Oser affronter Poutine

 

Oser affronter Poutine

L’ancien ambassadeur Michel Duclos dénonce d’une certaine façon la realpolitik encore prônée et qui pourtant n’a aucune influence sur Poutine. Il propose d’oser affronter clairement ce dictateur.( L’opinion)

 

Moscou, fin des années 1980. A l’ambassade de France, nous suivions avec fascination la trajectoire de Mikhaïl Gorbatchev. Sa détermination à rénover le système autant que sa volonté d’en finir avec la guerre froide forçait l’admiration. L’homme avait beaucoup de limites cependant, dont une incompétence abyssale en matière d’économie. C’est le délabrement de l’économie soviétique qui a rendu inévitable pour Moscou la réunification allemande ; elle a été aussi une cause majeure de la chute de l’URSS. Le G7 aurait-il dû, au printemps 1991, comme le souhaitait François Mitterrand, renflouer la maison Gorbatchev ? C’eût été jeter l’argent par les fenêtres et n’aurait sans doute pas changé le destin. Les Russes, on le sentait très bien en vivant à Moscou, s’identifiaient à Boris Eltsine, qui piaffait dans les coulisses, et non à Gorbatchev, qu’ils voyaient comme un apparatchik coupé des réalités. Mais ce qui nous frappait le plus dans le personnage de Gorbatchev, c’était son refus de tirer dans la foule, d’envoyer les chars, de recourir à la violence — même si ce ne fut pas le cas jusqu’au bout de son règne comme les Lituaniens et d’autres s’en souviennent encore aujourd’hui.

 Nous nous interrogions : ce refus de la violence, était-ce la marque d’une version humaniste du communisme, dans la lignée du Printemps de Prague, à laquelle Gorbatchev paraissait se rattacher ? Ou était-ce le signe, chez les dirigeants soviétiques, qu’ils ne croyaient plus à la légitimité du régime ? Quoi qu’il en soit, à l’état de l’économie, au pacifisme de Gorbatchev, s’est ajoutée l’impatience d’Eltsine de parvenir au pouvoir. Avec la complicité intéressée des autres dirigeants républicains, Eltsine s’est appuyé sur le nationalisme russe pour en finir avec l’URSS. C’est lui et non Gorbatchev qui a été le fossoyeur de l’Union Soviétique. Et cela contre le vœu des Occidentaux : que l’on se souvienne par exemple du discours à Kiev de George Bush le 1er août 1991 déconseillant aux Ukrainiens de voter pour l’indépendance.

Cette histoire maintenant lointaine jette une lumière crue sur la situation présente. Vladimir Poutine, à la différence de Gorbatchev, a jusqu’à un certain point laissé des responsables compétents gérer l’économie. Mais il a fait du recours à la force — en Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie, en Ukraine, sans compter ses coups en Afrique via Wagner, et sur le plan interne une répression féroce — l’instrument par excellence de sa politique. On voit le résultat : le nationalisme russe anti-impérial d’Eltsine a détruit l’URSS ; le national-impérialisme de Poutine entraîne la Russie dans cette effroyable aventure en Ukraine qui, dans le meilleur des cas, va la laisser dans un état pitoyable — et la couper de l’Europe peut-être pour une génération.

Les Occidentaux pouvaient-ils, comme une école auto-proclamée « réaliste » le soutient, éviter la dérive poutinienne ? Ni Bush senior, ni Mitterrand n’ont pu empêcher la chute de l’URSS. Il y a beaucoup de naïveté à penser que Bush II, Obama et les autres dirigeants occidentaux pouvaient influencer en profondeur les desseins de Poutine. La vraie question, comme nous le montrons dans la dernière livraison de la revue Commentaire, n’est pas « qui a perdu la Russie ? » mais bien « comment la Russie a perdu l’Occident ? ». A partir de 2012-2014 notamment, c’est Vladimir Poutine qui choisit la confrontation systématique, en estimant qu’une « repolarisation » Est-Ouest favorisait son régime à l’intérieur et le standing de son pays à l’extérieur. Arrêtons de faire croire qu’il se contentait de répondre à de pseudo-« provocations » de l’extérieur.

Mais prenons conscience de ce terrible constat : c’est ce dictateur « in-influençable », recuit de haine et d’orgueil, acculé par ses propres erreurs dans une impasse, qu’il incombe aujourd’hui de dissuader d’aller encore plus loin dans la folie. Ne tablons pas trop sur une autolimitation rationnelle du maître du Kremlin. La situation créée par les dernières décisions de Poutine justifie la tenue d’un conseil de guerre des trois membres permanents occidentaux du Conseil de sécurité (Etats-Unis, France, Royaume-Uni) auxquels pourraient s’adjoindre l’Allemagne et la Pologne. Il est clair cependant que la Chine, l’Inde et d’autres non-occidentaux devraient aussi indiquer au président russe dans les termes les plus clairs que tout recours à des armes de destruction massive entraînerait une riposte unanime de la communauté internationale.

L’ancien ambassadeur Michel Duclos a notamment été jeune diplomate à Moscou dans les années 1980. Auteur de « La France dans le bouleversement du monde », il est conseiller spécial géopolitique à l’Institut Montaigne.

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