Les leçons d’économie d’Elisabeth I

Les  leçons d’économie  d’Elisabeth I

 Alors que la reine Elisabeth II vient de décéder à l’âge de 96 ans et après 70 ans de règne, le nombre de pauvres ne cesse d’augmenter dans son pays. L’occasion de réhabiliter les politiques menées il y a 400 ans par Elisabeth I. Par Simon Szreter, University of Cambridge ( la Tribune)

 

Les dernières années du règne d’Élisabeth I (reine de 1558 à sa mort en 1603) ont permis l’émergence, en Angleterre, du premier État-providence efficace au monde. Des lois ont été mises en place pour protéger les sujets de Sa Majesté face à la hausse des prix des denrées alimentaires.

Plus de 400 ans plus tard, en cette fin de règne d’Élisabeth II, le Royaume-Uni est de nouveau confronté à des hausses inquiétantes du coût de la vie. Le gouvernement actuel gagnerait à s’inspirer des politiques conduites à l’époque.

Jusqu’à la fin du XVIe siècle, il était acquis dans toute l’Europe médiévale que l’augmentation du prix des denrées alimentaires entraînait une hausse du taux de mortalité, les gens mourant de faim et les maladies se propageant parmi les personnes mal nourries.

Les Lois sur les pauvres - de 1598 et 1601 – ont inversé la situation en Angleterre. Lorsque la nourriture devenait trop chère, les paroisses locales étaient obligées de distribuer de l’argent ou des produits alimentaires à ceux qui n’avaient pas les moyens de se nourrir. Pour la première fois dans l’histoire, il était devenu illégal de laisser quelqu’un mourir de faim.

Les lois étaient claires et simples, et exigeaient que chacune des 10 000 paroisses anglaises mette en place un fonds de secours permanent pour soutenir les personnes vulnérables. Cela incluait les boiteux, les malades, les personnes âgées, les orphelins, les veuves, les mères célibataires et leurs enfants, ainsi que les personnes incapables de trouver un emploi. Les occupants de terres (propriétaires ou locataires) devaient participer au fonds proportionnellement à la valeur de leur propriété.

Contrôlé par les magistrats locaux, le système était transparent et ne laissait aucune échappatoire à l’impôt. En fait, il encourageait une culture de la générosité qui permit le développement au sein des paroisses d’aumôneries, de maisons de soutien et d’hôpitaux afin de soulager la misère des pauvres.

Grâce à ce foisonnement de mini-États-providence, l’Angleterre est alors devenue le premier pays d’Europe en plus de 150 ans à mettre fin à une famine généralisée. Et cela a également permis à l’Angleterre de bénéficier par la suite de la plus rapide croissance du taux d’urbanisation en Europe.

Entre 1600 et 1800, un grand nombre de jeunes ont quitté les paroisses rurales pour trouver du travail dans les villes, sachant que leurs parents seraient soutenus par la paroisse en cas de besoin – et qu’ils recevraient eux-mêmes de l’aide si leurs projets tournaient court. Bien avant l’arrivée des premières machines à vapeur, les Lois sur les pauvres ont créé une main-d’œuvre urbaine qui a permis l’essor de la révolution industrielle.

Puis, en 1834, tout a changé. Le coût de ce système social a été jugé trop élevé et a été remplacé par un nouveau système nettement moins généreux qui séparait les hommes et les femmes les plus pauvres de leurs enfants et les uns des autres, et ne leur permettait de recevoir que du gruau en échange de fastidieuses corvées dans des ateliers dégradants. La perspective de devoir travailler dans ces ateliers était si effrayante que les pauvres préféraient accepter n’importe quel autre emploi, y compris pour un salaire de misère.

C’est cette version des Lois sur les pauvres qui reste dans la mémoire populaire, véhiculée notamment par les livres de Charles Dickens, et qui occulte les premiers succès du règne d’Elisabeth I. Mais des recherches récentes plus complètes commencent à montrer comment les lois élisabéthaines ont changé le cours de l’histoire en Angleterre, offrant une importante leçon encore très actuelle sur le système de protection sociale d’aujourd’hui, ainsi que sur crises liées au coût de la vie.

Les anciennes Lois sur les pauvres ont contribué à une période d’extraordinaire prospérité économique en Angleterre ; l’État-providence a joué le même rôle après la Seconde Guerre mondiale pour le Royaume-Uni. Les investissements publics dans l’éducation (secondaire et supérieure) et le nouveau National Health Service (NHS) – le système de santé publique du Royaume-Uni toujours en place aujourd’hui – ont décuplé les opportunités et permis au niveau de vie de s’envoler, tandis que le Royaume-Uni connaissait les deux décennies (1951-1973) caractérisées par la plus forte hausse de productivité de son histoire.

Aujourd’hui, la population se plaint régulièrement d’être obligée de choisir entre manger et se chauffer alors que les prix de la nourriture et de l’énergie s’envolent. Or il n’existe pas de compensation pour ceux dont les salaires et les avantages sociaux sont insuffisants. L’aide unique eistante, alors que des millions de ménages sont confrontés à la fois à la pauvreté énergétique et alimentaire, n’est qu’un pansement temporaire.

Tant qu’il n’y aura pas d’augmentation permanente des prestations sociales pour les bénéficiaires des minimas sociaux versés par l’État – au Royaume-Uni, le universal credit -, les banques alimentaires continueront à se multiplier et les enfants continueront à aller à l’école le ventre vide. Le lien entre la richesse et la fiscalité a été utilisé efficacement par les Élisabéthains pour commencer à lutter contre les inégalités. Mais l’économie mondialisée d’aujourd’hui facilite les profits extraterritoriaux et l’augmentation constante des inégalités.

Dans mon nouveau livre, After the Virus : Lessons from the Past for a Better Future, j’étudie l’évolution du sens du devoir et de l’effort collectif qui sont à la racine des périodes de prospérité passées et récentes du Royaume-Uni.

Les Lois sur les pauvres étaient loin d’être un système d’aide sociale parfait. Mais le fait que, par le passé, la protection des plus pauvres ait conduit à une croissance économique généralisée constitue une leçon d’histoire qu’aucun gouvernement ne devrait ignorer en période de crise du coût de la vie.

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Par Simon Szreter, Professor of History and Public Policy, University of Cambridge

La version originale de cet article a été publiée en anglais.

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