague de démissions dit aussi beaucoup de l’accélération de la modification du rapport au travail des Français, la crise sanitaire étant venue booster une tendance déjà à l’œuvre préalablement. Durant la pandémie, près de 11 millions de salariés ont été mis en chômage partiel, période au cours de laquelle beaucoup se sont interrogés sur le sens de leur travail. Dans les secteurs peu rémunérés, où les contraintes horaires sont pesantes (travail en soirée, le week-end, en horaires décalés…) et où la pénibilité des tâches ou de l’environnement de travail est importante, toute une partie des salariés n’ont pas repris leur poste, entraînant des pénuries de main-d’œuvre dans l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, ou bien encore le transport routier et le gardiennage.

La Covid-19 s’est également soldée par l’irruption du télétravail (près d’un quart des salariés français sont actuellement en télétravail à hauteur de trois jours ou plus par semaine), ce qui constitue un autre facteur de modification du rapport au travail, soit une proportion élevée.
Ce contexte explique sans doute en partie pourquoi notre enquête montre que les actifs français sont moins enclins à se donner corps et âme au travail et qu’une forte minorité a clairement perdu en motivation. Depuis la crise sanitaire, si la majorité des actifs (51%) affichent une motivation inchangée, 37% se disent en effet moins motivés qu’avant dans leur travail.

Cette proportion d’actifs en baisse de régime au travail correspond à peu de chose près aux 42% d’actifs se déclarant plus fatigués qu’avant la pandémie après un effort physique et aux 35% d’actifs qui, d’une manière générale, sont moins motivés qu’avant dans leur quotidien. Au fil des questions, on voit donc émerger un bloc de 35% à 40% d’individus, dont le moral ou la condition physique ont été affectés depuis la pandémie.
La perte de motivation au travail touche davantage les jeunes actifs (46% des 25-34 ans), mais aussi les cadres (44%) et les professions intermédiaires (43%), contre 34% « seulement » parmi les employés et ouvriers, catégories dont on notera qu’elles sont moins concernées par le télétravail.
Les contrastes se font également jour en termes d’affiliation partisane. Quand 61% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle disent être moins motivés qu’avant au travail, ce n’est le cas que pour 28% des électeurs d’Emmanuel Macron, 30% des électorats Zemmour et Pécresse et 34% des lepénistes. Ces résultats sont intéressants, car ils permettent d’éclairer le débat sur la « valeur travail » lancé par Fabien Roussel à la rentrée et les raisons pour lesquelles une partie de la gauche est mal à l’aise, voire critique, à son égard. Sandrine Rousseau a ainsi, par exemple, revendiqué le droit à la paresse cher à Paul Lafargue. Dans le même ordre d’idées, une autre enquête récente de l’Ifop29 indique d’ailleurs que près de quatre sympathisants La France insoumise ou Europe Écologie-Les Verts sur dix se définissent comme « peu ou pas travailleurs », cette proportion ne s’établissant qu’à environ un quart des sondés dans les autres familles politiques.

… s’inscrivant dans un phénomène plus global et ancien d’une perte de centralité du travail
D’une façon générale, une partie des actifs, et notamment les plus jeunes, se sont petit à petit désengagés de leur travail, un peu comme s’ils étaient entrés dans une forme de résistance silencieuse et passive à l’image de Bartleby, héros de la nouvelle éponyme d’Herman Melville, scribe de profession, qui repousse toutes les demandes qu’on lui fait – à commencer par celles de son patron – par la phrase restée célèbre « I would prefer not to » : je préférerais ne pas le faire.
Un phénomène illustre cela : le « Quiet quitting » (« démission silencieuse »), phénomène qui consiste à en faire le moins possible au travail sans se faire licencier. Certains se filment même – le nombre de vues sur TikTok a dépassé les 40 millions. Il ne s’agit pas d’une démission véritable, mais d’une démission mentale, d’une sorte de démission silencieuse ou clandestine.
Si cette soudaine démotivation est intéressante à analyser, c’est que le travail représentait historiquement dans la vie des Français quelque chose de particulier et avait une dimension statutaire très importante. Or, si les Français demeurent attachés à leur travail, celui-ci occupe une place beaucoup moins centrale dans leur vie qu’au début des années 1990, la Covid-19 n’ayant fait qu’accroître cette perte de centralité, comme l’a montré Romain Bendavid30. En 1990, 60% des sondés répondaient que le travail était « très important » dans leur vie. Ils ne sont plus aujourd’hui que 24% à faire cette réponse, soit un recul spectaculaire de 36 points en trente ans. Si la religion ou la famille ont également vu leur caractère très important dans la vie de nos concitoyens perdre du terrain, la chute, de l’ordre de 10 points, est sans commune mesure avec ce que l’on observe pour ce qui est du travail. Dans le même temps, la centralité des loisirs dans la vie des Français s’est renforcée de 10 points, cette progression produisant une inversion des normes. Alors qu’en 1990, deux fois plus de sondés considéraient comme « très important » le travail (60%) par rapport aux loisirs (31%), cette hiérarchie est aujourd’hui renversée : 41% pour les loisirs versus 24% seulement pour le travail.
Évolution entre 1990 et 2021 du caractère « très important dans sa vie » de différents éléments

D’autres données d’enquête accréditent cette évolution au long cours du rapport au travail et de l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. En mai 2008, soit au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont un des mantras était le fameux « Travailler plus pour gagner plus », 62% des salariés souhaitaient, s’ils en avaient le choix, « gagner plus d’argent, mais avoir moins de temps libre » contre 38% qui désiraient « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre ». Le rapport de force entre ces deux modalités est aujourd’hui totalement inversé. Selon un sondage Ifop pour Solutions solidaires31, 61% des salariés souhaiteraient désormais « gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre », contre seulement 39% qui préféreraient « gagner plus d’argent mais avoir moins de temps libre ».

Parallèlement à la perte du sens du travail du fait du poids croissant des « process » et de l’impératif financier, les nouvelles conditions de travail devenues parfois la norme depuis ces cinq dernières années pour certains salariés de bureau contraints d’exercer dans des open spaces ou autres flex offices, créés sous couvert de gains de convivialité, ont sans aucun doute joué un rôle non négligeable dans la perte d’appétence à se rendre au travail chaque matin et dans le sentiment de ne plus « s’y retrouver » quand les salariés effectuent la balance coûts/avantages. Ainsi, d’après une enquête Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Selkis réalisée en 202133, 21% de l’ensemble des salariés français travaillent aujourd’hui en open space, ce qui représente 35% des salariés travaillant dans un bureau, et 10% en flex office, soit 16% des salariés travaillant dans un bureau. Et parmi ces derniers, 36% considèrent que la configuration de leur espace de travail a un impact négatif sur leur santé, alors que cette proportion est deux fois moindre (17%) parmi les salariés qui ne sont pas en flex office, et qui ont donc une place attitrée.

L’évolution des conditions et de l’organisation du travail n’est pas le seul paramètre qui a fait perdre au travail sa centralité. Si ce dernier a perdu de son importance dans la vie des Français, c’est également parce que le pays a été le théâtre d’un processus au long cours de diminution de la durée annuelle effective de travail. De manière assez mécanique, au fur et à mesure que les actifs ont passé moins de temps au travail, son importance et sa centralité dans leur vie ont reculé. Comme on l’a vu précédemment, la part de Français qui considéraient que le travail était « très important » dans leur vie est passée de 60% en 1990 à 24% cette année. Ce recul spectaculaire est à mettre en regard avec l’évolution de la durée annuelle effective de travail, qui, sur la même période, est passée de 1 814 heures à environ 1 600 heures – nous avons pris les chiffres d’avant 2020-2021, années affectées par les confinements et l’arrêt du travail pour cause de pandémie. Si l’on se base sur une durée hebdomadaire de travail de trente-cinq heures, cette baisse de 214 heures correspond à six semaines de congé gagnées en trente ans.

Comme le montre le graphique suivant, la baisse du temps annuel de travail est un processus historique. Du fait du vote de la cinquième semaine de congés payés et du passage à la semaine des trente-neuf heures au début du premier septennat de François Mitterrand, cette durée annuelle est passée de 1 894 heures en 1981 à 1 816 heures en 1983. Ce mouvement s’est ensuite poursuivi avec, au début des années 1990, des abattements de charges qui ont incité à des embauches à temps partiel, puis avec la loi Robien sur la réduction du travail (1996) et surtout les lois Aubry qui ont abouti à la mise en place des trente-cinq heures. Entre 1997 et 2002, la durée annuelle moyenne de travail a reculé de 1 732 à 1 655 heures. Depuis, la tendance à la baisse s’était considérablement ralentie, mais la crise liée à la Covid-19 a violemment percuté l’organisation du travail et a éloigné, contraints et forcés, les actifs de leur emploi pendant de longues périodes.

Le passage aux trente-cinq heures au début des années 2000 a constitué un tournant important et a modifié en profondeur les référentiels. Des termes et des habitudes nouvelles se sont ancrés dans le paysage. C’est à partir de ce moment que les salariés ont appris à « poser » ou à « prendre » une « RTT ». Le cadre traditionnel de la semaine de travail allant du lundi au vendredi s’en est trouvé altéré, avec des week-ends commençant désormais souvent le jeudi soir ou le vendredi midi, faisant dire à certains dirigeants de grandes entreprises que « le vendredi a été supprimé » depuis la Covid-19. Ce changement sociétal n’a pas échappé à la sagacité des travailleurs indépendants qui ont, eux, continué de pratiquer la semaine traditionnelle, comme nous l’exprimait avec malice un agriculteur breton : « Le vendredi après-midi quand je laboure mes champs, je vois mes voisins qui tondent leur pelouse. »

La filière touristique, qui s’était historiquement structurée et développée en France avec l’instauration des congés payés, a connu un nouvel essor durant cette période, marquée par une augmentation du temps disponible pour toute une partie de la population. Les offres de courts séjours se sont multipliées, y compris hors saison, et l’optimisation ou le prolongement des ponts via des journées RTT, pour se constituer de longs week-ends, devient un sport national. L’univers du temps libre, qui était historiquement cantonné aux vacances, et particulièrement aux mois de juillet et d’août, se dilate et prend une place de plus en plus importante dans la vie des Français. Des acteurs comme la SNCF, les compagnies aériennes low cost ou bien encore les sites de réservation en ligne accompagnent ce mouvement historique et le développement d’une société de loisirs. Si Go Voyages et Lastminute.com apparaissent respectivement en 1997 et 1999, suivis en 2001 par Opodo, c’est certes du fait du développement fulgurant d’internet à cette période, mais ces dates de création correspondent également à l’avènement des RTT. En 1981, lors de la précédente étape de réduction du temps de travail, le gouvernement socialiste de l’époque avait créé un ministère du Temps libre, ayant pour mission « de conduire par l’éducation populaire une action de promotion du loisir vrai et créateur et de maîtrise de son temps », création qui s’était accompagnée de celle de l’Agence nationale pour les chèques-vacances. Le gouvernement Jospin n’a pas accompagné le passage aux trente-cinq heures par la mise en place d’une structure publique qui aurait eu vocation à proposer des activités culturelles et récréatives et c’est le marché qui s’est engouffré dans la brèche en créant de nouvelles offres de loisirs pour occuper le temps ainsi libéré.

La crise liée à la Covid-19 et le développement massif du télétravail vont constituer une nouvelle étape dans la perte de centralité du travail dans la vie de nombreux Français. Le cadre habituel de la semaine de travail allant du lundi au vendredi avait déjà été remis en cause par l’apparition des RTT. Mais l’adoption du télétravail par un tiers des salariés – qui télétravaillent au moins un jour par semaine – a entraîné une modification encore plus radicale. Les vendredis, et dans une moindre mesure les lundis, sont massivement télétravaillés. D’après une étude récente menée par la RATP sur les déplacements en Île-de-France34, la fréquentation des transports en commun est ainsi inférieure de 18% en moyenne les vendredis par rapport aux mardis. Les opérateurs des réseaux de transports, qui avaient appris à gérer les heures de pointe, doivent aujourd’hui intégrer dans leur modèle une autre notion qui est celle des « jours de pointe » que sont les mardis et jeudis, journées les moins télétravaillées et où les flux de passagers sont les plus massifs. De la même manière, la vie des entreprises intègre progressivement cette nouvelle organisation de la semaine avec des réunions en présentiel concentrées les mardis et jeudis pour pouvoir toucher le plus grand nombre de collaborateurs. Dans les collectifs de travail où le télétravail est pratiqué, les lundis et vendredis se voient ainsi progressivement dotés d’un autre statut. Ils constituent certes des journées de travail, mais de moindre intensité, comme une sorte de sas entre les « journées sur site » (mardi, jeudi et mercredi dans une certaine mesure) et le week-end.

Renouvellement générationnel et nouveau rapport à l’effort

L’essor et le développement de cette société de loisirs au cours des dernières décennies n’ont pas que fait relativiser la place du travail dans la vie de nos concitoyens. Ils ont plus globalement introduit une dévaluation de la valeur de l’effort. La dimension « sacrificielle » du travail et de l’effort qu’avaient en partage et le catholicisme (« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ») et toute une partie du monde ouvrier, qui s’est battu pour instaurer la fête du Travail le 1er mai, ne fait plus autant recette aujourd’hui. L’assertion selon laquelle « il faut souffrir pour réussir » coupe ainsi le pays en deux avec 51% d’adhésion et 49% de désapprobation. Sur ce sujet, le clivage n’est ni éducatif (52% d’adhésion parmi les diplômés du second ou troisième cycle, contre 50% chez les titulaires du bac et 53% parmi ceux qui ne l’ont pas), ni sociologique (45% d’adhésion parmi les cadres et les professions intellectuelles versus 47% chez les professions intermédiaires et 48% auprès des catégories populaires). Le « no pain, no gain » des Anglais semble en revanche nettement plus clivant selon l’âge, comme le montre le graphique ci-dessous.

Quand 62% des soixante-cinq ans et plus, qui ont grandi et ont été éduqués dans la France des années 1950-1960, adhèrent à cette maxime, la même proportion des 18-24 ans la rejette. Cette assertion recueille 43% d’adhésion parmi les 25-34 ans et devient tout juste majoritaire parmi les 35-64 ans. Le fait que l’approbation à cette maxime diminue assez linéairement avec l’âge nous met sur la piste d’un changement de référentiel et de philosophie qui est en train de s’opérer sous nos yeux au gré du renouvellement générationnel.

La sphère professionnelle n’est d’ailleurs pas l’unique témoin de ce changement de rapport à l’effort au cours des dernières années. Dans le journal Le Point, un professeur de sciences de la vie et de la terre au lycée Thibaut-de-Champagne à Provins (Seine-et-Marne) témoignait : « Chaque année, je fais remplir un questionnaire aux élèves sur leur temps de travail quotidien à la maison. En terminale, il y a quinze ans, la moyenne était d’une heure et demie à deux heures. Aujourd’hui, ils me répondent de trente minutes à une heure, et ils trouvent que c’est beaucoup ! Si j’avais maintenu la même exigence qu’en début de carrière, on aurait perdu deux points de moyenne35. »

Toujours en matière scolaire, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, mettait en place en 2017 le dispositif « Devoirs faits », un temps d’étude accompagnée gratuit proposé en dehors des heures de classe aux collégiens pour faire leurs devoirs au sein de leur établissement sur des horaires appropriés. Si le dispositif a souvent été présenté dans le but de contribuer à la réduction des inégalités qui peuvent exister selon le niveau d’aide que les familles sont à même d’apporter aux enfants, le site internet du ministère insiste néanmoins sur le fait que ce dispositif permet aussi de « favoriser une forme de sérénité à la maison sur ces sujets36 », comme si le travail et la difficulté à s’y mettre devenaient désormais source de conflits pour une grande partie des familles. Une société privée de soutien scolaire avait d’ailleurs lancé une campagne d’affichage à destination des familles dont le slogan était : « Vous avez mieux à faire que de vous occuper des devoirs », visant à décomplexer les parents de sous-traiter et de déléguer cette « corvée ».

Pour finir, et en guise d’illustration, le Cedre (Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillon), qui réalise des évaluations tous les six ans en fin d’école et en fin de collège, a récemment montré que plus d’un tiers des élèves de troisième se sentaient découragés d’avance à l’idée de lire un texte d’une page. Ainsi, à l’affirmation « Quand on me demande de lire un texte d’une page, je suis découragé(e) d’avance », 37,5% des élèves se déclarent « plutôt d’accord » ou « tout à fait d’accord »37.

Si la mystique de l’effort fait de moins en moins recette dans les tranches d’âge les plus jeunes, on constate en revanche que ces dernières semblent beaucoup plus décomplexées que leurs aînés sur la question de l’ambition, qui est revendiquée par près de deux tiers des moins de trente-cinq ans, alors que moins d’une personne sur deux âgée de plus de 50 ans se définit comme tel. Les 35-49 ans, tranche d’âge intermédiaire, affichent une proportion d’ambitieux de 56%, taux se situant à égale distance des scores observés aux deux extrémités de la pyramide des âges.

Cet étagement des résultats constitue un indice supplémentaire d’une modification du système de valeurs évoquée plus haut. La sacralisation du travail et de l’effort s’est effacée avec la dislocation terminale de la matrice catholique et la disparition des mondes ouvrier et paysan, univers qui l’avaient placée au cœur de leurs systèmes de valeurs respectifs. Ces systèmes de valeurs traditionnels ne faisaient par ailleurs guère l’éloge et la promotion de l’ambition. Dans cette France d’avant, l’ambition était mal vue. Chez les paysans catholiques comme chez les ouvriers déchristianisés, on n’aimait pas celui qui « s’affichait » ou qui « la ramenait ». La modestie, l’humilité et le souci de « rester à sa place » étaient des lignes de conduite très majoritairement partagées. L’ambiance et le référentiel de valeurs ont profondément changé à partir des années 1980 et 1990. C’est à cette époque que la société de consommation et des loisirs a arasé les derniers vestiges de la société traditionnelle.

Les générations âgées de plus de soixante-cinq ans et une partie des 50-64 ans, qui ont grandi dans le système de valeurs forgé dans la France d’avant, demeurent majoritairement acquises à l’idée du « no pain, no gain ». Cet éloge de l’effort teinté de dolorisme s’accompagne d’une moindre valorisation de l’ambition, qui reste assez taboue ou honteuse dans cette tranche d’âge. Parmi les 35-49 ans, dont la période d’élaboration de leur référentiel correspond à la période de bascule, ce système de valeurs est minoritaire. Pour les moins de trente-cinq ans, qui, eux, sont nés dans cette France d’après la grande bascule, la sacralisation de l’effort n’est plus dans l’air du temps, quand l’ambition est, en revanche, clairement assumée et valorisée. Et ce n’est pas un hasard si les influenceurs des réseaux sociaux et de la téléréalité sont très populaires dans la jeune génération, puisqu’ils incarnent pleinement cette aspiration majoritaire à la réussite matérielle et sociale, mais sans forcer.

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