Croissance ou inflation : le choix cornélien des banques centrales
La Réserve fédérale américaine (Fed) avait déjà révisé trois fois ses taux à la hausse depuis janvier, passant de 0,25 à 1,75%, alors que la Bank of England (BoE) ou la Bank of Canada enchaînent cinq hausses depuis mi-décembre dernier. Pour la BCE, une seconde hausse des taux décisive le 8 septembre… Pourquoi ce décalage apparent de l’Europe ? Par Amaury Goguel, professeur de finance en charge du master Financial Markets & Investments chez SKEMA Business School. (la Tribune)
La BCE apparaissait alors isolée, avec une très forte latence dans sa réponse. En effet, la BCE reconnait l’inflation en février et attend le 21 juillet pour la première hausse de taux (de 50 points de base) ! Ce qui s’est joué, c’est donc la première hausse des taux de la BCE depuis 11 ans et la fin des taux négatifs en Europe (même les taux de facilité de dépôts auprès de la BCE cessent d’être négatifs).
Ce qui devenait crucial pour la BCE, c’est sa crédibilité et sa capacité à agir vite. Le franchissement historique de la parité Euro Dollar dès le 11 juillet laissait aussi à penser que les marchés considéraient la BCE en retard sur le cycle économique. Rappelons également que l’Euro était passé début juillet sous la parité avec le franc suisse (une première depuis 2015).
L’affaiblissement de l’euro faisait porter un risque de carry trade sur la zone Euro (l’Euro devient monnaie d’emprunt, précipitant sa baisse de façon auto-entretenue car la monnaie devient de moins en moins chère à rembourser et les taux d’intérêts sont inférieurs à ceux des autres pays en avance de phase dans le cycle de hausse des taux).
A la décharge de la BCE, l’inflation en Europe était d’une nature tout autre de celle des Etats-Unis. Les économistes estiment que sur les 8% d’inflation européenne, la moitié au moins (autour de 4,6%) est une inflation énergétique et alimentaire dont la cause est un choc d’offre (donc hors de contrôle d’une banque centrale et de sa politique de taux).
Par différence avec les Etats-Unis, aucune surchauffe de l’économie n’est visible en Europe, ni au niveau de la demande ni au niveau de l’emploi… Aux Etats-Unis, la situation contrastait avec un déficit généralisé de travailleurs sur le marché du travail. Pour la première fois depuis 1950 aux Etats-Unis, le mois de juillet a vu 3% d’offres d’emploi supérieur comparé à la main d’œuvre disponible.
En réponse, le Congrès américain adopte l’inflation reduction Act le 7 aout, abattant toute une série de mesures pour réduire l’inflation en réduisant le déficit budgétaire, en abaissant les prix des médicaments sur ordonnance et en investissant dans la production d’énergie nationale tout en favorisant les solutions d’énergie propre.
De son côté, la BCE finie après un temps jugé très long (dénotant à nouveau de la lourdeur de sa gouvernance) d’un mécanisme de protection de la transmission monétaire (toujours au 21 juillet bien annoncé dès le mois de mai). Bien que ce nouveau mécanisme « anti-fragmentation » ait été adopté à l’unanimité des gouverneurs et soit complémentaire aux OMT (Opérations Monétaires sur Titres ) mis en place par Mario Draghi en 2012 (sans unanimité à l’époque !), les marchés restent dubitatifs trouvant ce mécanisme trop opaque. Le conseil des gouverneurs choisira les pays éligibles selon des critères assez stricts sur la gestion budgétaire notamment. Mais qu’est-ce qu’une faiblesse structurelle ? L’Italie pour des raisons d’instabilités politiques qui sont récurrentes… ? Rappelons que sur les 130 dernières années, il y a eu 160 gouvernements différents en Italie, le mandat de Mario Draghi faisant donc exception de par sa longévité…
Est-ce que cela justifie d’activer le mécanisme anti fragmentation…. ? Le spread italien était en juillet sur un plus haut depuis avril 2020 (2 ans), à 202 points de base… Hélas, ce spread continue toujours à augmenter, marquant un questionnement toujours vivace sur ce nouvel outil de la BCE. La reconnaissance officielle par la BCE qu’une divergence excessive des spreads souverains est un facteur entravant la transmission efficiente de la politique monétaire demeure une avancée remarquable de cet été 2022.
Le discours très offensif de J. Powell fin Aout lors du meeting annuel des banquiers centraux à Jackson Hole rappelait que l’inflation ne s’est presque jamais tarie suite à des hausses ponctuelles des taux mais plutôt suite à un plateau durable de taux réhaussés. Ce message pourrait s’avérer plus politique qu’effectif.
De nombreux signaux suggèrent que le pic d’inflation est passé aux Etats-Unis (baisse significative des coûts logistiques, du Fret, etc.). Par ailleurs, les canaux de transmission de la politique monétaire conventionnelle mettent traditionnellement entre 6 à 9 mois à se transmettre dans l’économie, ce qui permet en ce mois de septembre d’entrevoir les effets des hausses du printemps dernier aux Etats-Unis / Canada / Grande-Bretagne, etc.
Les chiffres d’Aout de l’emploi aux Etats-Unis (NFP) apparaissent désormais en demi -teinte. La récession ristque donc de se généraliser avec une consommation qui marque le pas, là où elle s’était avérée étonnamment solide pendant l’été américain. La contrainte budgétaire posée par l’inflation devient mordante. L’excès de demande étant la principale cause inflationniste aux Etats-Unis, l’inflation pourrait donc baisser plus vite que prévue et surtout plus vite qu’en Europe pour qui la pression tarifaire énergétique et alimentaire risque d’être durable en l’absence apaisement avec la Russie. En terme réel, la divergence inflationniste cette fois ci au détriment de l’Europe accentuera encore le différentiel de taux d’intérêt et la pression baissière sur l’euro-dollar, au détriment des importations européennes (et de la facture énergétique). Pour stabiliser le taux de change, il est clairement apparu que la politique monétaire traditionnelle ne suffit pas : la livre sterling reste plus faible que l’Euro en dépit d’une réaction plus forte et plus rapide de la Banque d’Angleterre ! La hausse des taux de la BCE sur la fin d’année 2022 sera donc une condition nécessaire mais hélas pas suffisante. La seconde hausse de la BCE en ce jeudi 8 septembre est donc décisive et incontournable.
La BCE a effectivement augmenter ses taux de trois quarts de point ce jeudi 8 septembre et d’autres pourraient suivre NDLR
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