Le fiasco du marché de l’électricité
Des alarmes s’activent régulièrement à propos de la disponibilité des métaux de la transition énergétique, alors que les prix de ces métaux baissent. Par Didier Julienne, président de Commodities & Resources (*) qui dénonce le fiasco du marché de l’électricité ( la Tribune)
Un industriel me disait récemment qu’il n’y avait plus de cuivre . Pourtant, à 8.000 dollars la tonne le prix du métal rouge est, d’une part, en déflation régulière depuis son pic-Ukraine, supérieur à 10. 000 dollars la tonne, et, d’autre part, sous ses cotations de novembre 2020. Pareillement, après leurs pics-Ukraine, les prix de l’aluminium sont au niveau de mars 2021, le zinc est revenu aux prix d’octobre 2021, le nickel est passé au travers de ses cotations de novembre 2021, le plomb a rejoint celles de mars 2020. Au-delà de ces métaux de base, les prix du minerai de fer en déflation sont renvoyés à ceux de juin 2020, tout comme l’acier à ceux décembre 2020 . Les métaux mineurs connaissent le même paradigme : le cobalt est revenu au niveau de mars 2021, le magnésium à août 2021, le manganèse à mai 2021. Les métaux précieux sont dans le même acte : l’or est au niveau de mars 2021, l’argent métal à juillet 2020, le platine à novembre 2020, le palladium et le rhodium sont en retraits et déjà passés par les prix de septembre 2021.
Le fait est qu’après le pic-Ukraine inflationniste lié à la peur, tous ces métaux sont en baisse à cause de la gestion du Covid-19 par Pékin. Telle la netteté d’une calligraphie chinoise serait mouchetée après le passage d’un peintre impressionniste, la courbe ascendante de l’économie de base chinoise est piquetée par le pointillisme itinérant et récurrent du confinement Covid de telle ou tells ville ou telle ou telle région.
Un autre facteur pèse sur les prix. Contrairement aux idées reçues, l’exploitation minière est en expansion, ainsi au rythme actuel le cuivre et le nickel s’orientent vers des années 2022 et 2023 excédentaires.
Enfin, la production métallurgique chinoise est affaiblie par l’insuffisante production électrique chinoise, notamment hydroélectrique, qui, renchérissant les coûts de production, détruit la demande industrielle de métaux. La crise énergétique européenne et la récession industrielle de notre continent pèsent également sur la demande de métaux. Il n’y a guère que la métallurgie des États-Unis qui ne souffrent ni de la guerre en Ukraine — bien au contraire pour le gaz — à l’inverse de l’Europe, ni des chocs covidiens comme la Chine.
Il est donc particulièrement inexact de parler de crise des métaux pour justifier ceci ou cela. Au contraire, c’est principalement la crise énergétique qui est à la cause d’un ralentissement de la consommation de métaux en Asie, tout comme c’est la crise énergétique européenne à cause de ses politiques inappropriées ou naïves qui provoquent la fermeture d’usines.
Inappropriée ou naïve, car bien que la production électrique européenne connaisse des prix hétérogènes, la règle du marché de l’électricité impose à l’ensemble du continent que le coût marginal de production le plus élevé soit le point d’équilibre du marché, c’est-à-dire le prix des centrales électriques au gaz. C’est un mécanisme de marché classique, cette même règle équilibre tous les marchés de ressources naturelles. Lorsque le marché est en expansion, c’est la mine de cuivre la plus coûteuse qui donne le la pour le prix du cuivre, mais si ce dernier chute c’est cette mine la plus coûteuse qui fermera en premier.
Cette règle était inappropriée et naïve pour le marché électrique européen parce que les règles de marché sont faussées par l’ARENH, le prix de l’électricité d’EDF réservé à ses 40 plus gros clients européens. Ils ont le privilège d’acheter à EDF de l’électricité au prix le plus bas, au prix de l’ARENH, et de la revendre immédiatement au prix du marché, c’est-à-dire en ce moment au prix des centrales à gaz. C’est du pur trading : ils achètent à 42 euros le MWh puis le revendent au prix du marché, c’est-à-dire 540 euros le MWh, alors qu’il était supérieur à 1.100 euros le MWh fin août. Le problème est bien qu’EDF ayant moins de capacités achètera de l’électricité à 540 euros le MWh à ses propres clients traders pour la leur revendre à 42 euros le MWh. Ce trading dans un marché en expansion, comme l’est celui de l’électricité européenne depuis fin 2020, fausse le signal prix, car celui-ci ne peut mécaniquement que monter.
Mais dans le marché européen étranglé que nous expérimentons, c’est sans doute la source d’un scandale de négoce initié au nom de la libre concurrence. Comment voulez-vous qu’EDF, ou les finances françaises puisque bouclier énergétique il y a, s’en sorte en vendant à 42 euros et en achetant à 540 euros ? Parce que l »industrie métallurgique européenne est fortement consommatrice d’électricité, elle rencontre des réductions de production ou des fermetures d’usines : zinc chez Nyrstar, aluminium dans toute l’Europe.
Comment celle-ci peut-elle rester compétitive ? Il est probable que sans l’ARENH le prix de l’électricité serait inférieur au prix actuel et l’industrie se porterait mieux, comme c’est le cas en Espagne et au Portugal. Ces deux pays se sont déconnectés de la règle du marché européen et renforcent leur compétitivité industrielle. D’ailleurs, force est de constater qu’il n’existe pas un réel marché européen de l’électricité sinon comment justifier que son prix soit au même moment de 537 euros sur le réseau français, 459 euros en Italie, 455 euros en Allemagne et 129 euros en Espagne ?
C’est pourquoi Bruxelles décidait d’imposer un prix maximum pour le gaz russe puisque ce dernier régule l’électricité. C’est une sorte de prix consommateur de la même veine que lorsque la grande distribution impose un prix aux producteurs de lait ou de plat cuisiné. Il faudra, hélas !, sans doute attendre que le rapport de forces devienne plus favorable au consommateur de gaz européen, que Moscou soit à genoux et qu’elle stoppe ses horreurs commises en Ukraine. Un producteur et un consommateur ne sont pas toujours faits pour s’entendre et compte tenu de sa cagnotte accumulée, Moscou dispose de temps pour développer de nouveaux débouchés à ses hydrocarbures en Asie et en Inde.
Au contraire d’une doxa qui se développe, s’il y a moins d’aluminium ou d’acier bon marché, ce n’est pas la faute des mines, mais des politiques énergétiques. La crise électrique européenne est le résultat de mauvaises politiques dont on connaît désormais les causes, elle transformera sans aucun doute la métallurgie européenne comme jamais, car le couple guerre/inflation provoque toujours de l’innovation et de la substitution.
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