Faut-il remettre en cause l’activité touristique en France ?
Trois chercheurs en économie du développement pointent, dans une tribune au « Monde », les incohérences entre les investissements privés, et surtout publics, dans l’industrie du tourisme et les ambitions affichées en matière de sobriété par le gouvernement.
Eric Adamkiewicz
maître de conférences en développement territorial à l’université Toulouse-III
Philippe Naccache
professeur associé en stratégie et développement durable à l’Inseec
Julien Pillot
enseignant-chercheur en économie à l’Inseec et chercheur associé CNRS
Un article qui met en cause la pertinence écologique de l’activité des touristes en France. Le problème est que cette activité représente plus de 7 % du PIB et qu’il faudra du temps pour gérer les évolutions de volume et de contenu de ce secteur. À noter aussi que le tourisme des Français à l’étranger pourrait paraître aussi peu pertinent.
Consommation touristique intérieure et poids dans le consommation touristique des visiteurs étrangers s’élève à 50,8 milliards d’euros et est en baisse de 3,0 % par rapport à 2015. Les visiteurs étrangers contribuent en 2016 à -1,0 point de croissance de la consommation touristique intérieure et les visiteurs français à 1,0 point de croissance. La consommation touristique intérieure représente 7,13 % du PIB de l’année 2016, dont 4,85% pour la consommation des visiteurs français et 2,28% pour celle des visiteurs étrangers.
Sources : DGE, compte satellite du tourisme (base 2010) ; Insee, comptes nationaux (base 2010). NDLR
Le 26 juin 2020, au plus fort de la crise Covid, et alors que beaucoup de réflexions s’articulaient autour de l’avènement d’un hypothétique « monde d’après », nous signions une tribune dans Le Monde au titre pour le moins évocateur : « La transition écologique et le tourisme responsable sont incompatibles avec la massification des voyages ». Depuis, la pandémie a reculé et l’économie du tourisme a repris ses droits.
Frappée d’amnésie et incapable de se réformer, elle ne semble pas avoir pris la mesure du problème systémique dont elle souffre. Il en va des investissements privés, à l’image des carnets de commandes records chez les avionneurs ou les croisiéristes, tandis que se multiplient les programmes immobiliers de standing essentiellement destinés à la clientèle étrangère au bilan carbone chargé. Gourmands en ressources, ils contribuent également à l’accroissement du prix du foncier et à l’exode de la population active, notamment la plus jeune, des territoires touristiques.
Nous attendons avec impatience de voir comment tout cet écosystème parviendra à justifier ces investissements massifs, toujours orientés vers les volumes, au regard des objectifs de décarbonation affichés, parfois même inscrits dans le rapport de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) des sociétés impliquées. Plus étonnamment, la fièvre des investissements semble également avoir repris du côté de la puissance publique, bien loin des objectifs de sobriété affichés.
En témoignent les ambitions démesurées pour les Jeux olympiques de Paris, un plan de relance pour la montagne – qui n’est que l’empilage de rustines obsolètes largement consacrées au soutien de l’économie de l’or blanc – ou les propos récemment tenus le 29 août par Olivia Grégoire, ministre déléguée au tourisme, « ensemble, nous avons bien l’intention de rester la première destination mondiale ».
La même Olivia Grégoire qui n’exclut pas de poursuivre la trajectoire pré-Covid et son objectif de… 100 millions de touristes annuellement accueillis sur notre sol. Notons qu’au-delà de ces investissements dispendieux et aux retombées incertaines, une véritable stratégie ferroviaire se fait toujours attendre… A y regarder de plus près, la posture de la ministre déléguée au tourisme dérange autant que la stratégie de l’Etat qui semble bloquée sur des discours qui ont accompagné les plans de la DATAR des années 1960.
Elle paraît en effet parfaitement contracyclique alors que les Français sont appelés à davantage de sobriété, dans un contexte certes conjoncturel de crise énergétique, mais structurel sur le plan du changement climatique. Plus grave encore, cette politique pro-tourisme construite lors des « trente glorieuses » semble ignorer que nous venons de vivre un été 2022 caniculaire qui nous rappelle combien la raréfaction de nos ressources naturelles, notamment en eau, est déjà bien engagée, et ne fera que s’aggraver dans les prochaines années.
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