Le pari du bouclier tarifaire
Si le coût budgétaire des mesures pour limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité est énorme, il a permis de limiter l’inflation et la pression sur les salaires. Une stratégie risquée, mais qui pourrait se révéler payante en sortie de crise. ( papier du Monde)
Passer du « quoi qu’il en coûte » au « combien ça coûte ? ». Tel est l’exercice périlleux auquel le gouvernement s’est livré, mercredi 14 septembre, lors de la présentation de son plan énergétique. Alors que l’envolée des prix de l’énergie exerce une pression grandissante sur le pouvoir d’achat des Français, la première ministre, Elisabeth Borne, a tenté de leur envoyer un double message. La nécessité de modérer la générosité budgétaire dont l’Etat a fait preuve jusqu’à présent, sans renoncer pour autant à protéger les ménages les plus vulnérables.
A partir du début de 2023, la hausse des prix de l’énergie se fera davantage sentir, même si l’essentiel continuera à être assumé par les dépenses publiques. Après une hausse des prix limitée à 4 % en 2022, le gaz et l’électricité augmenteront ainsi de 15 % l’année suivante.
Pareille augmentation aurait été considérée comme insupportable il y a encore quelques mois. Mais le chiffre doit être mis en perspective avec la réalité des prix du marché, qui, selon le gouvernement, ont bondi de 120 %. L’aide publique est d’autant plus importante qu’elle est assez unique en Europe. Chez la plupart de nos voisins, les hausses de tarifs ont été beaucoup plus violentes.
La France a été l’un des premiers pays à déployer un « bouclier » tarifaire, avant d’être imitée désormais par la plupart des pays européens, qui, eux aussi, sont obligés d’instaurer des amortisseurs pour contenir les risques de tensions sociales. A ce système de plafonnement de la hausse des tarifs s’ajoute un dispositif plus ciblé, sous la forme de chèques énergie qui seront envoyés début 2023 aux 12 millions de ménages les moins favorisés.
Si ces aides devraient permettre d’aborder l’hiver difficile qui s’annonce, elles ne peuvent être que temporaires, vu leur coût net pour les finances publiques, évalué à 16 milliards d’euros. La soutenabilité du dispositif risque d’être rapidement questionnée si les tensions sur le marché de l’électricité se prolongeaient au-delà du premier semestre 2023. D’où la nécessité d’une réforme européenne.
Par ailleurs, le resserrement des taux d’intérêt engagé par la Banque centrale européenne (BCE) a commencé à renchérir le coût de la dette publique. Celle-ci doit rester sous contrôle. Enfin, au-delà du soutien au pouvoir d’achat, l’Etat doit financer d’autres chantiers tout aussi cruciaux (éducation, santé, police, justice, réindustrialisation). Sans compter, évidemment, les investissements indispensables à la transition écologique, enjeu majeur. Rapidement, des choix budgétaires devront s’imposer.
La stratégie consistant à limiter les prix de l’énergie a permis jusqu’à présent à la France d’afficher un taux d’inflation parmi les plus bas d’Europe, de 2 points inférieur à la moyenne de la zone euro. Le coût budgétaire est énorme, mais il a permis au pays de subir une pression sur les salaires moins forte que celle constatée chez ses voisins. Si les prix s’assagissent dans des délais raisonnables, le pays pourrait ressortir avec une compétitivité renforcée. Si, au contraire, l’inflation se prolongeait, la France perdrait sur les deux tableaux, avec un creusement de la dette, et des salaires qui devront tôt ou tard s’aligner sur la hausse des prix.
Le pari est donc risqué, surtout au regard de la récession qui se profile. Mais il serait réducteur de voir ces dépenses publiques uniquement comme un coût, elles peuvent aussi être regardées comme un effort budgétaire qui pourrait se révéler payant en sortie de crise. Seule la durée de celle-ci dira si la stratégie du gouvernement était la bonne.
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