Nucléaire: l’avantage compétitif
Pour Olivier Lluansi, associé chez Pwc Strategy et Senior Fellow ESCP Business School, l’impact de la crise énergétique risque d’être sévère à court terme pour l’industrie tricolore. Mais «sur le long terme, les fondamentaux qui portent la demande et doivent soutenir la réindustrialisation sont toujours là», assure-t-il.Dans une interview aux Echos ?
Il est trop tôt pour savoir comment l’industrie française va passer cette crise. Les industriels sont eux rentrés en mode crise . Leur préoccupation c’est la survie. Pour vous donner un exemple, j’ai rencontré récemment le patron d’une PME industrielle de taille moyenne qui en temps normal fait 1 million d’euros de résultat avec 1 million de facture d’énergie. Avec la hausse des prix du gaz et de l’électricité, sa facture d’énergie va doubler ou tripler. Ce qui signifie que l’entreprise va basculer dans le rouge. C’est représentatif de ce qui se passe dans beaucoup de PME. Avec la flambée des cours, elles voient leurs marges fondre, voire devenir en perte. Et celles qui avaient déjà utilisé leur PGE n’arrivent pas à se refinancer. Devant la crise énergétique qui touche la France et l’Europe, certains grands groupes dans les secteurs de la métallurgie ou de l’acier par exemple ont aussi commencé à procéder à des réallocations de productions vers l’Asie et les Etats-Unis.
Cela va-t-il entrainer une recomposition du paysage ?
Le risque, si aucune mesure majeure de régulation du marché de l’électricité n’est prise, est que la production française, et européenne, se concentre sur la production à haute valeur ajoutée qui peut mieux absorber la flambée des prix de l’énergie. En revanche, les productions de base seront de plus en plus importées.
Si on veut apporter une réponse à la hauteur de la crise, il faut découpler le marché de l’énergie du prix du gaz. C’est une urgence. Le plafonnement du prix du gaz est une modalité évoquée lors de la réunion ce vendredi à Bruxelles : à quel plafond ? Pour quel volume ou quelles origines ? Cela relève d’une décision politique. Et la Commission européenne et Bercy ont du mal à assumer un choix qui représente un revirement profond par rapport à la logique de marché en vigueur depuis quarante ans.
La crise de l’énergie ne percute-t-elle pas les objectifs de réindustrialisation et de souveraineté en France ?
Il faut dissocier le court terme et le moyen terme. A court terme, l’impact de la crise énergétique risque d’être sévère. Le tissu industriel va être fragilisé , sa rentabilité va diminuer. Mais cette situation n’est pas forcément irréversible. La crise ne change pas fondamentalement la trajectoire de l’industrie française. Sans l’arrêt d’une partie du parc nucléaire, la France serait la « reine » de l’Europe. Dans six mois selon EDF , douze mois si on veut être plus prudent, lorsque les réacteurs nucléaires seront remis en route, son industrie retrouvera des avantages compétitifs réels. Elle aura de nouveau accès à une énergie décarbonnée et à faible coût. Cela permettra une accélération de l’électrification des processus industriels qui peuvent l’être et donc leur décarbonation. Enfin sur le long terme, les fondamentaux qui portent la demande et doivent soutenir la réindustrialisation sont toujours là.
Quels sont-ils ?
La France a besoin de regagner une souveraineté sur les biens stratégiques, même si deux ans et demi après la crise du Covid, aucune liste officielle de biens et services stratégiques n’est encore disponible. Par ailleurs, la demande du marché et des consommateurs pour une production de proximité, éco-responsable dont les approvisionnements sont sécurisés, sera toujours là. Ce sont ces facteurs structurants qui tireront la renaissance de l’industrie, française et sans doute européenne sur le long terme, si nous recouvrons une compétitivité raisonnable.
Vous attendez-vous néanmoins à une pause dans le mouvement de rapatriement d’activités ?
Oui, à court terme, il va y avoir un coup de frein. Les entreprises ne relocalisent que s’il y a un avantage compétitif à rapprocher la production. Et la hausse des coûts actuels ne va pas dans ce sens. Mais cela devrait seulement retarder le mouvement, du moins c’est ma conviction et mon espoir.
Avec le retour de l’inflation et la crise énergétique, la mise en oeuvre du plan France 2030 lancé pour développer des filières d’avenir reste-t-elle une priorité ?
La philosophie de ce plan garde tout son sens. Mais dans le contexte actuel où les signaux faibles annoncent un ralentissement de l’investissement industriel, il serait peut-être préférable de revenir à l’esprit qui prévalait avec France Relance, à savoir des investissements plus transversaux qui profitent davantage à l’ensemble de l’économie, et pas uniquement à des filières d’excellence, et qui se mettent en oeuvre très rapidement sur quelques mois. C’est ce qui a soutenu l’investissement des entreprises pendant la crise sanitaire et qui pourrait le maintenir pendant cette nouvelle crise.
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