Recherche pluridisciplinaire: la mal-aimée !
Un collectif de quatre chercheurs montre, dans une tribune au « Monde », que les universitaires dont les travaux s’inscrivent dans plusieurs disciplines sont défavorisés par leurs pairs, car considérés comme une menace pour le statu quo des disciplines.
La recherche pluri disciplinaire est effectivement la mal-aimée, un paradoxe dans une société qui se complexifie compte tenu des relations systémiques entre les champs d’activité. C’est aussi en raison de cela, qu’ est de plus en plus difficile la compréhension du fonctionnement global socio économique, technique, environnemental et sociétal.NDLR
Depuis quelques années, les grandes institutions de recherche encouragent le développement et la promotion de projets de recherche pluridisciplinaires. De nombreuses campagnes de communication en promeuvent les bénéfices, vantant une approche de la formation des futures élites plus globale, et des environnements de recherche plus riches et plus innovants.
Nos travaux révèlent pourtant que les universitaires pluridisciplinaires ont tendance à être désavantagés lorsqu’ils sont évalués par leurs confrères (« A New Take on the Categorical Imperative: Gatekeeping, Boundary Maintenance, and Evaluation Penalties in Science », Riccardo Fini, Julien Jourdan, Markus Perkmann, Laura Toschi, Organization Science, juillet 2022). Plus étonnant peut-être : plus leur performance, mesurée en termes de publications et de citations, est élevée, plus ils sont pénalisés !
Ce constat est particulièrement surprenant au regard de la littérature. Les précédentes études sur le sujet suggèrent que les scientifiques pluridisciplinaires sont en général pénalisés par les évaluateurs qui peinent à classer leurs travaux, car un soupçon pèse sur leurs compétences et leur fiabilité. Selon ce raisonnement, les inquiétudes des évaluateurs devraient se dissiper quand ils disposent d’informations complètes sur le brillant parcours universitaire d’un collègue. Mais ce que nous observons est tout autre.
Notre étude porte sur le dispositif national d’habilitation mis en place en 2012 en Italie, dont le rôle est d’accréditer les candidats pouvant postuler à un poste de professeur associé ou de plein titre dans une université publique italienne. L’analyse de l’ensemble des 55 497 candidatures soumises à 174 jurys (spécifiques à une discipline scientifique) montre que, plus un chercheur pluridisciplinaire est performant – en matière de publications et de citations –, moins il est susceptible d’être accrédité par ses pairs.
En moyenne, la pénalité appliquée à un candidat pluridisciplinaire très performant est supérieure de plus de 50 % à celle appliquée à un alter ego peu performant ! Ce phénomène est particulièrement marqué dans les « petites » disciplines et dans celles qui sont très exclusives en matière de revues scientifiques. Les candidats multidisciplinaires talentueux sont aussi plus sévèrement évalués par les jurys dont les membres ont un profil typique de leur discipline.
Pour comprendre ces résultats en apparence contre-intuitifs, il faut examiner de plus près le fonctionnement du monde de la recherche. Dans le microcosme universitaire, un petit nombre d’individus talentueux et productifs exerce une influence disproportionnée sur l’avenir de chaque discipline. Ils peuvent décider notamment des domaines de recherche prioritaires et de l’orientation vers de nouvelles approches, théories ou méthodes.
0 Réponses à “Recherche pluridisciplinaire: la mal-aimée !”