Le discours hypnotisant de Bruno Lemaire
Si de toute évidence Bruno Lemaire ne dispose pas d’un charisme mobilisateur par contre il possède d’énormes qualités d’hypnotiseur qui permettent d’endormir ses interlocuteurs. Ainsi nombre de ses prévisions sont très approximatives sur fond d’optimisme un peu béat. La révolution « anthropologique » qu’il observe n’a sans doute pas encore pénétré le milieu politique qu’il représente. Bref beaucoup de langue de bois, lardée de vérités et d’évidences dans un emballage de promesses douteuses . Bref une interview « somnifèrique ». NDLR
Dans un entretien avec le ministre de l’Economie, des Finances et de la souveraineté industrielle et numérique, réalisé à Bercy mardi 13 septembre lors du T-Day organisé par EY et La Tribune, Bruno Le Maire décrypte les enjeux de la crise actuelle de la mondialisation. Il reste optimiste sur la croissance française en 2023 malgré les risques de récession. Pour passer l’hiver, il veut réunir à Bercy les dirigeants des plus grandes entreprises françaises pour parler de l’adaptation de la consommation d’énergie. Fermement opposé à une taxe sur les superprofits, il est en revanche favorable à ce que les rentes des énergéticiens qui profitent de la hausse des prix de l’électricité soient redonnés à l’Etat.
A partir du 23 septembre, la Tour Eiffel va s’éteindre plus tôt pour faire des économies. Et à Bercy aussi, on va chasser le gaspi ?
Nous faisons très attention à notre consommation énergétique et nous la diminuons.
La mondialisation est en plein bouleversement. Dans quel monde sommes-nous en train d’entrer ? Est-ce le retour des blocs et de la fermeture ?
Je ne crois pas. Nous sommes effectivement face à un moment de transformation que je qualifierai d’anthropologique. Pas seulement économique, ni financier. Nous avons un nouveau rapport à la mondialisation. Chacun a compris qu’il valait mieux produire les choses chez soi. Tout simplement parce que c’est trop risqué de les produire ailleurs. Ce qui est en train de se passer entre l’Ukraine et la Russie amène chacun à se dire que si demain il se produit la même chose entre la Chine et Taiwan, nous allons nous retrouver coupés de chaînes d’approvisionnement complètes. Il vaut mieux produire nos batteries électriques et nos semi-conducteurs chez nous. Nous le faisons. Il vaut mieux produire tout ce qui est essentiel et stratégique à la vie de la nation sur le territoire, au moins à l’échelle européenne. C’est le premier changement, qui est un changement de rapport au monde.
Et il y a aussi un changement de rapport à la nature. La nature, nous l’avons exploitée durant des décennies. Quand on regarde sur le temps long, c’est spectaculaire de voir que l’humanité, jusqu’au début du 19e siècle, a assez peu usé, abusé, utilisé la nature. Puis, comment avec la révolution industrielle, qui se termine maintenant, on a exploité de manière démesurée, irresponsable les ressources de la planète. Et comment la révolution nouvelle qui nous attend, la révolution technologique, doit nous amener à préserver cette ressource et à changer ce rapport au monde. Le monde n’est pas à notre disposition. La nature n’est pas à la disposition de l’Homme. Nous devons la respecter pour vivre, ou survivre. Car si nous nous affranchissons des barrières entre l’humain et l’animal, cela donne le Covid et les épidémies que nous avons connues récemment. C’est un deuxième changement de nature anthropologique. Et nous changeons aussi de rapport à nous-mêmes et aux autres avec la révolution digitale. Vous le voyez avec vos enfants. Nous pensions que le numérique était un facteur d’ouverture, de connexion entre les uns et les autres, c’est aussi un facteur de repli.
Ce sont ces trois révolutions qu’il faut appréhender ensemble. Ce sont des révolutions anthropologiques. Un nouveau rapport au monde, un nouveau rapport à la nature et un nouveau rapport à nous-mêmes. Cela fait beaucoup pour des responsables politiques qui n’arriveront pas à gérer ces révolutions sans l’aide des citoyens.
L’écran fait écran. Les grands patrons de la Silicon Valley ont affirmé ne pas donner d’écrans à leurs enfants. Les nôtres, cela les dérange moins…
Il y a derrière un enjeu social absolument majeur. Il est évident que ce sont ceux qui ont le niveau d’éducation le plus élevé qui sont ceux qui s’affranchissent le plus des écrans, qui savent maîtriser une culture, des liens différents. Moi je pense qu’il y a un enjeu culturel et d’égalité sociale absolument fondamental dans le nouveau rapport que nous entretenons avec nous-mêmes, à travers les écrans et le digital. Et du point de vue de la démocratie, cela pose un problème majeur. Il n’y a pas de démocratie sans vérité, sans diagnostic commun, pas de démocratie possible sans échanges de faits, de réalité.
Mais à partir du moment où tout se vaut, où le mensonge vaut la vérité, où l’approximation vaut la précision, il n’y a plus de démocratie possible. Et on court le risque de voir s’affirmer petit à petit des régimes totalitaires. C’est un des gros enjeux que nous avons devant nous. Les démocraties ne sont plus majoritaires dans le monde. Il faut réaffirmer la valeur, la force des démocraties libérales.
Pour en revenir à la situation économique et aux conséquences que nous allons vivre à court ou moyen terme, vous avez annoncé pour 2023 une prévision de croissance de 1%. C’est un sacré ralentissement, mais pas une récession. Pensez-vous que l’on puisse conjuguer la désinflation et maintenir la croissance ?
Je reste, et je le dis avec beaucoup de force, très confiant et très volontariste pour l’économie française. Je ne crois pas au scénario catastrophe. Peut-être que les faits me donneront tort. Mais je crois, chiffres et statistiques à l’appui, en regardant ce que me disent les chefs d’entreprises, que le pire n’est pas certain et que nous pouvons passer ce cap difficile. Il faut juste prendre un peu de recul.
D’abord, pour l’année 2022, j’avais fait des prévisions de croissance pour la France à 2,5%. Un institut très célèbre m’avait dit : « Ce n’est pas possible. Ce sera 2,3% au mieux ».
Pour d’autres, c’était 2%. Nous ferons mieux que 2,5% en 2022. Il y a eu de la demande, de la consommation, il y a des entrepreneurs qui se sont retroussés les manches. Je constate simplement que la croissance est là, que l’investissement est là et que les créations d’emplois sont là. Il y a un ralentissement, oui, bien sûr. Quand on a la guerre en Ukraine, l’Allemagne qui risque de rentrer en récession, les Etats-Unis qui, techniquement, ont été en récession et un marché chinois fermé, il est normal que cela soit un choc économique sur notre économie qui est intégrée à ces autres grandes économies.
Mais 1% de croissance, cela reste une croissance positive pour 2023. Et j’ai la conviction qu’au-delà, l’économie française va retrouver progressivement des couleurs, car nos fondamentaux ont été assainis par la politique de la majorité et du président de la République. Oui, aujourd’hui c’est intéressant d’investir en France et nous sommes la première destination pour les investissements étrangers en Europe. Oui, il y a des créations d’emplois et des besoins de main-d’œuvre partout sur les territoires français. Oui, nous investissons, nous innovons et nous sommes devenus attractifs du point de vue fiscal. Je crois véritablement que la politique que nous avons mise en œuvre commence à porter ses fruits et nous permettra, dans les années qui viennent, d’atteindre notre objectif : la prospérité pour tous les Français et le plein emploi en 2027. Une situation inédite depuis un demi-siècle.
On n’a jamais vu un ministre de l’Economie annoncer la récession dans son projet de Budget, vous êtes dans votre rôle. Mais il y a de l’inquiétude. On a un problème avec les prix de l’énergie. On avait l’avantage d’avoir une énergie pas chère. On l’a perdu pour des tas de raisons. Est-ce que cela ne remet pas en cause toute la stratégie de réindustrialisation que vous essayez de mettre en œuvre ? Quel est votre diagnostic face à la gravité de la situation et qu’allez-vous faire pour aider les entreprises ?
Je vous rejoins sur le fait que le point de bascule est autour de l’énergie, de sa disponibilité et de son prix. C’est le point de bascule entre une croissance qui va résister, ce que je crois, et une croissance qui pourrait s’effondrer, parce qu’il n’y aurait plus d’énergie ou de l’énergie à des prix stratosphériques pour les entreprises. Pourquoi je crois plus à la première option ? Parce que je crois que nous allons tous être responsables. La meilleure façon de passer l’hiver dans les meilleures conditions, c’est de faire preuve de sobriété énergétique, c’est-à-dire de réduire tout, tout de suite notre consommation d’énergie.
Je réunirai dans les prochaines semaines, à Bercy, tous les dirigeants des plus grandes entreprises françaises, avec les responsables de la production énergétique française. Dès qu’il y aura un signal d’alerte sur un pic de consommation, nous devrons faire en sorte de ralentir notre consommation pour passer collectivement ce moment dans les meilleures conditions. C’est quelque chose de radicalement nouveau, auquel nous ne sommes pas habitués, qui va nous aider l’hiver prochain. Je ne sais pas s’il sera rigoureux ou doux, mais je sais que la première des réponses, rappelée par le Président de la République et la Première ministre, c’est la sobriété. Cela veut dire concrètement que lorsqu’il fera très froid et que la production électrique sera moindre, on saura anticiper la réduction de notre consommation.
La deuxième chose, c’est d’éviter que les prix n’explosent. On a pris des décisions fortes, dont celle prise par le Conseil européen de l’énergie de plafonner les prix pour le lendemain. Aujourd’hui, les marchés peuvent faire exploser la demande pour le lendemain. Le petit kilowattheure dont vous avez besoin peut atteindre un coût exorbitant, des milliers d’euros le mégawattheure. Nous l’avons plafonné. C’est un signal prix très puissant. De même, quand nous disons que nous allons faire des achats en commun sur le gaz, quand nous disons que sommes prêts à plafonner le prix du gaz, c’est un signal prix très puissant. J’ai la conviction qu’avec toutes ces décisions européennes, nous allons avoir des prix énergétiques qui vont être moins délirants, moins spéculatifs, que ce que nous avons connu précédemment.
La troisième condition pour passer cet hiver correctement, c’est évidemment de produire plus. Cela nécessite que nos réacteurs nucléaires, à l’arrêt pour maintenance ou pour des questions de corrosion, redémarrent le plus vite possible. Cela nécessite que la production d’énergie nucléaire retrouve le niveau que, de vous à moi, elle n’aurait jamais dû quitter. Nous y veillons. Avec tout cela, parce que nous ne restons pas les bras croisés et que nous sommes collectivement mobilisés comme nation, comme peuple, je pense que nous pouvons passer l’hiver prochain sans que cela ne se solde par une catastrophe énergétique.
A plus long terme, n’y a-t-il pas matière à s’inquiéter ? On va payer l’énergie beaucoup plus chère que nos concurrents, notamment aux Etats-Unis. Ne risque-t-on pas d’avoir un choc de compétitivité majeur, négatif, avec un euro faible. Ne sommes-nous pas en train de nous appauvrir ? Certains groupes envisagent de délocaliser à cause du prix de l’énergie. Que fait le ministre de la Souveraineté pour affronter cette situation ?
Il y a d’abord les aides immédiates. Nous prenons le problème à bras-le-corps. Pour toutes les PME qui ne peuvent plus payer leurs factures d’électricité ou de gaz, nous avons simplifié le mécanisme de soutien, l’accès aux 2 millions d’euros de subvention. Je leur dis : « vous pouvez utiliser ce mécanisme. Cela va vous aider à passer les semaines qui viennent ». Même chose pour les énergo-intensifs, tous ceux qui ont des consommations importantes. Je le dis devant les chefs d’entreprise : les critères sont trop compliqués. La Commission européenne a mis sur pied un dispositif qui ne fonctionne pas. Je le dis aussi librement que je l’ai dit à la Commission européenne. Cette manie de faire toujours compliqué, toujours trop subtil, toujours trop complexe, en se disant « ça ne marchera pas et ça ne nous coûtera rien », ce n’est pas la bonne réponse à la crise énergétique actuelle. Nous obtiendrons la simplification des aides financières pour les énergo-intensifs dans les semaines ou les mois qui viennent.
Sur le plus long terme, la réponse tient en un seul mot : investir. Et investir plus vite. Investir dans le nucléaire. On va construire 6 nouveaux EPR dans les années qui viennent. Investir dans les énergies renouvelables, en accélérant drastiquement les procédures. On ne peut pas continuer à mettre 11 ans pour mettre sur pied un champ éolien offshore. Ce n’est pas possible. Regardez la manière dont les Allemands ont accéléré les procédures pour réaliser, par exemple, un terminal de GNL en Allemagne. Nous devons être plus rapides dans la réalisation d’infrastructures industrielles et d’infrastructures énergétiques, notamment sur le renouvelable.
Enfin, il y a une promesse particulièrement porteuse d’avenir : c’est l’hydrogène. Nous avons investi plusieurs milliards d’euros là-dessus. Nous y travaillons avec l’Allemagne et je considère que tous les industriels français doivent s’engager dans cette perspective de l’hydrogène. Ce n’est pas la recette miracle, mais c’est un des éléments qui doivent nous permettre de décarboner notre industrie et d’offrir d’autres perspectives du point de vue énergétique. Nous ne sommes pas désarmés. Je considère que tous ceux qui font confiance uniquement aux énergies fossiles pour les années à venir seront pris de court à leur tour dans 5 ans, dans 10 ans, lorsque nous aurons basculé dans un autre mix énergétique. C’est là que la France et l’Europe peuvent jouer leur carte.
Vous avez annoncé 55 milliards de recettes fiscales sur l’impôt sur les sociétés en 2023. Cela n’est-il pas trop optimiste ?
Cela prouve que lorsqu’on baisse le taux de l’impôt sur les sociétés, les recettes augmentent. Nous avons baissé l’impôt sur les sociétés à 25%, moyennant quoi les recettes ont augmenté. Au passage, je veux dire aux chefs d’entreprises inquiets au sujet de la suppression des impôts de production, de la CVAE, qu’ils peuvent s’inquiéter de beaucoup de choses, mais pas des promesses du ministre des Finances. Nous avions promis que nous baisserions les impôts sur les sociétés de 33,3 à 25%, nous avons tenu parole. Nous avions promis que nous baisserions de 10 milliards d’euros les impôts de production, nous avons tenu parole. Quand je dis que nous supprimerons les 8 milliards d’euros de la CVAE, on le fera. Pas en une seule fois, mais en deux ans pour tenir compte des difficultés de finances publiques. Vous pouvez me croire sur parole.
Taxer les superprofits lors du vote du projet de budget 2023, ce serait une ligne rouge pour le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté ?
Je ne suis pas prix Nobel d’économie, mais je les lis. J’ai lu une interview remarquable de Jean Tirole dans Le Point. Il dit que c’est très difficile de savoir ce que sont les superprofits. Il dit la même chose que moi. Je ne sais pas ce que c’est ou, en réalité, je sais que cela veut dire taxer tous les profits de toutes les entreprises. C’est une ligne rouge. En revanche, aller récupérer l’argent des rentes des énergéticiens qui font du renouvelable, à qui on avait dit « Investissez dans le renouvelable, dans les panneaux solaires », à qui l’Etat a garanti un prix d’achat pendant des années car les prix étaient bas, je serai le premier à le faire. Je ne veux pas de rente. Ni rente, ni taxe, mais un mécanisme de marché pour que, dès que le prix dépasse ce qui était garanti pendant des années, les électriciens reversent l’intégralité des recettes supplémentaires à l’Etat, qui en a bien besoin.
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