L’enjeu d’une révolution anthropologique en France ?

L’enjeu d’une révolution anthropologique en France ?

Par Éric Fourel Président EY France ( dans la Tribune, extrait)

 Acte de contrition en même temps que démarche messianique de la part d’un bureau de conseil dans le passé largement responsable de la fuite en avant vers l’inutile et la rentabilité à tout prix. Des propos de colloques à mettre en cohérence avec les stratégies d’audit NDLR

 

Qui aurait osé imaginer à l’aube de l’année 2022 une bascule aussi brutale entraînant, au-delà même des tragédies humaines et du danger mortel pour le modèle démocratique qu’elle révèle, un renversement total de tous les paramètres économiques sur lesquels s’est bâtie la prospérité du monde au cours des 20 dernières années ?

L’Homme doit réinventer sa relation au monde car le glas de la « mondialisation heureuse » a définitivement sonné. Il doit aussi réinventer sa relation à la nature car l’ère anthropocène menace aujourd’hui de manière tangible la survie même de l’humanité. Il doit enfin réimaginer sa relation à lui-même du fait d’une révolution technologique qui le propulse dans un univers virtuel où ses propres avatars pourraient, demain, le dominer.

 

Le vertige est absolument saisissant face à l’ampleur des chantiers de transformation à enclencher. À court et moyen terme, la priorité est sans nul doute de reconquérir la souveraineté de nos approvisionnements énergétiques, mais aussi en matière de santé publique et de sécurité alimentaire. Le symbole est bien dérisoire au regard des souffrances de nos semblables en Ukraine, mais il est parlant : qui aurait imaginé qu’en 2022 nous ferions la chasse à la moutarde dans les rayons de nos supermarchés ?

Derrière les pots de moutarde, se cachent des dépendances autrement plus préoccupantes. Le rapport d’information déposé devant le Sénat le 6 juillet dernier sur le sujet de notre souveraineté économique nous apprend, parmi de multiples autres domaines, que si la France demeure de loin le pays leader de l’agriculture au sein de l’Union européenne, sa production agricole et agroalimentaire dépend de 40 à 50 % d’intrants importés. Notre industrie dépend à hauteur de 40 % de matières premières et de biens intermédiaires importés. 80 % des principes actifs qui entrent dans nos compositions pharmaceutiques sont d’origine chinoise ou indienne.

De toute évidence, la sécurité de nos approvisionnements énergétiques est le terrain stratégique le plus sensible, mais les solutions d’urgence s’y heurtent en parallèle à l’impérieuse sortie des énergies fossiles. À moyen terme, la mutation à peine amorcée vers les énergies renouvelables génère un même risque de perpétuation de nos dépendances quand on sait que la quasi-totalité des composants nécessaires à la production d’éoliennes ou de panneaux photovoltaïques est d’origine chinoise.

Face à tous ces défis,  mettre en lumière trois constats principaux :

 

  • L’Union européenne avec les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun (PIIEC) et un État véritablement Stratège (France 2030) doivent définir et faciliter les cadres d’investissement majeurs sans se disperser dans le saupoudrage d’aides multiples auprès d’acteurs en quête de simples aubaines. Bruno Bonnell, Secrétaire Général à l’Investissement, a rappelé à cet égard le cadre d’intervention de l’État.
  • Les Territoires doivent favoriser et accompagner l’éclosion de nouveaux écosystèmes indispensables à l’émergence de chaînes de valeur plus agiles fondées sur une économie davantage circulaire. Carole Delga, Présidente de l’Association des Régions de France, a particulièrement bien illustré ce rôle clé des nouvelles régions tout en signalant ses limites du fait des ressources budgétaires disponibles.
  • Les entreprises doivent apprendre à maîtriser progressivement leurs dépendances internationales dans un climat géopolitique dangereux et redessiner des moyens de production résilients et responsables au plus proche de leurs lieux de chalandise. Benoît Lemaignan, Président de la société Verkor spécialisée dans la production de batteries de nouvelle génération et Christel Heydemann, Directrice Générale d’Orange, ont d’ailleurs montré comment la transformation permanente de leur entreprise prend appui sur une vision messianique de leur contribution au monde et à la planète.

>> Aucune des solutions provenant de ces transformations indispensables pour redonner un souffle souverain à la France ne sera pérenne si elles ne sont pas accompagnées par un plan massif d’investissement dans les compétences nécessaires à leur émergence et leur maintenance. La régression et le vieillissement de nos savoir-faire industriels est patent. La rareté de nos compétences informatiques de niveau intermédiaire rend impossible notre extraction de la dépendance des GAFAM en matière de gestion et de stockage des données. Nul besoin de multiplier les exemples pour comprendre l’ampleur du gouffre à combler. Or, notre jeunesse est avide de sens. Un grand plan Marshall de l’éducation, tourné vers les sciences et l’innovation, destiné aux élèves de niveau intermédiaire et pas seulement à l’élite, permettrait non seulement de jeter les bases d’une restauration de notre indépendance des savoirs produire ; laquelle sera la vraie carte maîtresse de notre avenir commun, mais aussi de régénérer la cohésion sociale de notre société qui ne cesse de se déliter.

>> Troisième constat : le modèle de dialogue et de débats permanents, propre à nos vieilles démocraties en Europe, est de plus en plus souvent décrié comme moins efficace pour affronter les enjeux de transformation par rapport aux modèles dirigistes qui profitent d’une concentration des pouvoirs permettant d’enclencher plus rapidement le temps de l’action. Or, oser le débat contradictoire et affronter les oppositions, même virulentes, est en réalité un atout déterminant qui favorise la sélection des bonnes solutions et permet in fine d’embarquer le plus grand nombre derrière l’œuvre réformatrice qui nécessitera forcément des efforts et des choix souvent difficiles. Ce n’est pas tant le débat démocratique qui est un frein à la transformation que notre manque d’audace à remettre en cause les rentes acquises et la paresse de notre esprit collectif, anesthésié par tant d’années d’un confort consumériste et dont nous avons tant de mal à accepter la mort, pourtant annoncée.

Comme en matière de réchauffement climatique, l’heure est grave, mais le sursaut est encore possible pour rendre à la France sa souveraineté économique sans pour autant sombrer dans l’isolationnisme, à condition, toutefois, de nous départir sans tarder de notre insouciance héritée des trente glorieuses et de faire la preuve de la pugnacité d’un corps collectif resoudé autour de quelques enjeux stratégiques clairement identifiés et débattus.

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