Société–abondance et sobriété pour qui ?

L’économiste Eloi Laurent relève  dans le Monde que le concept de sobriété a connu différentes acceptions. Face à l’indéniable réalité du réchauffement climatique, il faut maintenant adopter l’idée d’une sobriété-partage, fondée sur le principe de justice.

 

Nous y sommes. En cet été 2022, la France, comme avant elle l’Australie ou les Etats-Unis, a compris que toute sa richesse ne la préserverait pas de la crise écologique tandis que sa dépendance aux énergies fossiles devient une insupportable vulnérabilité sociale. C’est le moment de revenir aux fondamentaux du raisonnement économique. Très loin de la folle gabegie de la croissance, l’analyse économique fut conçue par Aristote il y a deux millénaires et demi comme une discipline de la sobriété, cherchant à satisfaire les besoins humains essentiels dans un environnement contraint en assurant la correspondance entre des besoins raisonnés et des ressources limitées. Mais cette première sobriété, la « sobriété-frugalité », se déploie dans l’espace du foyer qui est par nature inégalitaire : les membres de la famille sont placés dans un rapport hiérarchique et ne doivent pas devenir des semblables. Il n’y a donc aucune raison pour que la satisfaction des besoins essentiels, qui procède d’un principe de nécessité, aboutisse à une situation juste. C’est dans l’espace de la cité que le nécessaire peut ou non être jugé comme suffisant.

Le deuxième âge de la sobriété, prenant acte de l’accélération fulgurante du développement économique au lendemain de la seconde guerre mondiale, entendait ralentir la surconsommation des ressources naturelles qu’il engendre, à commencer par l’approvisionnement en énergie. Il revient à l’association négaWatt d’avoir introduit ce concept de « sobriété-modération » au début des années 2000 pour le distinguer de la logique d’efficacité énergétique. Autant l’efficacité énergétique vise à réduire la quantité d’énergie (et/ou de carbone) par unité de production, autant la sobriété énergétique vise à réduire le volume d’énergie consommée et donc à garantir que les politiques mises en œuvre se traduisent effectivement par des économies d’énergie en évitant un « effet rebond » de la consommation.

A cet égard, l’article 2 de la loi sur la transition énergétique votée en 2015 en France entretient un contresens fatal en prétendant soutenir « la croissance verte par le développement et le déploiement de processus sobres ». Les travaux visionnaires de négaWatt ont notamment permis de distinguer différentes politiques de sobriété : structurelle (rapprocher les lieux de travail et de résidence), dimensionnelle (réduire la taille des voitures), d’usage (prendre les transports en commun) et collaborative (favoriser l’autopartage).

 

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